Houris – Avis +

Editeur : Gallimard

roman de Kamel Daoud

Je suis la véritable trace, le plus solide des indices attestant de tout ce que nous avons vécu en dix ans en Algérie. Je cache l’histoire d’une guerre entière, inscrite sur ma peau depuis que je suis enfant.

Aube est une rescapée de la guerre civile qui a frappé l’Algérie dans les années 90. Après 200 000 morts est venue la loi de la Réconciliation. Les assassins et terroristes ont bénéficié de l’amnistie et ont pu revenir dans la société en toute impunité. Plus précisément, l’amnistie concerne ceux qui étaient cuisiniers au sein des maquis. En effet on ne trouve plus que des cuisiniers, qui ne faisaient que préparer le repas pendant que leurs camarades pratiquaient meurtres, enlèvements, viols et attentats à la bombe.

Aube a survécu à un égorgement. Le couteau mal aiguisé lui a sectionné les cordes vocales et lui a laissé une gigantesque cicatrice. Aube, qui est obligée de respirer par une canule, est la preuve qu’une autre guerre d’Algérie s’est déroulée après l’indépendance.

De sa famille, il ne lui reste plus que sa mère. Alors que celle-ci est en France pour persuader un chirurgien de lui rendre la parole, Aube tient le salon de beauté. Mais la guerre est déclarée avec l’imam de la mosquée voisine qui prêche contre ce « lieu de débauche ». C’est la guerre entre les Houris du ciel (promises aux martyrs de la cause) et les Houris de la terre (les femmes qui prennent soin de leur beauté). Il existe une autre Houri à laquelle Aube parle régulièrement. C’est son enfant. Aube, célibataire, est enceinte d’un homme qui a choisi l’exil.

Aube a réussi à se procurer des pilules abortives. Mais avant elle veut se rendre en pèlerinage sur les lieux où, lorsqu’elle était enfant, elle a été confrontée au terrorisme. C’est ainsi que sa route croise celle d’un vendeur de livres itinérants. Le dénommé Aissa est d’une famille de libraires. Il ne s’agit pas d’une profession tranquille. On peut en mourir comme le membre de sa famille qui a été enseveli sous les livres qu’un tremblement de terre a fait tomber sur sa tête.

D’autres libraires sont morts pour ne pas avoir payé l’impôt révolutionnaire. D’autres sont trépassés pour n’avoir pas vendu de livres de cuisine durant les années 1990. Explication : le FIS avait « suggéré » aux libraires de ne vendre que le Coran ou bien uniquement des livres de cuisine. Et certains libraires n’avaient pas obéi aux consignes. Aïssa lui-même a failli être tué deux fois lors de la guerre civile, une fois par les terroristes et une autre fois par les militaires. Ces derniers l’avaient pris pour un terroriste, mais les livres se trouvant dans sa camionnette l’ont sauvé (les terroristes ne lisent pas)1.

Interdit de vente en Algérie, ce roman2 évoque la décennie noire et ses conséquences toujours présentes : les vies brisées, l’impunité pour les criminels, l’interdiction aux rescapés de l’évoquer3. De ce fait, les survivants sont dans une situation pire que les « anciens » terroristes. Les autorités qui combattaient les assassins ont désormais pour mission de faire taire ceux qui mentionnent les massacres. C’est le cas pour Aïssa auquel on a ordonné de cesser de mentionner la liste des massacres et attentats. Mais pour Aube, si le couteau l’a bien empêché de parler, son visage barré d’une cicatrice témoigne pour elle.

À travers les deux personnages principaux l’auteur présente habilement le passé et le présent de l’Algérie. Refusant le silence, il participe à un devoir de mémoire, par l’intermédiaire d’un roman dense et émouvant.


  1. Dans BibliOdyssées 50 histoires de livres sauvés (Éditions Actes Sud, 2019) Kamel Daoud et Raphaël Jerusalmy avaient relatés l’histoire de livres sauvés et pouvant également sauver des vies. ↩︎
  2. Prix Transfuge du meilleur roman français (2024), Prix Landerneau des lecteurs (2024) et Prix Goncourt (2024) ↩︎
  3. Est puni d’un emprisonnement de trois à cinq ans et d’une amende de 250 000 dinars à 500 000 dinars quiconque qui, par ses déclarations, écrits ou tout autre acte, utilise ou instrumentalise les blessures de la tragédie nationale, pour porter atteinte aux institutions de la République algérienne démocratique et populaire, fragiliser l’État, nuire à l’honorabilité de ses agents qui l’ont dignement servie, ou tenir l’image de l’Algérie sur le plan international. ↩︎

Fiche technique

Format : broché
Pages : 416
Auteur : Kamel Daoud
Éditeur : Gallimard
Sortie : 1 juin 2024
Prix : 23 €