Rencontre avec le metteur en scène et les comédiens de « Anna Christie »

Anna Christie est une pièce d’Eugene O’Neill, écrite dans les années 1920. Jouée au Théâtre de l’Atelier (Paris) à partir du 20 janvier 2015, elle est mise en scène par Jean-Louis Martinelli, et interprétée par Mélanie Thierry, Féodor Aktine, Stanley Weber et Charlotte Maury-Sentier. Onirik a eu l’immense chance de participer à une rencontre passionnante et sympathique avec les trois acteurs principaux et le metteur en scène, quelques jours avant la première. Ils nous ont parlé de leur travail, de leur découverte du texte et de la vision qu’ils avaient des personnages. Nous les remercions chaleureusement pour leur disponibilité.

Le texte : une nouvelle traduction

Jean-Claude Carrière s’est saisi du texte et propose une traduction resserrée, ne laissant sur scène que 4 personnages. Stanley Weber (qui incarne Burke, le jeune marin qui tombe amoureux d’Anna) souligne la grande qualité de la traduction. Connaissant bien le texte original en anglais, le comédien a d’abord été dans le doute face au texte français. Mais au fur et à mesure du travail, il a réalisé à quel point rien n’avait été laissé au hasard, et que chaque choix, même radical, était cohérent, aboutissant à une traduction subtile et intelligente.

La pièce et son auteur

Anna Christie est une des pièces « portuaires » de O’Neill. Elle est le reflet des névroses de la propre famille de l’auteur, comme d’autres de ses pièces (comme dans Le long voyage du jour à la nuit, pièce d’O’Neill la plus souvent montée), notamment dans les problèmes avec l’alcool ou les difficiles relations familiales.
O’Neill est un dramaturge très marqué par le théâtre de Shakespeare et les tragédies grecques (ce que l’on peut voir par exemple dans sa pièce Le Deuil sied à Electre, directement inspirée de l’Orestie mais placée dans un contexte moderne). Ces éléments se retrouvent dans son style et dans le caractère de ses personnages.

L’histoire

Anna Christie, c’est l’histoire de cette enfant orpheline de mère et abandonnée par son père à 5 ans. Devenue jeune femme, elle se retrouve dans un bordel. Après un séjour à l’hôpital, elle essaie de revoir son père. Au début de la pièce, elle le retrouve en effet et accepte de le suivre en mer. Mais une tempête éclate. Ils s’en sortent indemnes et portent secours à un marin en détresse en mer. Ce jeune naufragé tombe immédiatement amoureux d’Anna. Mais le père s’oppose à ce couple. Anna, parallèlement, est dans une quête de liberté.

La naissance du projet

Ce projet est né grâce à Mélanie Thierry qui avait découvert cette pièce il y a quelques années. Marquée par ce personnage et son histoire, elle a eu envie de l’interpréter. La comédienne souligne avoir été séduite par le langage et l’atmosphère de la pièce, notamment cet océan qui nettoie les âmes. Elle a été émue par cette jeune femme qui retrouve son père, par ces deux êtres qui ne savent pas comment se parler. Bien qu’ayant presque un siècle, cette pièce a ainsi un caractère très contemporain, écho des difficultés de communication entre parents et enfants, ou encore le choix d’accepter les parents que l’on a.

Sur le travail de mise en scène

Le metteur en scène nous a présenté la manière personnelle avec laquelle il a abordé et travaillé cette pièce. D’une durée d’1h40 (le texte a été retravaillé et beaucoup coupé), c’est un théâtre d’une grande simplicité de narration, mais âpre, brutal, allant directement à l’essence des rapports entre individus. C’est un véritable théâtre d’acteurs, nous dit Jean-Louis Martinelli. Le texte est la matière, il ne s’agit pas de faire du théâtre psychologique. « Je fais corps avec ce que j’énonce » est un des principes de travail qu’il a mis en oeuvre.

Les personnages et leurs relations les uns avec les autres

Anna Christie (Mélanie Thierry), coincée entre son passé et son père qui refuse qu’elle épouse un marin, un homme comme lui, est un personnage en quête d’autonomie, qui essaie d’exister en tant qu’individu.

De son côté, Chris, le personnage du père (Féodor Atkine), ressent une culpabilité énorme, notamment lors des instants de lucidité qu’il possède malgré sa grosse consommation d’alcool. Mais cette situation de malaise, il l’a créée lui-même en refusant de dire la vérité. Pour lui ne comptait que l’instant, que ce qu’il vivait sur les bateaux. Il biaise en se racontant ses propres vérités.Il fuit ses responsabilités en remettant toujours tout sur le dos de la mer, sorte de malédiction. Pour Burke ce père est un marin qui a renoncé.

Quant au jeune marin, Burke (Stanley Weber), il a l’arrogance de la jeunesse, mais c’est un grand naïf, au romantisme frontal. Survivant d’un naufrage, il rencontre l’amour de sa vie.

La mer impose un changement radical aux trois personnages, explique Féodor Atkine. D’ailleurs, Burke aurait pu devenir un autre Chris, s’il n’avait pas rencontré Anna. Chris, le père, hait la mer, tandis que le jeune marin la vénère.

Dans le travail du texte se trouve la confrontation de désirs de possessions permanents. D’ailleurs, les comédiens remarquent que si l’on ne fait pas attention, on peut facilement tomber dans le mélo, le pathos. Mais c’est contraire à l’histoire, aux personnages. Anna est un personnage tragique qui se bat pour tenir debout. Pour ne pas tomber dans le pathos, il faut être droit, dit Mélanie Thierry. Et Jean-Louis Martinelli complète : si je parle, c’est pour transformer celui qui est en face de moi.

Anna Christie va où elle le veut. Elle a envie de garder la tête droite, de vivre sa vie, tout en ayant un certain mépris pour les hommes. Il faut se rappeler que 1920 marque les débuts du féminisme, O’Neill étant proche de ces mouvements. « Je n’appartiens à personne », dit le personnage d’Anna.

Scénographie et costumes

Il ne faut pas oublier le travail de toute l’équipe artistique et technique, notamment au niveau de la scénographie et des costumes. Ainsi, la scénographie de Gilles Taschet propose un dispositif simple, fait de toiles peintes, contribuant à installer l’atmosphère (un bar pour la première partie, du brouillard pour la deuxième, une cabine de bateau pour la troisième). Quant aux costumes, ils sont dans le même état d’esprit de simplicité et de mise en valeur des personnages. Camille Janbon a effectué un travail remarquable et très précis, pour reprendre les mots de Mélanie Thierry. Présente pendant la première quinzaine de répétitions, elle a observé les comédiens, la manière dont ils bougeaient, dont ils créaient leurs personnages, avant de leur proposer à chacun leur costume, que chaque comédien a adopté dès le premier essayage, chose assez rare pour être soulignée.

Informations pratiques

Théâtre de l’Atelier, 1, place Charles Dullin, 75018 Paris
A partir du 20 janvier, du mardi au samedi 21h, Matinées samedi 16h30 et dimanche 15h30
Prix : de 16,10 € à 42.10 € (50% jusqu’au 25 janvier)
Réservations 01 46 06 49 24