Interview de Luc Watteau

Onirik : Vous êtes un vétéran de la police nationale.

Luc Watteau : Oui de Roubaix de 1975 à 2003, ensuite je suis parti avec mon chef de service à la sûreté départementale à Lille jusqu’en 2005 et ensuite pour l’obtention d’un galon j’ai travaillé à Douai pendant 3 mois. Ma carrière a eu plusieurs étapes : le travail d’inspecteur avec les plaintes contre X, jusqu’au flagrant délit. Après est venue la brigade des stups, la crim, la sûreté départementale.

On travaillait sur des dossiers compliqués où il fallait beaucoup de monde et beaucoup de moyens. La sûreté départementale avait été créée quelques années plus tôt pour venir en soutien aux sûretés locales quand il fallait faire des filatures ou des écoutes téléphoniques longues et au cours desquelles les collègues locaux n’avaient pas le temps. Ils étaient toujours en phase avec l’actualité. Ils n’avaient pas le temps de poursuivre ces recherches longues preneuses de temps et de personnel.

Onirik : Comment décririez-vous la population roubaisienne de l’époque ? Selon vos écrits elle ne semblait pas pourvue d’un Q.I. très élevé.

Luc Watteau : La plupart de nos «  clients  » concernaient énormément des différends entre voisins ou des violences conjugales, sur fond d’alcool et de maltraitance d’enfants.

Je voulais relater les aventures et avec le temps expliquer que la police comme la société avait énormément changé en trente ans. Il y avait un monde d’écart entre la plupart de nos «  clients  » et moi qui venais d’une famille de commerçants de Lannoy. J’avais fait mes études à Turgot, puis à Notre-Dame, donc je connaissais Roubaix.

Mais quand je suis arrivé en immersion à l’Alma, j’ai trouvé cela renversant avec les problèmes d’illettrisme et d’alcoolisme. Je n’en revenais pas. J’avais fréquenté d’autres milieux. À l’armée on rencontre des gens plus doués que soit ou moins doués et là je tombais dans un très très grand vide intellectuel. C’est déstabilisant surtout quand on a 21 ans.

Onirik : Qu’est-ce qui a évolué entre vos débuts et votre fin de carrière ?

Luc Watteau : Par contre les choses qui ont changé, c’est le rapport de forces entre délinquance et police. À l’époque les délinquants pensaient à une seule chose : esquiver la police. Maintenant ils viennent au contact pour la baston. La différence repose sur le refus actuel de l’autorité et de l’uniforme. À l’époque ce n’était pas cela.

On vous demandait à être réactif aux événements. Quand j’étais en brigade de flagrants délits qu’on appelait la S.O.S (Section Opérationnelle Spécialisée) on traitait toutes les procédures de flagrance dans Roubaix intra-muros, du vol à l’étalage à l’homicide volontaire. Il fallait une réactivité forte.

Maintenant on demande presque à la police de prévoir l’événement. À l’époque c’était inepte. On réagissait à l’événement. On ne pouvait pas le prévoir, sauf peut-être pour ceux politiques. Les Renseignements généraux pouvaient prévoir les manifestations, les prises d’otages de dirigeant d’entreprise ou bien les mouvements sociaux. C’était prévisible. En ce qui concerne la criminalité, il n’existait pas de phénomène de bande comme maintenant. Tout pouvait arriver : cambriolage, vol à la roulotte, homicide.

Maintenant on utilise beaucoup plus de moyens techniques. Il faut avoir une formation technique. Il est nécessaire de la mettre en place au bon moment. À l’époque c’était plus du feeling, du flair, beaucoup de travail avec des informateurs, alors que maintenant c’est la technique qui compte.

Les officiers sortent beaucoup moins de leurs bureaux et sont beaucoup plus affûtés techniquement que nous nous pouvions l’être. C’est ce qui a changé le plus. Les techniciens c’était les gens de l’identité judiciaire. S’il y avait matière on les faisait venir. Ils faisaient leurs prélèvements, leurs recherches biologiques, les traces et analyses, les empreintes digitales, les moulages d’empreinte de chaussure. C’était leur rôle. Maintenant je pense que pas mal d’officiers sont à même de faire la plupart de leurs recherches eux-mêmes.

La ville était sectorisée à l’époque. Il fallait bien connaître son quartier. Quand il y avait une vague de cambriolages par escalade, on regardait s’il n’y avait pas à la maison d’arrêt de Loos un de nos cambrioleurs connu pour ce genre de fait qui venait de sortir.

Les braquages à l’époque c’était un ou deux braquages en période de fin d’année. Maintenant c’est un ou deux par semaine et un braqueur c’était quelqu’un à l’époque. Ce n’était pas un gamin qui prenait un pistolet en plastique pour aller braquer la boulangère. C’était vraiment des équipes organisées qui s’en prenaient à des banques ou à des convoyeurs de fonds ou éventuellement à des porteurs de fonds.

Après surveillance, ils s’étaient rendu compte qu’un commerçant du coin allait porter une mallette à la banque le vendredi soir. C’était construit, alors que maintenant on dirait que c’est à la sauvette.

Onirik : Le succès est au rendez-vous, puisque votre roman a remporté le prix du concours Sang pour 100.

Luc Watteau : J’avais rédigé mon premier ouvrage Angel keuf. Je l’avais soumis à Ravet-Anceau. Mais c’était un peu plus « ésotérique ». Le directeur d’édition de l’époque m’a expliqué : cela nous plaît, mais dans notre ligne éditoriale on préfère du polar pur ». Je lui ai expliqué que j’avais de la matière et je lui ai proposé celui là Roubaix 70’s : itinéraire d’un flic ordinaire, juste à temps pour le concours. Le jury présidé par Frank Thilliez a désigné le lauréat.

Onirik : Dans votre roman vous faites mention du juge Thilliez.

Luc Watteau : C’est un hasard total.

Onirik : Et l’inspecteur de police irascible et désobligeant nommé Domenech : est-ce aussi une coïncidence ?

Luc Watteau : Pourquoi Domenech ? Pour l’entraîneur de foot ? Complètement une coïncidence : à l’époque dans les années 75 ont a vu beaucoup d’officiers de police d’origine pied-noir venus d’Algérie en 62. Ils étaient flics là-bas et ont été réincorporés notamment dans notre région et sans doute aussi du côté de Perpignan.

Recrutés après-guerre en 1945, ils terminaient leurs 30 ans de carrière en 75-78 au moment où je suis arrivé. Il y en avait beaucoup. Ils n’avaient pas les mêmes termes que nous. On découvrait un monde qu’on ne connaissait pas. J’en connaissais quelques-uns parmi mes copains qui avaient quitté l’Algérie à 7-8 ans.

Mais là on tombait sur des purs qui avaient une cinquantaine d’années et c’était une autre culture et eux avaient une forme d’autorité qu’on reconnaissait déjà. Ce n’était pas la même manière de fonctionner. Cela m’a surpris quand je suis arrivé. Ceux-là sont partis en retraite entre 75 et 80 et nous qui venions d’être sélectionnés en examen de police notre génération a remplacé cette génération-là.

Onirik : Pourquoi votre roman traite-t-il des années 70 ?

Luc Watteau : C’est la période où je suis entré dans la police. J’ai décidé de faire quelque chose de chronologique. Je suis entré dans la police en 1975. Le temps d’adaptation est raconté dans les premiers chapitres. J’étais relativement opérationnel donc au bout de trois ans, là où commence mon récit. Je suis installé comme flic de quartier où je commence à me débrouiller seul avec des personnages récurrents. Certains s’en vont, sont mutés ou même décèdent. D’autres arrivent : la vie.

Onirik : On trouve des magistrats sortant de 68 dont la principale préoccupation est d’empêcher que la France devienne un État policier.

Luc Watteau : Ils avaient cette tendance. Je me souviens de la première fois où j’ai été choqué. Lors d’une arrestation il s’était produit une rébellion, ce qui était assez rare à l’époque, même si c’est monnaie courante aujourd’hui. Lorsqu’on l’a déféré devant le substitut les premiers termes que ce dernier a déclarés étaient : Avez-vous été frappé par la police ? et ceci avant de prendre le dossier en main.

Le jeune magistrat qui devait avoir vingt ans en 68 commençait à accéder à des postes à responsabilité à Lille qui est une ville très formatrice au niveau magistrature comme les grandes villes. Par rapport aux vieux magistrats qui étaient beaucoup plus paternalistes on a senti qu’il y avait quelque chose qui avait changé (cela a rechangé depuis). On a ressenti cela comme une présomption de culpabilité avant d’étudier le dossier.

Onirik : Quelle est la différence entre votre roman et la réalité historique ?

Luc Watteau : Je me suis inspiré d’événements réels. Mais cela n’est pas vraiment biographique. L’ambiance relatée dans le bouquin est réelle. Par contre les affaires sont inventées. Je ne voulais pas me permettre de traiter d’affaires réelles auxquelles j’ai pu participer. Je ne voulais pas commettre d’impairs.

La chronique policière se déroule avec des affaires qui se chevauchent et qui s’imbriquent comme ça se passait à l’époque. Il n’était pas rare qu’on doive traiter deux ou trois affaires en même temps. Là j’ai épuré un peu les affaires banales pour me centrer sur des affaires plus intéressantes.

Onirik : Que devient votre livre Angel keuf ?

Luc Watteau : Angel keuf est en période de mort cérébrale. La ligne éditoriale de Ravet-Anceau c’est du polar. C’est pourquoi j’avais intitulé Roubaix 70’s en titre original Angel keuf, douze ans avant parce que j’espérais bien qu’il sorte un jour. Le titre a été changé par l’éditeur. Mais je ne désespère pas. Un deuxième roman va se passer en 79-80 et un troisième se passe en 1990, mais cela nécessite encore du temps de maturation.