Entretien avec Sophie Adriansen

Onirik : Travailler sur une biographie de Grace Kelly, c’était un désir particulier pour vous ? Etait-elle une personnalité qui vous fascinait ?

Sophie Adriansen : Avant d’écrire sur Grace Kelly, je ne connaissais que la partie émergée de l’iceberg, à savoir ses films et la partie protocolaire, mise en scène, de sa vie de princesse. Ce qui m’a d’abord donné envie de partir à la rencontre de sa personnalité, c’est le fait qu’elle avait Hollywood à ses pieds et a décidé de tout arrêter à 27 ans pour épouser Rainier, prince d’un état quasiment inconnu des Américains. Pourquoi ce renoncement, pourquoi une telle abnégation ? Personne, semblait-il, ne le lui avait demandé… Cette question m’a intéressée aussi parce qu’elle demeure d’actualité, plus de soixante ans après « le mariage du siècle » : comment concilier vie de couple, vie de famille et aspirations personnelles à une carrière, professionnelle ou artistique ?

Onirik : Plusieurs phrases reviennent, comme des leitmotive, « un Kelly n’abandonne jamais » et « la réalité rejoint toujours la fiction ». Ce sont des constats que vous avez pu faire en vous documentant ou des réflexions qui se sont imposées au fil de vos découvertes ?

Sophie Adriansen : J’ai en effet constaté que la détermination était un trait de caractère partagé par la plupart des Kelly. L’ambition et la volonté, valeurs importantes pour les parents de Grace, ont été transmises aux enfants de la famille ; Grace a ensuite, à son tour, transmis cela à ses propres enfants… Quant au fait que la réalité rejoigne la fiction, cela peut passer pour un cliché ; mais ce cliché est illustré de façon tellement troublante par la filmographie de Grace Kelly, prémonitoire par bien des aspects, qu’il m’apparaissait pertinent de le souligner.

Onirik : D’ailleurs, vous êtes très précise, dans les faits, dans les détails, on est par exemple vraiment intéressés par toute la partie sur les origines irlandaises (et très modestes) de la princesse… Comment vous êtes-vous documentée ? Quelles ont été les sources auxquelles vous avez pu avoir accès ?

Sophie Adriansen : Il existe beaucoup de ressources sur la princesse. Les Français se sont intéressés à elle à partir du moment où elle arrivée en Europe, les Américains avaient écrit sur elle dès ses premières apparitions à l’écran. Lisant l’anglais, j’ai pu découvrir ces deux points de vue. Tout n’est cependant pas à prendre pour argent comptant dans les biographies en circulation, certaines sont truffées d’erreurs… J’ai lu aussi des ouvrages consacrés à Rainier ou aux Grimaldi, voire à Monaco, et dans lesquels le portrait de la princesse apparaissait en creux. J’ai également consulté de nombreuses archives, et écouté, regardé Grace en interview pour être au plus près d’elle. Enfin, je l’ai longuement évoquée avec un ami dont la mère a été très proche de Grace… Un éclairage plus personnel est ainsi venu s’ajouter à la dimension strictement biographique de mes recherches.

Onirik : On voit peu la figure maternelle… Finalement les relations entre Grace et sa mère restent assez opaques, celles avec son père, distantes (elle est celle qui le déçoit toujours), et qu’en était-il du reste de la fratrie ? Vous mentionnez souvent sa sœur Peggy, la princesse avait-elle d’autres proches ?

Sophie Adriansen : La figure du frère de Grace est également importante pour elle ; et c’est peut-être de lui qu’elle était le plus proche. Tous deux se sont pareillement débattu avec l’existence afin de plaire au patriarche. John portait le même prénom que son père, il a été un grand sportif comme lui et a même remporté une compétition d’aviron à laquelle son père n’avait pu participer, comme une revanche une génération plus tard… Grace comme John auront peut-être pareillement oublié de vivre pour eux. La distance entre eux n’a jamais diminué la force des sentiments qui les unissaient.

Onirik : On est étonnés par le nombre d’amants supposés de Grace Kelly avant son mariage. C’était une jeune femme libre, indépendante. On sursaute un peu à cet examen « prénuptial de fertilité» un peu injuste auquel elle a dû se prêter. On ne sait pas grand-chose de sa réaction. Qu’en pense la féministe en vous ?

Sophie Adriansen : Grace avait peur de la façon dont réagirait le prince Rainier quand le docteur lui annoncerait qu’elle n’était plus vierge ; mais elle avait préparé son excuse – les cours de sport au lycée. Quant au principe même de cet examen… Rainier voulait des enfants, il voulait s’assurer que Grace serait en capacité de lui en donner, selon l’expression consacrée. Le docteur avait affirmé qu’il n’y aurait pas de problème. C’est évidemment choquant, et révélateur du rôle de mère auquel on veut bien souvent cantonner les femmes – qu’elles aient décroché un Oscar à Hollywood n’y change rien. Comment établir la confiance dans un couple, si une relation démarre sur un test de ce genre ? Ironie de la chose, Rainier avait quitté sa précédente fiancée, Gisèle Pascal, car celle-ci avait « échoué » à l’examen de fertilité… elle a pourtant eu une fille ensuite, avec un autre homme. J’ignore comment se déroulait l’examen, mais de toute évidence il n’était pas fiable. Et surtout, je ne serais pas étonnée qu’il ait encore cours avant certaines unions royales…

Onirik : Vous évoquez beaucoup d’autres stars d’Hollywood que la princesse comptait parmi ses amis. Y a-t-il une personnalité que vous avez croisée dans vos recherches et dont il vous plairait d’écrire la biographie ?

Sophie Adriansen : Du côté d’Hollywood, Ava Gardner me paraît être un personnage complexe, dont la biographie doit être passionnante à explorer. Mais parmi les personnalités que croise Grace, c’est surtout sur Jackie Kennedy que j’aimerais écrire. Entre elles existait une certaine rivalité, et pas mal de points communs… On a déjà beaucoup écrit sur Jackie, aussi, si je le fais un jour, ce sera forcément un choisissant un biais inédit…

Onirik : Savez-vous si la famille de la princesse a lu votre livre, si oui, avez-vous eu des retours de sa part ?

Sophie Adriansen : Le palais n’a pas officiellement approuvé ma biographie, mais il ne l’a pas désapprouvée et il en avait au contraire annoncé la parution lors de la sortie du grand format, ce qui me semble être un signe fort… Et globalement, l’accueil monégasque est bon, qu’il s’agisse de la presse ou des libraires. Ce qui, naturellement, me ravit !

Merci beaucoup Sophie Adriansen ! N’hésitez pas à vous précipiter sur cette passionnante biographie qu’est Une Américaine à Monaco.

Crédit photo/Sophie Adriansen : © Marc Lehmann