Après-séance The age of Shadow avec Kim jee-woon et Song Kang-ho

La session de questions-réponses a eu lieu après la projection du film The age of Shadow[[Film sorti en France le 23 janvier 2018 en DVD par les Studiocanal]], film historique de 2016 du réalisateur sud-coréen Kim Jee-woon.

Cette après séance était dans le cadre du Festival du Film Coréen à Paris 2019 dans la section Focus en présence du réalisateur Kim Jee-woon et de l’acteur Song Kang-ho. Il peut y avoir des révélations concernant des scènes et/ou l’intrigue du film dans cet article. Si vous ne voulez pas connaître ces éléments, il est préférable de revenir le lire après avoir vu le film !


Présentatrice : alors avant de passer à cette session de questions-réponses, je vais vous laisser dire quelques mots d’introduction.

Kim Jee-woon (réalisateur) : Alors tout d’abord, c’est un film qui est sorti en 2016 en Corée. C’est une histoire qui raconte une période de la colonisation japonaise. Et on a donc une confrontation entre d’un côté les patriotistes et de l’autre côté les collaborateurs. Et on a obtenu un grand succès grâce à l’acteur Song Kang-ho ci-présent.

Song Kang-ho (acteur) : Bonsoir (en français). Je voudrais vraiment vous remercier du fond du cœur, car je suis énormément ému de vous voir à une heure aussi tardive. Merci beaucoup.

Présentatrice : Comment et à quel moment la musique arrive dans le processus créatif car il y a vraiment quelques scènes où elle arrive parfaitement ?

Kim Jee-woon (réalisateur) : Alors en fait quand je travaille sur mon film, ça commence dès l’écriture du scénario. C’est-à-dire que pour choisir le ton et l’ambiance du film, j’écoute énormément de musique. Par exemple dans ce film-là, il y a 3 morceaux qui sont majeurs et que j’avais déjà dans ma playlist au moment de l’écriture du scénario. J’en avais 6 au début et 3 ont été choisis. À un moment donné lorsqu’on écoute beaucoup de musique, je trouve qu’on arrive à trouver celle qui va parfaitement se marier avec l’ambiance et le ton du film. C’est comme ça que je travaille.

Question du public : Dans ce film, on voit beaucoup d’actions, mais on ne voit pas quelle est la motivation idéologique de ce groupe, à part tuer des Japonais, etc. Combattre pour l’indépendance. Mais après le mouvement de mars 1919, il y a eu beaucoup de groupes différents selon des idéologies différentes, et on ne le voit pas dans le film.

<img19917|right>Kim Jee-woon (réalisateur) : Le but n’est évidemment pas le fait de juste tuer des Japonais. Le but est d’abord de faire de la résistance, mais surtout d’œuvrer pour la libération du pays.</img19917|right>

Il s’agit d’un groupe de résistants sous la colonisation japonaise, ils agissent donc pour une idéologie, peut-être la plus primaire, forte et progressiste. Ils veulent simplement récupérer leur pays.
Sous cette période de colonisation japonaise, le 1er mars 1919, il y a eu un grand mouvement de soulèvement national, mais de manière pacifiste. Cependant, ce groupe de résistants s’est dit que ce n’est pas en agissant pacifiquement qu’on obtiendra la libération du pays. Donc ce groupe a l’idée d’une armée de la résistance, afin de récupérer le pays.

Il y a en fait 10 règles qui régissent ce groupe-là, je ne peux pas vous énumérer les 10, mais celle qui me restait vraiment en tête était « Il faut tuer l’indic. » c’est-à-dire, l’espion de l’ennemi et je me suis vraiment basé sur cela pour faire ce film. Ensuite, la plupart des choses sont vraiment basées sur des faits réels.

Posez aussi des questions à Song Kang-ho s’il vous plaît.

Question du public : Bonjour, dans ce film j’ai vraiment remarqué les décors. Ils sont tous assez impressionnants, aussi beaux que réalistes, surtout le train, je me demandais donc quelles ressources vous avez utilisées ?

Kim Jee-woon (réalisateur) : Alors oui, la scène avec le train, c’est tout un décor. II faut normalement pour ce genre de tournage une caméra qui peut bouger, plus mobile, elle est normalement mise sur des rails. Cependant, les rails habituellement utilisés dans ce cas étaient trop gros, on ne pouvait donc pas les placer entre les différents sièges des wagons du train. On a donc dû créer des rails spécialement adaptés pour pouvoir filmer.

Aussi normalement, quand on tourne ce genre de scène dans un train, il n’y a pas de plafond, mais pour donner plus de réalisme, on a fait créer un plafond pour tous les wagons. Le problème lorsqu’on tourne avec des décors, on a l’avantage de pouvoir utiliser des lumières qui sont en principe suspendues au plafond, mais là comme ce n’était pas possible, on a vraiment dû travailler en amont avec mon directeur artistique et le directeur de la scénographie pour essayer de faire en sorte de faire venir des lumières qui viennent de l’extérieur ou qui sont utilisées directement dans le wagon intégrant le décor, pour mettre de la lumière sur les visages des personnages. C’était vraiment quelque chose de très compliqué.

<img19918|left>Et aussi, étant donné qu’on est censé voir que le train est en mouvement, on utilise une technique qui coûte vraiment très très cher. Je me suis demandé si j’allais utiliser cette technique ou une autre. Finalement, j’ai décidé de faire monter l’équipe sur le plafond du train, les faire bouger pour faire croire aux mouvements du train. Et ça, c’était très rigolo.*Il se balance de gauche à droite sur scène*.</img19918|left>

Au début, quand toute l’équipe est montée sur le toit, bien sûr, ils étaient tellement stressés pour bouger et ne pas tomber qu’ils étaient tous très mal à l’aise. Mais au bout de 10 jours de tournage, je les voyais tous à l’aise en train d’envoyer des messages via whatsapp, tranquilles.

Question du public : Pour M. Song Kang-ho, après avoir travaillé avec les meilleurs réalisateurs coréens comme Kim Jee-woon, Park Chang-wook[[Réalisateur sud-coréen qui a notamment fait Old Boy, Mademoiselle]] et Bong Joon-ho[[Réalisateur sud-coréen, il a notamment fait Parasite, Memories of Murder, Snowpierce, …]], si vous pouviez choisir un réalisateur non-coréen avec lequel choisiriez-vous de tourner s’il n’y avait pas la barrière de la langue, réalisateur passé et présent.

Song Kang-ho : À vrai dire, je n’ai jamais pensé à ce genre de choses. C’est difficile de choisir, car en fait, j’en ai vraiment beaucoup qui passent en tête.

Question du public : C’est une question pour M. Song Kang-ho, vous êtes vraiment mon acteur préféré. Vous avez travaillé avec bon nombre de réalisateurs coréens extrêmement connus, Park Chang-wook, Lee Chang-dong[[Réalisateur sud-coréen qui a notamment réalisé Burning]], Bong Joon-ho et Kim Jee-woon, est-ce que vous pourriez nous dire quelles sont les différences quand vous travaillez avec ces réalisateurs, comment ils vous dirigent ou si au contraire ils vous laissent beaucoup de liberté, et comment vous élaborez vos personnages avec eux et comment se déroulent vos collaborations ?

Song Kang-ho (acteur) : Alors en fait, c’est finalement toujours pareil dans le sens où ces différents réalisateurs recherchent la même chose. Là par exemple, vous en avez cité 4, mais ils ont tous le même but. Oui chacun a sa touche artistique vraiment personnelle et le rendu est vraiment différent les uns vis-à-vis des autres. Mais c’est très difficile et je ne pourrais pas vous dire en une seule phrase la différence entre les quatre. Après en tant qu’acteur, j’ai beaucoup d’intérêt, mais c’est aussi très difficile de choisir entre les quatre.

Mais après c’est vrai que cette question, on me la pose de temps en temps. Les journalistes l’aiment bien, mais ce que je réponds, je ne sais pas si c’est vraiment une réponse et si ça va vous faire rire ou pas, mais pour vous donner un exemple, dans l’ordre :
– Avec Park Chan-wook, imaginons qu’on tourne une scène où un couple est en train de s’embrasser dans une grande plaine. Avec lui, on dirait qu’ils sont en train de s’embrasser et quand on s’approche, en gros plan, on verrait que la femme est en train de mordre la langue de l’homme et il y a beaucoup beaucoup de sang.
– Avec Bong Joon-ho, il y aura une ambiance vraiment très romantique, ce couple s’embrasse langoureusement et tout à coup, on voit un gros serpent qui passe sur la cuisse de la jeune femme.
– Et là, avec Kim Jee-woon, ce couple est en train de s’embrasser et finalement quand on s’approche, non, ils sont en train de se lécher le nez.

Kim Jee-woon (réalisateur) : Je ne sais pas quelle est la différence réelle entre les scènes qu’il vient de décrire, mais il y a en tout cas un gros point commun. Song Kang-ho a fait en sorte qu’on puisse chacun vivre de ce qu’il fait au cinéma.

Question du public : Merci beaucoup, je suis très émue et j’ai du mal à réaliser qu’on vous a vu déjà trois fois. Ma question est : un réalisateur comme vous, un cinéaste comme vous, qu’est-ce que vous diriez à une future réalisatrice comme moi aujourd’hui ?

Kim Jee-woon (réalisateur) : Oh. À vrai dire, j’ai vraiment envie de vous dire « Ne faites pas ce métier ».

Plus on crée des films, plus ça devient difficile. Franchement, vous n’avez pas réfléchi à un autre métier par hasard ?

Alors si je peux me permettre de vous donner un petit conseil, je sais que moi personnellement ça m’a beaucoup aidé de regarder des bons films. Parce que justement ça m’a inspiré pour avancer, m’améliorer. Effectivement, lorsqu’on reçoit beaucoup de bonnes choses de ce type-là, on a envie de transmettre aux autres et je pense aussi que si vous avez cette conviction en vous, de vouloir transmettre cette envie, de partager cela, je pense que vous allez pouvoir aller vers votre rêve.

Question du public : Une question pour Song Kang-ho, par rapport à votre personnage dans le film, je voulais savoir concernant le dilemme entre sauver sa peau et sauver sa patrie, est-ce que personnellement vous vous êtes confronté à votre propre dilemme si vous vous retrouviez dans cette même situation ?

Song Kang-ho (acteur) : Merci pour cette question, c’était une très bonne question, mais je suis sincèrement navré, je ne pourrais pas vous dire comment je réagirais. Tout d’abord, parce qu’on ne vit pas dans cette époque-là, après comme ça, j’aimerais vous dire « Oui, évidemment, je donnerais ma vie pour sauver ma patrie si c’était faisable ». Mais honnêtement, si on y pense, est-ce qu’on serait capable d’abandonner sa bonne situation, sa bonne vie, son aisance et se dire, je laisse tout pour ça. Je ne sais vraiment pas trop quel serait mon choix.

Kim Jee-woon (réalisateur) : Pour ma part, je pense que je serais capable de faire beaucoup de choses jusqu’à ce que je sois complètement torturé.

Question du public : Bonjour, je suis désolé, ma question ne va pas porter sur ce film là, mais sur A Bittersweet Life[[Film de 2005 sorti en France le 10 mai 2006]]. Dans ce film, le personnage n’arrive pas à se poser les bonnes questions et a un dilemme rétrospectif, et dans toute la première partie du film, vous séparez le personnage principal avec quelque chose, ça peut être par exemple un rideau d’une boite de nuit ou un paravent. Est-ce que c’était une façon de montrer le dilemme qui se passe dans sa tête et son incapacité rétrospective ?

Kim Jee-woon (réalisateur) : Pourquoi la dernière question est toujours aussi difficile ?

Alors d’abord effectivement avec A Bittersweet life, j’ai essayé de faire un genre de film noir, et dans ce type de film, je pensais que ce qui était le plus important, c’était l’histoire, mais aussi le style et la mise en scène. C’était une manière de montrer l’introspection de ce personnage à travers l’histoire.

En général, quand on regarde le genre de film noir, on a souvent ces histoires qui tournent autour du succès versus la destruction, et évidemment les personnages sombrent dans des tragédies. Et en plus de l’importance que je donne à l’histoire et au style, je voulais donner de l’importance aux impressions visuelles, et c’est peut-être pour ça qu’on peut dire que les films noirs sont un reflet de l’art du clair-obscur. Je pense que c’est aussi parce qu’il y a une retranscription par rapport à ce qu’on vit dans la vie de tous les jours, c’est-à-dire qu’il y a des hauts et des bas, mais pour ce film-là, j’avais besoin de montrer le côté tragique à travers les images.

D’ailleurs le sujet principal de ce film, on le voit dès le début, on voit un espace vraiment très luxueux, très brillant où tout va bien, et en fait, on descend vers le monde souterrain, avec une représentation de la tragédie, de tout ce qui est destruction. C’était aussi pour transmettre ce message-là que j’ai mis cela au début du film.

Présentatrice : Je vais maintenant laisser le mot de la fin à vos deux invités.

Song Kang-ho (acteur) : Alors oui, c’est ma dernière soirée ici et je retourne demain en Corée du Sud, et franchement, je suis venu ici sans vraiment savoir quel public allait m’attendre. Mais là, j’ai vu que vous êtes tellement passionnés, j’ai reçu beaucoup beaucoup d’amour de votre part. Je repars vraiment avec un cœur énorme rempli d’amour parce que vous étiez là et que ça m’a vraiment fait plaisir de vous rencontrer. C’était vraiment fabuleux, merci à vous.

Kim Jee-woon (réalisateur) : Alors, c’est aussi mon dernier jour avec vous, et comme je l’avais dit hier au Q&A, franchement, je suis venu ici vous donner de l’émotion et au contraire, c’est moi qui en ai reçu tellement de votre part. J’ai passé 4 jours ici au festival, vraiment géniaux, j’ai adoré. Je tiens à remercier le président du festival du film coréen à Paris, mais aussi toute l’équipe de programmation et tout le staff. Et je tiens à tous vous remercier d’être restés si tard avec nous, merci beaucoup !

Retranscription et photos de la conférence par et pour Onirik.net