– Docteur, je vous prie d’examiner cet enfant. Vous m’avez défendu les émotions, à cause de mon cœur, et il a vendu ce qu’il avait de plus cher au monde et il a jeté cinq cents francs dans l’égout. Même à Auschwitz, on ne faisait pas ça.
Une fois de plus madame Rosa a conduit le petit Momo chez le docteur Katz. Ce dernier, « bien connu de tous les Juifs et Arabes autour de la rue Bisson pour sa charité chrétienne », a bien précisé à madame Rosa que Mohamed alias Momo n’avait aucun problème, mais que c’était elle qui avait des problèmes d’anxiété. Aussi, il lui a prescrit des tranquillisants. Madame Rosa approuve « Lorsqu’on s’occupe des enfants, il faut beaucoup d’anxiété, docteur, sans ça, ils deviennent des voyous. »
C’est ainsi que Momo est retourné au sixième étage (sans ascenseur) de leur logement où Madame Rosa s’occupe des « fils de pute » (dans tous les sens du terme). Ce sont tous les rejetons de « femmes qui se défendent ». Madame Rosa, 65 ans, plus d’un quintal et ancienne « femme qui se défendait avec son cul », a fondé une « pension sans famille pour des gosses qui sont nés de travers » et ceci malgré l’invention de « la pilule légale pour la protection, de l’enfance ».
Madame Rosa a obtenu d’un commissaire de police des papiers pour tous ces enfants. Selon madame Rosa, le commissaire est lui aussi un fils de pute (mais il n’est pas certain que ce soit en raison des activités professionnelles de sa mère). Quant à madame Rosa, elle possède plusieurs certificats prouvant qu’elle n’a jamais été juive depuis plusieurs générations.
Relaté par Momo qui a fréquenté très peu de temps l’école (l’administration a réalisé que l’âge sur ses papiers ne correspondait pas à son âge réel)1 La Vie devant soi nous décrit la vie des marginaux dans le quartier de Belleville des années 702 . On notera en arrière-plan la présence de la mort (Momo sait très bien que madame Rosa a peur des coups de sonnette depuis que la police l’a emmené au Vélodrome).
La Vie devant soi 3 est un roman d’Émile Ajar qui a obtenu le prix Goncourt en 1975. Il est évident qu’il ne pouvait pas s’agir d’un livre écrit par Romain Gary puisque celui-ci avait obtenu le prix Goncourt en 1956 pour Les racines du ciel et qu’un écrivain ne peut obtenir le prix Goncourt qu’une seule fois dans sa vie.
Romain Gary, alias Roman Kacew, alias Émile Ajar, alias Fosco Sinibaldi, alias Shatan Bogat, alias Lucien Brulard, alias René Deville, excelle dans la confusion d’identité qu’elle soit administrative, familiale4 ou sentimentale. Dans ce roman madame Rosa brouille avec talent les cartes, transformant un de ses pensionnaires arabe en juif et inversement. Ceci aboutit dans une parfaite démonstration d’humour noir à une mort prématurée. Mais que fait-on du cadavre ? C’est évident : on déplace le mort devant la porte de Monsieur Charmette, le seul locataire de l’immeuble « qui était Français garanti d’origine et qui pouvait se le permettre ».
Manuele Fior procure à ce chef d’œuvre de la littérature des illustrations qui mettent en évidence le côté démesuré et picaresque des personnages.
- En 1959 Romain Gary entame une liaison avec l’actrice Jean Seberg. Il l’épouse en 1963, alors que leur fils, Alexandre Diego Gary, est né en 1962. Cependant, Romain Gary, grâce à ses relations, a fait établir un acte de naissance daté de 1963. ↩︎
- Le roman est censé se dérouler en 1970. Cependant, une illustration montre une affiche du film Jaws (Les Dents de la mer), datant de 1975. ↩︎
- Le roman a été adapté par Moshé Mizrahi en 1977 avec Simone Signoret pour incarner madame Rosa et par Edoardo Ponti en 2020 avec Sophia Loren dans le rôle de madame Rosa. ↩︎
- Romain Gary a affirmé avoir des origines judéo-lituanienne, russe, géorgienne, tatar et mongole (et c’est peut-être vrai). ↩︎
Fiche technique
Format : album
Pages : 232
Texte : Romain Gary
Illustrations : Manuele Fior
Édition : Futuropolis
Sortie : 7 mai 2025
Prix : 30 €