Après-séance The Quiet Family avec Kim Jee-woon et Song Kang-ho

La session de question-réponse a eu lieu après la projection du film The Quiet Family[[Film non-sorti en France]], le premier long-métrage du réalisateur sud-coréen Kim Jee-woon. Cette après séance était dans le cadre du Festival du Film Coréen à Paris 2019 dans la section Focus en présence du réalisateur Kim Jee-woon et de l’acteur Song Kang-ho. Il peut y avoir des révélations concernant des scènes et/ou l’intrigue du film dans cet article. Si vous ne voulez pas connaître ces éléments, il est préférable de revenir le lire, après avoir vu le film !

Présentateur : Je ne vais pas vous faire attendre plus longtemps, je vous demande d’accueillir l’acteur Song Kang-ho et le réalisateur Kim Jee-woon ! Avant que le public ne pose ses questions, avez-vous envie de dire un petit mot au public qui vient de découvrir ce film ?

Kim Jee-woon (réalisateur) : alors ce film est vraiment mon tout premier long-métrage et je l’ai réalisé sans vraiment avoir d’expérience. C’est suite à la sélection de mon scénario que j’ai pu le réaliser et je pense qu’avec du recul, il donne l’impression que j’ai fait un film vraiment candide d’un nouveau réalisateur débutant. Je ne sais pas si vous aussi vous avez eu ce ressenti. Il a vraiment été fait longtemps avant le film J’ai rencontré le diable, c’est vraiment très différent alors je suis curieux de découvrir ce que vous en pensez.

Song Kang-ho (acteur) : Bonsoir (en français). Je ne sais pas vraiment si on peut qualifier ça de vieux film, mais c’est vrai qu’il a déjà 22 ans si on compte à partir du début du tournage. Lorsqu’il est sorti en Corée, c’était quelque chose de très sensationnel. Du jamais-vu, que ce soit pour les spectateurs, mais également pour les acteurs. C’est cette impression là que je retrouve aujourd’hui.

Présentateur : Comme c’est votre premier film, mais aussi le premier film que vous avez fait ensemble, pouvez-vous nous parler de votre rencontre et comment vous vous êtes trouvés ?

Kim Jee-woon (réalisateur) : alors moi, la première fois que j’ai vu Song Kang-ho, c’était dans une pièce de théâtre. Quand j’ai vu son jeu d’acteur, c’était quelque chose d’incroyable et je me suis demandé qui était ce comédien. C’était assez impressionnant, mais je n’ai pas vraiment retenu son prénom à cette époque-là. C’est en commençant à travailler sur mon projet que j’ai découvert le film de Lee Chang-dong qui s’appelle Green Fish[[premier long-métrage du réalisateur, c’est aussi celui qui a réalisé le récent Burning]]. Et que j’ai redécouvert l’acteur. Il avait là un rôle de gangster et beaucoup de personnes se sont demandé s’il n’était pas un vrai gangster qui jouait dans le film tant il était réaliste.

À ce moment-là, un autre acteur très connu en Corée, Han Suk-kyu[[acteur qu’on a récemment vu dans Idol, film sud-coréen projeté à L’Étrange Festival 2019]], qui m’a aussi parlé d’un nouveau visage dans le cinéma coréen. Il me disait qu’il était en train de tourner le film Number 3[[film encore non-sorti en France]] et m’a dit « Franchement, il faut que je te parle de lui, il est incroyable, tu vas vraiment halluciner, il faut que tu regardes ce film. ». Je suis donc allé à l’avant-première et quand j’ai vu Song Kang-ho à l’écran, je me suis dit « Tiens, c’est l’acteur que j’avais découvert quelque temps auparavant et dans le film de Lee Chang-dong ». Et je me suis dit aussi que pour mon premier long-métrage, il fallait que je lui fasse obligatoirement jouer un rôle.

D’ailleurs, dans The Quiet Family que vous venez de voir, le rôle campé par Song Kang-ho, au début, je pensais plutôt le donner à un acteur plutôt beau garçon et on peut dire que Song Kang-ho n’est pas forcément comme ça. Mais il joue formidablement bien alors j’étais prêt à faire des concessions.

C’est comme ça que j’ai pu faire mes premiers débuts avec lui et que le lieu de tournage… Je pense que ma réponse est un peu trop longue alors je reprends après la traduction.

Pour continuer, j’ai dû faire des concessions pour le casting, car je me suis dit que j’allais faire une croix sur un acteur super beau, mais j’étais totalement prêt à le faire pour faire jouer Song Kang-ho. Et sur le lieu de tournage, comme nous sommes issus de la même génération, on partageait un peu les mêmes sensations et sensibilités. Nous avions les mêmes codes, ce genre de chose. Donc pendant le tournage, lorsque nous avions une scène à tourner, on n’avait pas besoin de dialoguer pendant très longtemps. On avait la possibilité d’échanger sur des courtes descriptions. Je n’avais pas besoin de détailler, il avait déjà bien compris tout le personnage et arrivait à le jouer parfaitement. C’était ça qui était vraiment impressionnant et qui nous a plu, car notre relation a fonctionné dès le départ.

De plus, on voit que le film tourne surtout autour d’histoires de famille, mais quand on a commencé à tourner avec Song Kang-ho, c’est à ce moment que je me suis dit que ça allait vraiment prendre de l’ampleur, car il a vraiment quelque chose de spécial.

Présentateur : Si Song Kang-ho veut également partager ses souvenirs ?

Song Kang-ho (acteur) : Il y a 20/25 ans en Corée du sud, c’était la période où il y a eu l’arrivée d’énormément gros talents dans le cinéma, et évidemment, le réalisateur Kim Jee-woon en faisait partie. Ce dernier a vraiment son propre style et arrive à créer son univers unique et à avoir cette énergie assez monstrueuse qu’on ne retrouve pas forcément chez les autres réalisateurs. Je trouvais ça vraiment fascinant chez lui.

Comme vous l’avez entendu, je viens du théâtre et quand j’ai reçu le scénario, j’ai été très étonné de retrouver des codes similaires à une pièce, et j’admets que cela m’a intéressé.

Et puis au départ, quand on avait demandé aux producteurs des financements pour faire le film, ils étaient vraiment contre, ils disaient tous que ce n’était pas possible et qu’il ne fallait pas faire des films de ce genre-là. C’était trop choquant, trop nouveau, il y avait vraiment une tendance générale à refuser. Et pourtant moi, j’ai adoré cette sensation, cet aspect de jamais-vu, c’est ce genre de choses qui m’ont poussé et motivé à faire d’autres films avec Kim Jee-won par la suite. Car justement, il a ce don de toujours faire quelque chose de nouveau.

Question du public : Bonsoir et bravo pour ce film très drôle et très bien joué. J’avais une question pour M. Kim Jee-woon, quelles étaient vos influences pendant la réalisation de ce film ? Et au niveau de la mise en scène, avez vous eu l’influence en particulier du film Shining[[film américain de Stanley Kubrick]] ?

Kim Jee-woon (réalisateur) : Alors on va dire que c’était bien un nouveau genre hybride en Corée, quand j’ai sorti ce film. C’est un mélange entre une comédie et un thriller. Je pense que je fais partie de cette génération des cinéastes en Corée qui a une compréhension du cinéma assez poussée et qui n’a pas forcément peur de mélanger les genres. C’était ça qui faisait notre point fort, on a tellement ce côté, ce savoir dans le jonglage des genres, cela nous permet de faire ce type de films.

Et aussi, pour Shining, Kubrick est un réalisateur que j’aime énormément. Cependant, vous avez peut-être vu des similitudes dans le fait que le sujet parle d’une auberge dans la montagne ou peut-être dans l’utilisation de l’espace. Mais ce n’était pas un film qui m’a directement inspiré pour faire The Quiet Family, même si je l’adore.

Question du public : Bonsoir, merci d’être présents pour la présentation des films. Vous avez dit que c’était votre premier long-métrage et que vous l’avez fait avec peu d’expérience, alors quelles leçons avez-vous tirées de ce film et comment cette vision a évolué ?

Kim Jee-woon (réalisateur) : Alors, ma première motivation pour faire ce film part d’une histoire que j’avais lue dans un article de journal. C’était l’histoire d’un couple adultère qui avait tué une personne qui les avait menacés de révéler leur liaison secrète, et après avoir tué cette première personne, ils l’ont enterrée. Mais après, une autre personne a su que ce couple avait tué une personne et elle a voulu les dénoncer. Alors, le couple a également tué cette personne, et du coup dès que quelqu’un découvrait l’histoire, le couple le tuait et cachait le corps dans la montagne. Mon idée est donc partie de là, je me suis dit que ça serait drôle de raconter une histoire sur ça.

Concernant la mise en scène, c’est assez simple finalement, car je n’ai pas fait d’études de cinéma et je n’avais jamais travaillé dans le cinéma comme professionnel. Effectivement, je suis parti avec l’idée en tête que pour la mise en scène, il faut la vision de la scène. Qu’est-ce que je veux faire ? Après, oui, il faut se faire aider par d’autres professionnels, que ce soit dans les différents métiers du cinéma, par exemple, les acteurs comme Song Kang-ho, mais aussi ne pas se prendre la tête. Faut pas se compliquer la tâche en se demandant « comment on va bien faire » car on va droit dans le mur. Il faut ce côté simple et humble pour trouver la bonne réponse.

Ensuite la différence entre avant et maintenant sur ma façon de faire les films et notamment sur la mise en scène. Avant, j’avais plutôt tendance à aller vers quelque chose de plus esthétique, alors que maintenant, je réfléchis à ce qui est nécessaire et à ce que j’ai besoin de mettre à l’écran. C’est maintenant comme ça que je travaille.

Et aussi, si je peux me permettre de vous donner un conseil, je pense que mon expérience a joué. J’ai traversé pendant une longue période de ma vie quelque chose de dur. Une longue période de chômage de 13 ans, et c’est cela qui m’a peut-être permis de faire ce genre de film. C’est-à-dire que je restais chez moi sans voir beaucoup de gens autour de moi, ces expériences m’ont poussé à vivre des choses uniques qui me sont propres, et à avoir ce genre de sensations très personnelles. Je ne sais pas s’il y a vraiment un lien, mais en tout cas dans mon premier et deuxième film, je pense que c’est ça qui est retranscrit.

Question du public : Merci beaucoup d’être là. J’avais une question sur le terme « black comedy » et le mélange des genres. Et comment travaillez-vous autour de ça, est-ce que tout est écrit auparavant en terme de rythme, ou cela se tisse avec les acteurs, en particulier avec M. Song Kang-ho qui est un grand acteur et qui a cette fibre burlesque ?

Kim Jee-woon (réalisateur) : Ah, je pense que je vais encore devoir me jeter des fleurs sans vraiment faire exprès.

En fait ce film, j’ai à peine mis cinq jours pour l’écrire, car je voulais participer à un concours organisé par un journal Ciné21 qui existait à l’époque en Corée. Je suis allé carrément remettre mon manuscrit en mains propres avant la date de fin pour la réception des dossiers. Et quand je suis rentré chez moi, je me suis rendu compte que j’avais oublié deux pages de mon scénario.

J’ai paniqué donc j’ai appelé tout de suite la rédaction, je leur disais « Croyez-moi, je vous en supplie, j’ai oublié de donner deux pages de mon scénario et croyez-le, je les ai vraiment entre les mains et je vous les ramène ». Là, ils m’ont cru tout simplement parce que c’était deux pages qui étaient insérées au milieu du scénario. Ils ne pouvaient que me croire et je suis allé leur ramener les feuilles… Et là, je suis en train de me dire, mais pourquoi je suis en train de vous raconter ça. Je vais réfléchir à ma réponse.

Alors déjà, je m’excuse, car dès que j’ai un peu de temps pour raconter des anecdotes, je perds complètement mes moyens et je raconte n’importe quoi.

Comme je le disais, j’ai écrit le scénario en cinq jours, vous imaginez bien que je n’avais pas tout détaillé en amont ni tout bien réfléchi, mais ça a été écrit très rapidement. Ensuite, lorsque j’écris un scénario, il n’y a pas vraiment de manuel, c’est-à-dire que j’écris la « scène 1 », puis je réfléchis à voir comment les personnages peuvent évoluer, et après j’écris la « scène 2 » et ainsi de suite.

Du coup, il n’y a pas de manuel type, à chaque fois, je me base plutôt sur mes instincts et dans l’instant T, je laisse couler mon imagination et ça va tout seul. Parfois, vous avez ces moments là où les personnages arrivent à vivre tout seuls, on n’a pas besoin de forcer la main dessus, on voit que dès lors qu’il y a les personnages, une certaine situation et un espace, dès qu’on a ces éléments là, l’histoire vient d’elle-même. C’est peut-être pour ça que j’ai pu écrire mes scénarios de façon assez rapide, et aussi par rapport au scénario là… j’aurais pu vous raconter d’autres épisodes qui sont très très drôles sur ma remise de dossier au journal donc je vais m’arrêter là.

Présentateur : Peut-être voir avec Song Kang-ho, comment il l’a vécu ?

Song Kang-ho (acteur): Comme je vous l’ai dit, ma façon de travailler pour ce film avec Kim Jee-woon, c’était naturel. C’est un film d’un genre complètement nouveau qu’on n’avait pas l’habitude de voir en Corée à cette époque et comme je vous l’ai dit, le producteur du film est également un acteur très connu, un acteur vétéran. Il avait vraiment des gros doutes, il nous disait « Franchement, il ne faut pas faire ce film, on va se casser les dents dessus ». C’est ça qui m’a vraiment plu chez lui, le côté challenge et le fait qu’on allait vraiment se donner à fond. C’est comme ça qu’on a eu une bonne ambiance et tous les éléments pour faire quelque chose d’une manière vraiment super cool.

Question du public : J’ai une question pour M. Kim Jee-woon, j’ai vu pas mal de vos films, et j’ai été assez marqué par Le Bon, la Brute et le Cinglé et là en voyant votre premier film, on voit qu’il y a le thème de la violence qui est récurrent, qu’est-ce qui vous fait tourner vers la violence et votre façon de la montrer ?

Kim Jee-woon (réalisateur) : Ohlalala.

C’est vraiment ma phobie, j’ai toujours peur de la dernière question dans ces sessions de questions-réponses. On ne peut pas prendre une autre question ?

C’est demain en plus qu’on passe Le Bon, la Brute et le Cinglé[[film sorti en France le 17 décembre 2008]]. Si en Italie on appelle ça les western spaghetti, en Corée, nous avons le western kimchi.

Je ne sais pas si parmi vous, vous n’avez pas vu ce film, demain ça sera l’occasion de découvrir Song Kang-ho dans un rôle où il est complètement déjanté, déchaîné, complètement loufoque, je pense que vous allez pouvoir vous amuser.

Concernant la violence, on la voit de différentes manières, par exemple, la violence qu’on a dans Le Bon, la Brute et le Cinglé ou J’ai rencontré le diable[[film sorti le 6 juillet 2011 avec une interdiction de visionnage aux moins de 16 ans]], ou même dans Deux soeurs[[film sorti le 16 juin 2004 en France]] mais dans un autre style. Ça dépendra toujours du sujet, de l’histoire qu’on va raconter, de la mise en scène, c’est là-dedans que la violence peut intervenir de différentes manières.

Là, par exemple, on peut dire que dans mes films, il y a deux grands axes de violence, on a la scène de la cruauté, de la violence pure et on a aussi la violence pour montrer les sentiments les plus noirs que l’être humain pourrait avoir. Ce sont deux choses assez différentes, mais qui peuvent se retranscrire à travers la violence. Dans The Quiet Family, on voit ce côté de la violence retranscrit par l’ironie du sort, c’est-à-dire qu’on voit une famille, qu’on ne peut pas vraiment appeler « famille » car chacun mène sa vie de son côté.

Et au final, ils sont là en train de commettre un crime, ils sont en train de tuer des gens et de les enterrer. Plus le temps passe et plus on va voir cette famille se souder de plus en plus, on va voir une ambiance « on est heureux à la maison et tout va bien ». C’est cette ironie que je voulais faire ressortir et c’est ça qui est important quand on regarde mes films. Il y a une nuance des différents messages que peut avoir la violence.

De plus, je vais rajouter un petit détail, comment dans les autres films, on voit cette violence, je vais citer Shining comme on en a parlé tout à l’heure. Dans ce film, cette violence peut être montrée de cette façon-là. On voit Jack Nicholson qui arrive dans son chalet pour écrire son scénario, mais à la base, ce n’était pas un hôtel, c’est un lieu de massacre où on a tué des Indiens pour construire l’hôtel. On a donc là une simple comparaison avec les États-Unis et leur histoire, je pense que c’est ce genre de message qui porte sur la violence de façon assez originale et un moyen de voir différents types de violence.

D’ailleurs, tout au long du film, le héros devient de plus en plus fou et c’est aussi une comparaison avec le pays, car les États-Unis sombrent dans une certaine folie, c’est une manière de voir le film.

Je suis sinon vraiment très ému d’avoir pu avoir cet échange avec vous alors qu’il est assez tard. J’espère que vous serez aussi là demain où Song Kang-ho va jouer le cinglé.

Song Kang-ho (acteur) : Comme l’a dit Kim Jee-woon, je suis énormément touché de vous voir si nombreux à cette heure tardive. Je repars avec un coeur énorme de vous voir si nombreux. J’ai hâte de vous voir demain, merci beaucoup !

Retranscription et photos de la conférence par M.TA pour Onirik.net