Interview de Jero Yun, réalisateur de « Madame B, histoire d’une Nord-coréenne »

Comment ce film a-t-il vu le jour ?

À la base, ce n’était pas le film prévu. Tout a commencé par un scénario de fiction que j’étais en train d’écrire. Pour cela, je suis parti en Chine où j’ai rencontré Madame B. par un intermédiaire qui me présentait des réfugiés nord-coréens en Chine que je devais interviewer. Au fur et à mesure, elle m’a emmené chez elle à la campagne dans sa famille chinoise et c’est ainsi qu’elle est est devenue un protagoniste important dans le film.

J’ai passé beaucoup de temps à sympathiser avec elle. Elle est devenue au fur et à mesure une sorte de complice. Elle était intéressée par un film qui soit réalisé sur elle.

C’est à rapprocher d’autre film que j’avais réalisé : un court-métrage documentaire sur une femme sino-coréenne qui tenait une auberge clandestine à Paris[[Promesse (2010)]]. J’y suis passé par hasard et elle m’a demandé ce que je faisais en France. À l’époque, je faisais des études au Fresnoy[[Le Fresnoy Studio national des arts contemporains situé à Tourcoing]]. C’est ainsi qu’elle a souhaité que je fasse un film sur elle. C’est devenu la genèse de tout ce que je fais aujourd’hui.

Je ne sais pas pourquoi ces deux femmes se sont adressées à moi et cela a été engagé par hasard.

Comment s’est déroulé le tournage ?

Au début comme je n’avais pas l’intention de faire un film, mais des recherches personnelles pour alimenter le scénario, je n’avais qu’un iPhone. Je l’ai utilisé au fur et à mesure du voyage clandestin vers la Thaïlande. Ensuite quand il a été décidé de réaliser un film sur elle, j’ai utilisé une caméra pour les scènes se déroulant en Corée du Sud.

La Thaïlande est le pays d’Asie qui accueille des réfugiés politiques nord-coréens, somaliens, iraniens, chinois, indiens. Ils sont placés dans un centre de détention et protégés la plupart du temps par l’ONU. La Thaïlande a aussi signé un « agrément » avec la Corée du Sud pour protéger les réfugiés nord-coréens lorsqu’ils arrivent. Mais la plupart du temps, ils sont emmenés par les services de renseignements sud-coréens pour vérifier si ce sont de vrais réfugiés ou des espions nord-coréens.

Dans le film, il y a une image que j’ai longtemps hésité à mettre : c’est le moment où j’ai été expulsé de Thaïlande. Je suis arrivé avec les réfugiés nord-coréens. Les réfugiés étaient protégés par le système. Mais moi avec un passeport sud-coréen, je ne pouvais pas être protégé. J’ai été accusé d’immigration illégale par les autorités thaïlandaises. Le producteur français a beaucoup aidé pour me faire sortir. L’image volée par un iPhone se déroule la nuit où j’ai été expulsé, après être passé au centre de détention en cellule.

Quand je suis revenu en France, cela m’a pris beaucoup de temps pour me réintégrer dans la société. Environ dix mois plus tard, je suis retourné en Corée du Sud où j’ai retrouvé Madame B. qui elle était sortie du service de renseignements. J’ai passé du temps avec elle. C’est à ce moment-là que j’ai senti l’atmosphère qui règne énormément en Corée du Sud. Cela parait absurde, paradoxal, mais il existe un contraste énorme entre la Corée du Sud et la région de Chine où elle vivait. J’ai passé beaucoup de temps dans la famille chinoise et malgré toute son histoire compliquée, j’ai senti qu’elle était plus heureuse là-bas que lorsqu’elle vit en Corée du Sud. C’est pour cela que j’ai divisé le film en deux parties. J’ai ressenti le contraste entre deux mondes différents. C’est le sentiment que j’avais envie de transmettre. La voix off qui s’apparente à de la propagande lorsqu’on voit une vue aérienne de Séoul est tirée d’un concours oratoire organisé chaque année par le gouvernement sud-coréen sur le thème « aimer la nation ».

Comment le film a-t-il été accueilli ?

Le film a été d’abord montré en Corée, au festival de Jeonju qui est assez réputé. Dans cette région particulière, les intellectuels peuvent s’exprimer assez librement sans subir la pression gouvernementale. Madame B. a beaucoup ri.

Qu’est devenue Madame B. ?

Elle va bien. Malheureusement, le mari chinois ne peut toujours pas obtenir son visa en Corée du Sud. Par contre, Madame B. a obtenu son passeport sud-coréen. Au début du film, le texte est celui d’une lettre adressée à son fils et qu’elle a écrit discrètement quand elle était accusée à tort par les services de renseignements sud-coréens. Elle a porté plainte contre les services de renseignements. C’est en cours. Elle est protégée par les avocats d’une association, des avocats très compétents qui essaient d’aider les gens qui ont été accusés à tort par le gouvernement. Il y a eu un grand scandale de la corruption du service de renseignements, qui accusait à tort des gens comme Madame B., donc cette affaire est réglée. Le directeur du service de renseignements a été changé. Mais le système n’a pas encore changé. Toute la famille qui a été accusée à tort a été acquittée. Elle a un passeport sud-coréen. Elle est allé voir son mari chinois il n’y a pas longtemps. Mais elle a décidé de vivre toute seule dans son indépendance et elle a ouvert un bar dans Séoul qu’elle tient toute seule. À chaque fois qu’elle gagne de l’argent, elle essaie d’en donner un petit peu pour la famille chinoise, mais aussi pour la famille coréenne. Elle n’a pas oublié les deux familles. Elle va continuer à tenir sa promesse en tant que mère, en tant que femme. Elle ne choisit ni l’une ni l’autre.