Rencontre avec Marc Levy

Depuis quelques années, aux États-Unis, la censure des livres dans les écoles publiques prend une ampleur inédite ; ce qui transforme la lecture en acte de résistance. Selon le dernier rapport PEN America, au cours de l’année scolaire 2024-2025, 6 870 « interdictions » ont été enregistrées à travers 23 États et 87 districts scolaires. Depuis 2021, ce sont près de 22 810 cas recensés dans 45 États et 451 districts publics.

Ces suppressions touchent des milliers de titres (romans, récits jeunesse, classiques, œuvres traitant du racisme, de l’identité, de la sexualité, ou de l’histoire) parfois des œuvres incontournables comme des journaux ou des récits historiques. Ce mouvement, alimenté par des lois et des conservatismes de plus en plus affirmés dans certains États, soulève des questions graves : accès à la culture, liberté d’expression, représentation des minorités, éducation à la diversité…

A l’occasion de la sortie au format poche de son dernier roman La Librairie des livres interdits, les éditions Pocket ont organisé une rencontre avec Marc Levy, dans un magnifique bâtiment de la cité universitaire, à Paris. Nous vous proposons un compte-rendu de ce qui c’est dit à cette occasion.

1. Sur le bannissement des livres aux États-Unis

Marc Levy a expliqué que de nombreux livres sont interdits dans les écoles américaines : on peut encore les acheter en librairie, mais ils ne peuvent pas être présents dans une bibliothèque scolaire, ni même être possédés dans l’enceinte d’un établissement. Certains titres bannis surprennent, comme Le Journal d’Anne Frank ou Les Hauts de Hurlevent.

Il souligne : « Les dictateurs ont beaucoup plus peur des mots que des armes. »

Il mentionne que dans certains États conservateurs, comme l’Alabama, un libraire vendant un livre interdit à un mineur, ou un bibliothécaire exposant un ouvrage banni dans un collège, risque la prison. Selon lui, on comptait environ 1 800 livres interdits au départ, et près de 30 000 aujourd’hui.

Depuis, chaque semaine, il réalise une courte vidéo avec un libraire : celui-ci présente un livre interdit, et Marc Levy explique pourquoi il l’est. D’ailleurs, son prochain roman n’est pas encore paru aux États-Unis, mais il est convaincu qu’il sera banni dès sa sortie, en particulier dans les États conservateurs – même s’ils ne peuvent plus empêcher sa publication ou sa vente.

2. Évolution de son travail d’auteur

À la question : « Es-tu un auteur plus évolué qu’à tes débuts ? », Marc Levy répond : « Non, je ne pense pas. Peut-être que mon discernement, lui, a évolué. » Il raconte que lorsqu’il évoquait dans un de ses livres les 30 000 enfants disparus en Argentine, personne n’interrogeait ce passage : « À l’époque, ce n’était pas un sujet. ».

L’époque a changé. Dans Et si c’était vrai (publié en 2000), les vols de données étaient inimaginables ; aujourd’hui, ils sont devenus courants. Dans Noa, il écrit que la Russie va envahir l’Ukraine : quelques semaines après la sortie du livre, l’invasion a eu lieu. Il cite aussi l’exemple des scientifiques qui alertaient sur le Covid, mais dont les avertissements n’ont pas été pris au sérieux. Il note : « Je pourrais croire que j’ai du discernement… mais je m’étonne surtout que ceux qui m’entourent n’en aient pas. ».

3. La responsabilité du roman

Marc Levy insiste : lorsqu’un roman touche à l’humain, il ne faut pas se permettre de juger — contrairement aux essais.
Il affirme que les autorités brûlent les livres parce que les romans sont un antidote à la haine. Une histoire bien écrite vous fait vivre dans les chaussures d’un personnage pouvant être éloigné de vous, vos croyances, vos positions politiques.

Selon lui, lire Toni Morrison empêche de devenir raciste : la puissance des livres réside dans leur capacité à faire aimer, et à apaiser la peur. Il rappelle qu’à la première lecture d’un livre important, on découvre qu’on n’est plus seul, car on se voit représenté quelque part.

Pour lui : « On peut être outré par Netanyahou sans être antisémite. ». Il déplore qu’on pousse les gens à détester les minorités. Il ajoute sur ce sujet que, parce qu’il s’appelle Levy, on projette sur lui des réponses toutes faites.

4. Exemple personnel : la Turquie

Marc Levy raconte que son arrière grand-père avait conçu un ascenseur permettant aux habitants de Smyrne de rejoindre l’hôpital situé en hauteur. Lorsqu’il a évoqué cette histoire en Turquie lors d’une présentation de livre, il a soudain été considéré comme l’héritier d’un héros, et ses romans ont été reclassés de la catégorie roman étranger à roman national. Mais lorsqu’il a écrit sur le génocide arménien, son livre a été interdit de sortie en Turquie.

5. Presse et censure

Il publiait régulièrement des textes dans Le Parisien, jusqu’au jour où on lui a demandé de ne pas critiquer Donald Trump. Il a alors choisi d’arrêter.

Il conclut en rappelant que derrière chaque grande injustice imposée par un dictateur, il existe toujours des “petites mains” qui font tourner la machine, celles qui appliquent, celles qui laissent faire et celles se réjouissent de ce qui est accompli.