Rencontre avec Ang Lee pour Gemini Man

La session de question-réponse a eu lieu après la projection du film Gemini Man du réalisateur américain Ang Lee. Il y a de nombreuses révélations dans cet article, concernant des scènes et l’intrigue du film. Si vous ne voulez pas connaître ces éléments, il est préférable de revenir après avoir vu le film.

Présentatrice : Que s’est-il passé dans votre tête et quelle était votre vision personnelle du film quand vous avez lu le script de Gemini Man ?

Ang Lee : Pour être honnête, ce n’est pas l’idée qu’il y avait au départ dans le script, mais l’idée vient de l’image de l’enfant innocent. Je pense que la technologie permet de mettre un assassin face à lui-même, plus jeune. C’est d’abord cet aspect technique qui m’a intéressé, à savoir quelque chose d’immersif et réaliste. C’est une nouvelle manière d’engager une relation avec le public. Je pense que si c’est quelque chose proche du réel, c’est alors une expérience où on ressent plus de chose. Avec l’idée du clone, il y a moins de contrôle, c’était donc le choix le plus intéressant à mes yeux. C’est en ça que le script m’a intrigué.

Présentatrice : Plusieurs films font affronter le héros à un soi plus jeune, mais c’est assez peu des clones, non ? D’ailleurs l’idée du clone n’était pas dans le script original.

Ang Lee : Je vois cela comme la nature contre la nature, il y a une question de l’acquis, la vie et la mort. Je me suis demandé comment on pouvait faire pour se retrouver face à soi plus jeune et si cette personne nous est identique ou non. Il y a des questions d’existence, c’est pourquoi l’idée du clone s’est imposée. Le clone nous ressemble mais il peut être au plus profond de lui différent, du fait que la société l’a modelé différemment. Le clone est une vraie personne ? Ou bien est-ce un robot comme Terminator ? S’il a une âme, cela a plus de sens, on est donc partis sur ce fondement.

Présentatrice : vous parlez de film d’action existentiel ?

Ang Lee : C’est vraiment une appellation sexy de ce genre de film. Je suis quelqu’un qui trouve les films d’action funs, je ne peux pas le nier, j’aime en réaliser mais j’aime aussi explorer de nouveaux domaines qui posent des questions existentielles. Mais comment faire venir le public vers un film qui est plus de genre ? C’est ça le vrai challenge, c’était donc assez excitant.

Présentatrice : Vous avez partagé des doutes avec Will Smith, comment avez-vous fait pour présenter deux personnes à l’écran, cette sorte d’alter ego ? Avec des thèmes tels que la vie, la mort, la paternité, posez-vous vos propres doutes à l’écran ?

Ang Lee : la relation père-fils, c’est vrai que je me suis dit que c’était une relation spéciale et en particulier dans un film d’action qui a un fond macho profondément ancré. Il y a une dose d’agression et d’agressivité nécessaire, comme personne de la gente masculine, on peut comprendre ça.

Question : Pourquoi avoir filmé en 120 images par seconde ?

Ça vient des films en 3D, quand j’ai réalisé mon premier film, c’était très perturbant. Très stroboscopique et impossible à regarder. Vos deux yeux doivent converger vers le même point, un point de convergence pour former une image dans notre tête, c’est comme dans la vraie vie. C’est pourquoi vos yeux peuvent croire que c’est réel, qu’on est dans l’image. Dans cet état, les yeux enregistrent toutes ces informations, l’esprit en veut plus. Donc à 24 images par seconde, on ne peut pas regarder un film correctement. A 120, ou entre 90 et 100, l’effet stroboscopique disparaît. 120 c’est le format le plus adapté, et on lui a donné le nom sexy de 3D+

Question : Est-ce facile de faire jouer à Will Smith un jeune homme de 23 ans ?

Ang Lee : C’est assez difficile. En général, après avoir vu le tigre de L’Odyssée de Pi, on me demande si on a encore besoin de vrais acteurs. Mais là par exemple, Junior m’a coûté beaucoup plus cher que Will Smith, donc je ne crois pas que les acteurs doivent s’inquiéter. C’est très compliqué car contrairement au tigre de Pi, les visages des acteurs nous sont très familiers. Sans parler de celui de Will Smith, on le connaît et on l’aime. Avec lui, on a passé beaucoup de temps à travailler ensemble sur ce projet. Sur la mémoire que les gens ont de lui, sur ses manières et sur son jeu d’acteur. Pour le CGI de lui plus jeune on a dû faire différents points de vue de lui-même. Avec l’âge, la peau, la forme du visage, les expressions changent, mais moins le regard. Will Smith, tout le monde le connait depuis qu’il a 12 ans, donc il fallait faire attention. Comme le spectateur se méfie, on doit donc l’intéresser à notre histoire pour lui faire oublier les effets spéciaux. Le plus jeune joue le rôle du sale type, mais il doit tout de même rester attendrissant. Il faut prendre un peu de ses sourcils, un peu de son sourire, mais ce n’est pas facile, il faut faire plusieurs essais. L’autre problème est que Will Smith est meilleur acteur maintenant que dans sa jeunesse, c’est donc compliqué de faire transparaître la nuance sans choquer.

Question : Utilisez-vous un story-board pour préparer vos scènes et quelles recherches sur l’environnement avez-vous pu faire ?

Ang Lee : J’ai une drôle de relation avec les storyboards. Quand j’étais jeune, je n’étais pas mauvais dessinateur. Quand j’étais étudiant en première année, je dessinais consciencieusement et je tournais. En deuxième année, je me suis demandé pourquoi on filmait en suivant des images fixes. Je ne voulais plus faire ça, j’ai résisté à ça tout le long de ma carrière, mais les studios l’exigent. Les story-boardeurs travaillent différemment des réalisateurs. C’est parfois utile pour les scènes très techniques, mais depuis L’Odyssée de Pi, je travaille sur un principe dramatique. Je réfléchis à une scène, je la fait répéter, puis je cherche le bon angle pour la filmer.

Cependant, pour ces nouveaux gros films et les nouveaux médias, je suis obligé de faire des story-boards, sinon je ne peux pas retourner en réunion et refaire les plannings. Le story-board est nécessaire, mais je fais aussi travailler sur la perception des sens. L’animateur et le chorégraphe venaient sur les lieux pour faire des repères. Pour les chorégraphes, ça donne l’impression qu’on improvise, mais là comme on a besoin du digital après, il faut être précis dans la prévisualisation. Et pas seulement dans les scènes d’action, mais aussi dans les scènes de jeu, car ces visages de synthèse coûtent très chers. J’espère vraiment qu’un jour ces techniques seront à la portée de tous.

Question : Comment avez-vous tourné les séquences d’action ?

Ang Lee : Quand les deux sont dans le même cadre, on avait un jeune acteur qui a une stature similaire à Will Smith, avec une peau jeune. C’était une référence pour Junior et il interprétait le rôle avec conviction. On les fait répéter, tourner et on fait le montage. Ainsi dans les combats en corps à corps, on a demandé à Will de tout retourner. Il doit refaire les mêmes mouvements avec le moins de différences possibles, mais sa performance est complètement nouvelle. On passe cela dans le processus de montage et on modifie avec le CGI et motion capture. Avec le scanner on a alors découpé son visage qu’on a collé sur le corps du jeune. Le processus est très long et épineux. Par exemple, la scène des catacombes a été très compliquée à faire.

Question : dans l’histoire on a l’impression que Junior a été créé pour qu’il ne ressente pas d’émotion, or il a été transformé en un être avec des sentiments, pourquoi ça ?

Ang Lee : On ne voulait pas répéter un Terminator, ça a déjà été fait. C’est un classique un super film, mais il est déjà fait. La première chose que je me suis demandé c’est est-ce qu’un clone a une âme ? Cela m’a longtemps préoccupé, ainsi la décision que j’ai prise sur le sujet n’est pas factuellement mais vraiment artistique. Je voulais faire du clone la personne la plus humaine du film, donner l’impression que nous sommes plus des clones que lui. Là, je voulais quelque chose d’humain, le clone est une personne humaine. Cela me fait penser à ce qui définit une personne, il a tout d’une personne. Mais qu’est-ce qui fait de nous des personnes et non des clones ?

C’est la conscience de soi qui nous définit en tant qu’être humain. En nous examinant, on peut analyser nos comportements, et si on en a conscience, alors nous sommes des êtres authentiques. C’est le principe du libre arbitre et c’est pourquoi il n’est pas qu’un clone.

Retranscription et photos de la conférence par M.TA pour Onirik.net