Devenir mangaka en France (Table ronde Glénat Manga)

Présentateur : Sous vos applaudissements, veuillez accueillir Antoine Dol, scénariste de 4Life. Veuillez accueillir Christophe Cointault, mangaka sur Tinta Run. Veuillez accueillir VanRah, pour Stray Dog et son dernier manga MortiCian. Et enfin, Vinhnyu, dessinateur sur 4Life. Bien, maintenant, est-ce que vous êtes là pour devenir des mangakas (en s’adressant au public) ? Durant cette conférence, je vais poser des questions et sinon n’hésitez pas à intervenir à tout moment.

Donc on va commencer, est-ce que vous pouvez rapidement vous présenter à votre sauce ?

VanRah (mangaka) : Bonjour à tous, je suis VanRah, certains me connaissent déjà via certains titres comme Stray Dog ou Ayakashi. Je reviens cette année avec MortiCian et je suis très très heureuse de vous retrouver et de rencontrer certains d’entre vous pour la première fois.

Vinhnyu (dessinateur) : Bonjour, je suis Maître Vin, rappeur au grand coeur. Célèbre youtubeur aux huit abonnés. Peut-être un neuvième, parmi vous ? Et apparemment, je suis mangaka.

Antoine Dole (scénariste) : Je m’appelle Antoine Dole, je suis auteur de romans et de BD jeunesse. 4Life est mon premier manga avec Vinhnyu.

Christophe Cointault (mangaka) : Moi je suis Christophe Cointault et je suis le mangaka du titre Tinta Run fraîchement sorti chez Glénat.

Présentateur : Avant d’être mangaka, est-ce que vous faisiez un autre métier ? Ou étiez-vous déjà dans le dessin, le graphisme ?

Antoine Dole (scénariste) : Ça fait 10 ans que je publie des romans et que je fais essentiellement cette activité d’écriture. Et le manga, ça fait deux ans et demi qu’on travaille dessus. C’est mon activité principale d’écrire des scénarios et des romans.

Christophe Cointault (mangaka) : Dans une autre vie j’ai été agent des impôts, j’ai connu le métro-boulot-dodo. Le fait que mon rêve de vivre de la BD s’éloigne de plus en plus m’a poussé dans mon coup de folie de tout arrêter. Ma femme m’a soutenu pour d’abord me lancer dans l’auto-édition puis ensuite, je me suis mis un coup de boost pour être édité chez Glénat. C’était l’éditeur qui me faisait rêver grâce à Dragon Ball, One Piece, ce qui me parle vraiment. J’ai donc fait un dossier éditorial à Glénat et c’est comme ça que je suis devenu mangaka.

VanRah (mangaka) : A la base, mon vrai métier, le tout premier c’est d’être ostéopathe-pédiatre, donc rien à voir avec le manga et les métiers d’art. J’ai fait des études scientifiques avec tout ce qui va avec comme la thèse de fin d’études, etc. J’exerce toujours actuellement dans un centre hospitalier spécialisé dans la petite enfance.
Au début, c’était pour mes petits patients, pour leur expliquer les choses plus facilement, comme je suis une spécialiste des lésions du squelette sur le bébé et le très jeune enfant. J’ai gardé ce moyen d’expression que j’ai développé en autodidacte. Puis j’ai appris les bases auprès d’auteurs de comics. Donc, avant de faire du manga, j’ai été médecin, puis après, j’ai été médecin et auteure de comics, et maintenant médecin, auteure de comics et mangaka.
Actuellement, je suis à temps partiel sur le plan médical, car comme vous pouvez le constater, le dessin me prend de plus en plus de temps.

Vinhnyu (dessinateur) : J’ai d’abord commencé une formation en génie électrique que j’ai arrêtée. Puis comme je ne trouvais pas de travail en 2008, j’ai commencé à dessiner, car je n’avais rien d’autre à foutre de ma vie. Je suis allé une fois dans une librairie, j’ai regardé les BD, et il y en avait qui étaient vraiment de qualité assez médiocre. Je me suis dit que même moi, je pouvais faire mieux et donc je me suis lancé.

Présentateur : Comment as-tu appris en autodidacte VanRah ? Tout en progressant avec des auteurs de comics ?

VanRah (mangaka) : J’ai fait les deux. J’ai appris toute seule et progressé toute seule, mais à un moment, il m’est arrivé de lire des comics et de voir que certains auteurs poussaient le dessin vraiment loin. A l’époque, il y avait encore une messagerie instantanée qui existait « MSN », avant Facebook. Les auteurs américains avaient tendances à mettre leur messagerie à la fin des volumes et on pouvait les contacter.
J’ai tellement aimé les comics d’Ivan Reis que je lui ai envoyé un message, je lui ai dit « J’adore la manière dont vous dessinez. Moi, j’ai un problème pour me lancer dans le dessin, auriez-vous un truc à me conseiller ? ». J’étais persuadée qu’il n’allait pas me répondre, mais comme je fais des gardes de nuit, il m’a répondu tout de suite et il m’a tout de suite proposé de me montrer par webcam.
Au final, j’ai eu la chance d’avoir des auteurs qui m’ont ré-expliqué les bases.

Présentateur : Christophe, toi, tu dessinais déjà avant ? Des cours ? Autodidacte ?

Christophe Cointault (mangaka) : Je pense qu’on dessine tous depuis toujours, après on est fait pour ça ou non. Et on aime continuer à faire ça, on veut passer le reste de notre vie penché sur une feuille à dessiner des petites cases qui nous font rire et rêver nous-mêmes. Ce n’est pas un diplôme accroché au mur qui intéresse les éditeurs, mais ce que vous serez capable de produire vous-même. Pour apprendre, je sais qu’il existe des écoles, je n’en ai pas fait. J’ai fait un passage aux Beaux-Arts d’Angoulême, ça ne m’a pas servi à grand-chose, sauf sortir de chez moi et rencontrer des jeunes qui avaient un super niveau. Ça met un beau coup de pied au cul. Mais après, c’est vraiment du travail personnel et c’est rassurant. Peu importe d’où on vient, peu importe notre pedigree, notre cursus, etc. L’éditeur regarde votre projet. Je ne suis pas sûr qu’ici, il y ait un diplômé.

Présentateur : Antoine, et toi, ton envie de scénario ?

Antoine Dole (scénariste) : J’avais surtout une envie de raconter des histoires. J’ai eu la chance d’être repéré il y a 10 ans sur un blog. J’avais un blog sur lequel je racontais des choses. Une sorte de journal intime pas du tout intime. Un éditeur m’a donc contacté pour savoir si ça m’intéressait de travailler sur un premier roman et puis la BD est venue par la suite, car je voulais toucher les gens. Le roman, c’est une écriture qui est lente, qui met du temps à toucher les gens, à leur parvenir. Alors qu’avec le dessin, on a un effet plus fulgurant, plus immédiat qui m’a donné envie de travailler sur de la BD. Je ne savais pas qu’on pouvait devenir mangaka en étant un auteur français il y a très longtemps de ça et donc j’ai commencé par de la franco-belge avec une série qui s’appelle Mortelle Adèle. J’en ai toujours l’écriture.
Il y a 3 ans, je me suis secoué, j’avais un rêve, le manga. C’est avec ça que j’ai découvert la bande dessinée ado, et je me suis dit que j’allais y aller au culot en proposant quelque chose à un éditeur. Avant ça, j’ai rencontré Vinh et on a contacté les éditions Glénat.

Présentateur : Et toi Vinhnyu ? Tu as pris des cours ? Ou tu as dessiné à fond.

Vinhyu (dessinateur) : Bah je fais comme tout le monde, je copie tout le monde. Internet est tellement gorgé de dessins, donc quand un me plaisait je le reproduisais. Je ne sais pas si j’ai vraiment un style.

Présentateur : Comment avez-vous proposé vos projets aux éditeurs ? Comment l’avez-vous fait ?

Antoine Dole (scénariste) : J’avais une idée de scénario de départ et je ne voulais pas arriver chez un éditeur sans illustrateur. Je trouvais ça intéressant de venir en binôme et avec un projet assumé et construit. C’est une connaissance commune qui nous a mis en contact avec Vin et ça a matché. Il n’aime pas qu’on dise qu’il dessine bien, mais il dessine très bien.
On a proposé le projet en l’envoyant par la poste aux éditions Glénat. Ils nous ont répondu 15 jours plus tard. On y avait mis quelques planches, quelques bases de l’histoire et ils nous ont donné notre chance. C’était une graine et ils nous ont permis de l’agrandir tous ensemble.

Christophe Cointault (mangaka) : Comme je l’explique à la fin de Tinta Run, il s’est avéré qu’après mon expérience en auto-édition j’étais en atelier à Blois à la maison de la BD. Mais ça ne me plaisait pas trop, donc je suis revenu à domicile. Je me suis dit qu’il fallait que j’apprenne à mieux écrire et mieux dessiner, mais surtout mieux comprendre ce qui fait un manga, c’est-à-dire les codes, la structure, tout en y apportant ma touche française et européenne. Ça m’a demandé quelques mois d’écriture et je pense qu’il faut vraiment être enfermé chez soi. C’est une étape fondamentale pour construire quelque chose de nouveau. Puis les premiers croquis sont arrivés, ça ne s’appelait pas du tout Tinta Run, c’était vraiment un projet balbutiant.
Puis il y a eu quelque chose d’un peu magique, je me suis dit que ce projet-là, j’allais le porter jusqu’au bout. Je savais que je devais aller chez Glénat. Donc 4 mois après avoir construit un dossier éditorial, je l’ai envoyé par mail en PDF. J’avais tout scanné et mis les croquis en ordre.

Présentateur : Qu’est-ce que c’est un dossier éditorial ?

Christophe Cointault (mangaka) : C’est ce qui présente votre projet. Il y a les premières planches d’abord, car c’est ce qui intéresse l’éditeur. Puis il y a le synopsis, c’est-à-dire l’histoire résumée en 10 lignes. La structure, combien de tomes, on veut faire, à quel public ça s’adresse, la note d’intention où on explique nos thématiques, notre univers et des petits détails. La présentation des personnages principaux et un petit dessin couleur. Cela doit être assez concis aussi, c’est donc vraiment la première étape entre le projet balbutiant et le contact avec l’éditeur.
J’avais une adresse mail de Glénat qui traînait dans ma boite mail, ce n’était pas du tout Glénat Manga. Je lui ai donc envoyé à lui, qui l’a transmis à un éditeur jeunesse de Glénat qui m’a contacté le lendemain. Dès ce mail, je me suis dit que je ne pouvais pas lâcher, on s’est téléphoné et il s’est rendu compte que j’étais plus manga donc il m’a réorienté vers Glénat Manga.

VanRah (mangaka) : Moi, ça a été complètement différent puisqu’à la base, j’étais une des premières à percer dans le manga avec une mangaka d’origine française. Je dirais donc que si je n’avais pas été là vous ne seriez pas là chez Glénat. À la base, j’avais envoyé un projet à tous les éditeurs, je publiais déjà en ligne et j’avais un lectorat qui était pas mal à l’étranger et qui m’avait dit que je devais passer en édition car à l’époque, le format numérique ne se faisait pas très bien. C’était donc plus pour qu’on me laisse tranquille, mais je me suis aussi prise au jeu. J’ai commencé à démarcher les éditeurs en 2008 et je n’ai eu que des réponses négatives, car le manga avec un auteur français ça n’existait pas, il n’y avait pas de ligne éditoriale pour ça et le manga, c’est japonais.

Beaucoup d’éditeurs, dont Glénat, m’ont découragée en disant que ce que je faisais, c’était nul. Que je devrais arrêter le dessin, car il était inintéressant et que je ne percerais jamais là dedans. Bref, que je devais arrêter de perdre du temps. De plus, j’avais précisé que je n’avais pas fait d’école, sur quoi ils ont renchéri que je devais d’abord apprendre les bases avant de les recontacter et qu’ils n’avaient pas de temps à perdre.

En fait par dépit, comme beaucoup ne me disaient pas vraiment pourquoi ils m’avaient refusée, j’ai approché un éditeur nord-américain d’auteurs avec lesquels je travaille en tant qu’encreuse. Il proposait une sorte de tremplin, ça existe depuis longtemps ailleurs, le but étant d’avoir de la visibilité et des lecteurs qui commentent directement en disant ce qui est bon et ce qui n’est pas bon. A la base j’ai donc commencé à poster les pages de Stray Dog et ça a fait un carton en un mois avec environ un million de vues par jour. Je me suis alors dit que je devais reproposer, j’avais là un bagage, un panel de lecteurs internationaux. Mais ça ne s’est toujours pas fait. Puis j’ai rencontré Izu1 en convention qui cherchait un dessinateur qui puisse tabler avec l’univers qu’il voulait mettre en place pour une série qui est devenue Ayakashi. Il a flashé sur mon dessin et on a commencé ensemble. Il m’a fait rencontrer l’ancien directeur éditorial de Glénat, Stéphane Ferrand. Quand il a vu mon style de dessin il m’a dit « Non mais en fait, on ne fait pas de copie, on veut de l’original et j’ai déjà vu ça passer quelque part. » et en fait il lisait Stray Dog en ligne. Moi, j’avais fait mes dossiers à Glénat, mais je n’avais pas les contacts, j’ai envoyé par courrier simple qui n’est jamais passé. Donc, finalement, ils ont racheté une série qu’ils auraient pu avoir à la base.

Présentateur : Et puis à l’époque, l’éditorial était un peu différent.

VanRah (mangaka) : Mais aussi, mes titres se basent sur des contes, des mythes et légendes où le folklore est très présent. Maintenant ça devient commun avec les séries qu’on a, mais à l’époque ça ne se faisait pas de s’allier avec un auteur autodidacte, qui est dans un genre manga avec l’idée préconçue que seuls les Japonais peuvent faire du manga, avec des thèmes qui ne correspondaient à du seinen donc très réduit.
Puis ils ont découvert que ça marchait, on était dans une même fournée de 5, et on a eu la chance d’avoir tous les 5 des bons retours ce qui a permis d’ouvrir le marché.

Présentateur : Racontez-nous pourquoi vous êtes arrivés chez Glénat et le jour où on vous a dit oui sur votre projet. Enfin, pour vous 4, comment travaillez-vous avec l’éditeur, avez-vous des retours, comment ça fonctionne ?

Vinhnyu (dessinateur) : Antoine m’envoie le script validé par l’éditeur. Et à partir de ce script et des dialogues, je commence le story-board. Puis je l’envoie à l’éditeur et à Antoine pour qu’ils valident. D’habitude, on essaye d’avoir un rendez-vous sur Paris pour le clarifier. Une fois validé, j’encre, je le finalise et j’envoie chapitre par chapitre finalisé à Antoine et à l’éditeur. Une fois le volume fini, on essaye encore de faire des petites corrections, par exemple s’il manque des petites choses.

Antoine Dole (scénariste) : La conception d’un livre c’est aussi une aventure collective, et on a la chance de travailler avec un éditeur qui est très présent, qui est à nos côtés lors de la conception du scénario, story-board, à chaque instant de la finalisation des planches. C’est plutôt confortable d’être dans l’échange, on se met autour d’une table, on discute, on voit comment arriver à la narration la plus cohérente possible, mais aussi selon nos envies. Faire un livre qui nous ressemble et qu’on serait fier de porter et de défendre. C’est un travail de ping-pong qui nourrit la création, les idées.

VanRah (mangaka) : Je ne travaille pas du tout de la même manière. Je sais que pour beaucoup, il y a ce travail d’échange, mais ce n’est pas pareil pour chaque auteur. J’ai la grande chance d’avoir carte blanche sur tous mes tomes, je présente le synopsis, si ça plaît, c’est pris. Mais après, ils ne me revoient que lorsque le tome est terminé. C’est vraiment une très grande chance. Et à la base, les personnages et moi, on a pu montrer qu’on était capable d’évoluer tout seul.

Antoine Dole (scénariste) : Je ne suis pas certain que se soit une question de prouver qu’on peut évoluer tout seul, mais plutôt une question de désir. Moi, j’ai des projets où je désire être tout seul aux commandes et où je décide de A à Z ce qu’il y aura dans mon livre et il y en a d’autres où je trouve que c’est intéressant d’avoir un éclairage différent. Je crois que ça dépend vraiment du projet, au cas par cas.

VanRah (mangaka) : ça dépend aussi de la manière dont les gens aiment travailler. Je suis très autonome donc ça ne me dérange pas d’être seule, au contraire, ça me dérangerait d’avoir quelqu’un au-dessus de mon épaule qui vient donner son avis. Cela ne m’empêche cependant pas quand j’ai un souci ou des questions, des moments de doute, de demander un avis, pour savoir si c’est cohérent et compréhensible, car je suis dans un univers très complexe, très détaillé, et ainsi avoir un regard objectif et extérieur, comme le fera un bon béta-lecteur. C’est vraiment pratique, et ça, on ne l’a pas quand on est en auto-édition. Alors oui et non, on n’a pas forcément le même suivi, ni le même recul.

Présentateur : Et donc toi Christophe, tu as aussi ce suivi ? Comment ressens-tu l’échange éditorial ?

Christophe Cointault (mangaka) : J’ai tout découvert au fur et à mesure après le dossier éditorial. J’ai rencontré physiquement mon éditeur et c’est surtout une relation humaine, donc soit ça se fait soit ça ne se fait pas. Chaque parcours est différent. J’ai eu la chance de rencontrer quelqu’un qui rentrait dans mon délire, dans mon petit monde. Donc pour le coup, j’aime ce dialogue qui m’aide à construire Tinta Run correctement, car sinon j’aurais tendance à faire un univers très foisonnant, avec beaucoup de pistes lancées, de termes inventés, dès le début. L’éditeur est là pour me « recadrer », me rendre plus réaliste et faire un objet le plus cohérent possible. On fait des réunions, il réceptionne mes planches pour scanner et on discute de la suite.
Une fois le story-board du tome suivant terminé, je le lui envoie par PDF et on discute encore. On discute presque tous les jours par facebook, parfois pour rien ou des détails. Moi ça me fait me marrer et on est tous les deux dans notre délire donc c’est très bien comme ça.

Antoine Dole (scénariste) : Ce qui est intéressant c’est que c’est toujours dans le domaine de l’échange. L’éditeur ne va pas venir en nous imposant une vision.

Christophe Cointault (mangaka) : Avant j’avais vraiment une image horrible de l’éditeur, mais ici non, même s’il est bon que l’éditeur ait une vision.

VanRah (mangaka) : Je te garantis que ça existe. J’en connaissais un qui imposait vraiment les choses. Ça dépend du vécu de l’auteur, ça dépend aussi sur quel éditeur on tombe. Il y en a qui restent plus sur leur position que d’autres. Ici l’intérêt, c’est pourquoi je suis restée chez Glénat. J’ai reçu d’autres propositions, mais j’ai axé chez Glénat, car ils ont compris l’univers. Ils ne se demandent pas si ça va se vendre ou pas. Ils ont à coeur de défendre les personnages comme nous, on les aime. Mais ils s’adaptent aussi au cas par cas, je découvre ici une manière différente dont ils travaillent avec les autres, comme on ne travaille pas du tout comme ça. Ils sont modulables, ce n’est pas une personnalité dominante avec des collaborateurs. Moi, je dis plus, « Notre série vient de sortir. » plutôt que « Je suis l’auteure de… » car je vois tout le travail des équipes dessus. Je le dessine, mais je vois aussi ceux qui passent derrière.

Antoine Dole (scénariste) : Ce qu’on dit sur les éditeurs est aussi valable pour les auteurs. Certains n’ont pas envie qu’on leur fasse des réflexions, et sont fermés à l’échange. C’est un couple, il y a de tout. Le meilleur match est quand tout le monde est dans les meilleures dispositions pour la création.

Présentateur : Comment sont vos méthodes de travail ?

Antoine Dole (scénariste) : J’étais très effrayé quand j’ai commencé à bosser sur le manga car il y a un nombre de pages vraiment conséquent. Sur 4Life on est à peu près à 220 pages et ma première crainte quand j’ai réalisé que l’éditeur avait dit oui sur une partie du scénario, c’était de me dire « Zut, je dois écrire 200 pages ». L’éditeur a vraiment été là, il m’a enseigné une méthode que j’applique maintenant, c’est de tronçonner chapitre par chapitre. Écrire 20-25 pages à la fois, c’est beaucoup moins impressionnant que de se lancer dans un scénario de 200 pages. J’ai la sensation que ça balise aussi le travail.
Niveau méthodologie, je travaille sur papier et sur l’ordinateur, je trouve que la lenteur du geste de l’écriture sur le papier amène des scènes plus intérieures, plus lentes. Là où le clavier est plus intéressant c’est pour les scènes d’action car je travaille plus rapidement. C’est un petit truc personnel qui ne se justifiera peut-être pas d’une personne à l’autre, mais je crois que le but est de trouver le meilleur média, le meilleur vecteur pour donner ce qu’on a à donner de la meilleure façon.

Vinhnyu (dessinateur) : Moi, sur 4Life, le story-board est fait dans un petit carnet que je scanne et que je reprends à l’ordinateur. Quand je reçois le script qui est scindé en petits chapitres, c’est plus facile que les 200 pages, surtout qu’on a des check-point. Parfois, pour la mise en scène, Antoine l’indique dans le script et j’essaye de le réaliser. Si je trouve que ça ne va pas, je change un petit peu pour que ça marche.

VanRah (mangaka) : Quand je commence une série, j’ai le scénario qui est bouclé de A à Z, mais c’est dans ma tête, donc malheureusement, si je disparais demain, vous n’aurez jamais la fin des séries. Après, je vois les séries comme un film que je déroule dans ma tête, il y a chaque séquence qui correspond à un gros plan. Donc, finalement, quand je suis en train de réaliser la partie dessin, je suis sur un support papier plus traditionnel et ça me permet de mettre tout de suite en page. D’ailleurs, quand on regarde dans la partie du stand Glénat, il y a des carnets où vous pouvez trouver l’intégralité de Stray Dog 4 par exemple. Le dessin, je le fais directement sur ma planche, je ne passe pas trop de temps à faire un brouillon, pour moi c’est fait en un seul jet à l’encrage. Donc le carnet sert surtout à ne pas oublier des éléments ou à tourner la scène dans un certain sens.

Je travaille sur une tablette numérique, elle est très grande et donc je numérise directement mon dessin. C’est utile, car je ne travaille pas sur une seule série, j’en ai 5 à mon actif, donc ça me fait gagner beaucoup de temps au niveau de l’encrage. Je n’ai pas à gommer, car gommer enlève une pellicule d’encrage, quand on va scanner, on va voir tous les traits et il faut alors repasser dessus. De plus économiquement parlant, c’est plus intéressant, car les stylos spéciaux que j’utilise pour l’encrage, c’est 5 € pièce et par planche, il m’en faut deux.
L’intérêt, c’est de pouvoir envoyer à tout instant les planches.

Christophe Cointault (mangaka) : Moi ma méthode, c’est zéro ordi. Je suis incapable d’utiliser l’ordinateur, ça me saoule, je n’ai pas le même geste, je perds mon geste. Je suis penché sur le papier, j’adore ça. J’adore autant écrire que dessiner, donc j’ai différents niveaux d’écriture dans une histoire. Je sais où je vais, je sais comment boucler mon histoire. J’ai beaucoup d’écriture sur le monde, les personnages, ce qu’il va se passer.
J’ai des stylos, papier, carnets de croquis. Ensuite, mon story-board est assez détaillé et fait au stylo. On peut y voir le placement des bulles, la taille des cases, le placement des visages, etc. J’aime bien me prendre la tête à ce moment là car j’ai peur d’oublier l’idée que j’avais sur le coup alors que dans le story-board, on est dans l’élan. Ensuite crayonnage, puis encrage à la plume, et parfois des petits feutres. Ensuite, je gomme et j’essaye de faire deux planches par jour.

Présentateur : Mais donc quand il y a des recours, contrairement au numérique, tu les refais sur ta planche.

Christophe Cointault (mangaka) : En général, comme le story-board est très précis et qu’il est validé par l’éditeur, il n’y a pas de reprise. Il y aura toujours des petits trucs quand même, mais au niveau du rendu des planches, on fait une grosse réunion. Mon éditeur re-regarde toutes les planches, car il y a des différences entre les planches et le story-board. Mais en principe, c’est minime. Il n’y a pas vraiment de hasard. C’est la méthode qu’on a mise en place, et ça me permet de produire deux livres par an.

Question du public : Pourquoi avez-vous décidé d’être mangaka en France et non au Japon ?

Présentateur : Juste pour information, Vinhnyu est publié au Japon car il a gagné un tremplin.

Vinhnyu (dessinateur) : Je vais donc répondre en premier. Pourquoi être mangaka en France ? Tout simplement, car je ne parle pas japonais, je ne suis pas japonais et voilà. C’est tout con.

Antoine Dole (scénariste) : A choisir, je trouve que la création française est intéressante, notamment parce qu’au Japon je crois que la publication transite par la presse. C’est assez frustrant quand on discute avec des mangakas japonais, car ils doivent obéir à une certaine charte en terme de public, en terme de lectorat, le genre auquel tu destines ton histoire. Là, on a un terrain de liberté, un champ d’exploration et de créativité qui est plutôt illimité. On peut mélanger les genres, avec 4Life c’est ça, on mélange le fantastique et le récit de l’intime, on fait des magical girls qui se font entretuer. C’est intéressant de mélanger les genres. Certains mangakas japonais peuvent nous envier, car on est totalement libre de proposer des histoires telles qu’on les a imaginées et pas tel que le cadre nous les impose.

VanRah (mangaka) : Personnellement pour avoir testé la publication américaine, ainsi que la publication japonaise comme j’ai un de mes titres qui est publié chez Shonen Jump +, ce qui m’a poussé à rester avec un éditeur français, c’est vraiment le fait de pouvoir rencontrer ses lecteurs physiquement. Ailleurs, c’est loin, il faut y aller et on ne va pas forcément pouvoir rencontrer les gens directement. Bien sûr internet, c’est super et on peut communiquer en permanence, mais voir les gens qui font vivre les personnages – car ils nous en parlent comme s’ils parlaient d’amis – pour moi qui considère mes personnages comme mes enfants, ça me fait vraiment plaisir. C’est quelque chose qu’on perd quand on ne publie pas dans son propre pays. J’ai déjà eu des dédicaces aux Etats-Unis, les gens sont aussi adorables, mais j’y suis allée une année, et je ne sais pas quand j’y retournerai. Alors qu’en France, on est plus « déplaçable » facilement, et l’échange n’est pas le même, car on parle la même langue et sur la version originale. Il y a des différences avec les traductions, cela peut changer un personnage, je le vois sur mes titres, certains personnages sont plus incisifs en version américaine. Par exemple dans Stray Dog, le personnage de Taro est très très incisif dans la version originale, mais en France, il est pas mal mais assez loin de son potentiel de routage habituel.
De plus, je suis très partisane du « Rien ne vaut l’original » et pareil pour le public.

Question du public : Il y a quelque temps la CPD2 a fait un rapport un peu alarmiste sur la précarité des auteurs en France. De plus au 1er janvier 2019 seront mises en place des dispositions sur le prélèvement à la source, l’augmentation du CSG, etc. Je voulais savoir comment vous envisagez votre futur, est-ce que vous vivez sereinement les nouvelles contraintes financières et plus généralement l’état financier des auteurs ?

VanRah (mangaka) : Je dirai dans mon cas que je vis de mes séries et je peux en vivre de manière intégrale. Là, on revient sur une question de « quel éditeur fait quoi ? ». On a des éditeurs qui sont respectueux du travail des auteurs et les payent correctement. Alors que d’autres considèrent que 6 mois de travail ne valent que 5 à 6000 €. Donc tout dépend aussi du rapport au travail. On ne part pas avec des chances égales selon l’éditeur, il faut le savoir. Après qu’est-ce qu’on est prêt à accepter pour se dire professionnel dans ce métier ? Il y a aussi beaucoup de compétition, c’est très sélectif, donc celui qui reste tenace réussit, contrairement à celui qui se décourage.
Après, je ne dis pas qu’il faut rester sur ses acquis, mais il faut croire en son boulot et pas tout accepter, même si se renier peut permettre de réussir.

J’espère que mes lecteurs vont voir que je prends du plaisir à faire mes séries. Ensuite, la question financière se pose également, moi, j’ai encore mes deux professions, mais je peux parfaitement vivre confortablement de mes revenus d’auteurs, sans que ce soit le Pérou.
Je reçois encore des propositions où les éditeurs me connaissent et me proposent ces tarifs-là, à savoir 5000 € pour un livre qui va leur rapporter 100 fois plus. C’est une question d’honnêteté, de comment on considère la personne en face.

Antoine Dole (scénariste) : Je voulais remercier le monsieur d’avoir posé la question car c’est une période où les auteurs ont besoin de savoir que les lecteurs se sentent concernés par ces questions. On est à l’aube de quelque chose d’effrayant pour les auteurs, on est quelques-uns à avoir la chance de vivre de notre métier et confortablement pour voir les choses arriver sereinement. Mais il y a aussi toute une génération d’auteurs qui a peur et qui a l’impression d’être sacrifiée. C’est important dans ce combat-là sur les réseaux avec #PayeTonAuteur ou #AuteurEnColère de sentir que le lecteur est conscient que s’il n’y a pas d’auteur, il n’y a pas de livre.

Présentateur : Merci à tous pour votre patience et pour votre écoute.


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Retranscription et photos de la conférence par M.TA pour Onirik.net

  1. Scénariste français de mangas, notamment Ayakashi Légendes des 5 royaumes, Omega complex, etc. ↩︎
  2. La Commission de protection des droits de l’Hadopi ↩︎