Gazages de concentrationnaires au château de Hartheim – Avis +

Présentation de l’éditeur

Au château d’Hartheim, non loin de Mauthausen, en Haute-Autriche, les nazis tuent au monoxyde de carbone, dès 1940. Les nazis font procéder à partir de la fin 1939, sur le territoire du Reich, à l’enregistrement puis à la sélection des handicapés et des malades, déclarés « bouches inutiles » ou « indignes de vivre ». Le centre d’euthanasie nationale-socialiste est implanté au château d’Hartheim qui devient un lieu d’assassinat planifié d’handicapés, avec la construction d’une chambre à gaz et d’un crématoire.

À partir de 1941, les assassinats des handicapés furent officiellement suspendus, et les installations de gazage mises au service du système concentrationnaire, les nouveaux assassinats apparaissant, dans les registres des camps, comme morts « spéciales », désignées sous le code « 14f13 ». Les autocars fantômes amènent à Hartheim, cette fois, des concentrationnaires. Les « experts » formés à Hartheim sont choisis pour diriger des camps d’extermination comme Belzec, Sobibor et Treblinka, cela prouverait qu’il s’agissait bien là de l’ « école des meurtriers » (Simon Wiesenthal), de la première étape vers ce que l’on désigne, en janvier 1942, comme « solution finale ».

En 1999 pour transformer le château d’Hartheim en mémorial, on a exhumé des cendres contenant de restes humains. Et on y a aussi retrouvé des plaques matricules, en fer blanc, des camps de Mauthausen et de Gusen, parmi lesquelles un certain nombre correspond aux listes des transports pour le prétendu « sanatorium de Dachau ». Quelle que soit la méthode choisie, toute tentative scientifique visant à mettre en lumière ne fût-ce qu’une parcelle de cette réalité historique est une victoire de l’esprit sur l’extermination, au service de la vérité.

Avis de Kyle Histo

Un jour de l’année 1941, le commandant du château-asile de Hartheim, Christian Wirth, convoque les habitants du bourg. Les épaisses fumées noires et acres que le vent rabat sur eux, leur dit-il, ne proviennent pas de l’incinération de corps mais de celle d’objets liturgiques. Qui prétend le contraire s’expose à un séjour en camp de concentration. Que se passe-t-il donc au château ?

L’ouvrage de Jean-Marie Winkler nous livre plus d’une réponse sur ce centre de gazage déjà connu mais dont on ignore largement la place et le fonctionnement dans le processus d’extermination du régime nazi. L’auteur a choisi de présenter d’un même mouvement l’histoire du centre, ce que l’on en sait aujourd’hui, et les étapes historiographiques, l’histoire des recherches.

Une série d’articles rassemblés dans la première partie retrace cette « archéologie du savoir » non sans éviter les répétitions. Une seconde partie fournit les preuves : des listes de gazés ayant échappé à l’élimination nazie et qui ont été retrouvées dans différents dépôts d’archives ou reconstituées par des témoins privilégiés. Chaque liste soigneusement photographiée est l’objet d’un commentaire justifiant sa place en tant que source historique.

Cette partie inhabituellement longue, et d’ordinaire réservée aux annexes des publications historiques, s’explique par le souci de vérité qui est à l’œuvre : il s’agit de faire pièce à l’entreprise nazie d’effacement des preuves par la démonstration définitive que Hartheim, contre toute tentation négationniste, ne fut pas un simple centre de gazage dévolu à l’euthanasie des aliénés mais un élément crucial dans le dispositif de l’extermination.

Un rôle non négligeable dans l’extermination

Le château, situé dans le bourg d’Alkoven près de Linz en Autriche annexée, a fonctionné comme centre d’euthanasie entre 1940 et décembre 1941, procédant au gazage de plus de 18 000 « déficients ». Les victimes étaient officiellement des malades mentaux ou des personnes diminuées soit d’origine germanique soit de nationalité étrangère (Tziganes, Russes, Polonais, Juifs…).

Cette entreprise d’euthanasie dite « Aktion T4 », était dirigée par la Chancellerie d’Hitler et prit fin à sa demande à la suite de protestations des Eglises allemandes. Mais une nouvelle opération lui succéda : le « traitement spécial 14f13 », « 14f » désignant la mort d’un détenu dans la terminologie de l’administration SS des camps et « 13 » signifiant le gazage.

Le gazage concernait cette fois les concentrationnaires des camps après une inspection psychiatrique -une sélection- chargée d’en éliminer les éléments asociaux. Hartheim était à proximité du camp de Mauthausen et de son annexe de Gusen comme tous les centres d’euthanasie toujours situés à côté d’un grand camp. 4 600 détenus (polonais, russes, espagnols, juifs..) en ont été retirés et ont été gazés entre l’été 1941 et novembre 1944. En 1945, à l’époque du procès de Nuremberg, il était compréhensible que la qualification de crime de guerre, retenue pour l’action « T4 », ait été improprement conservée pour l’opération « 14f13 ».

Aujourd’hui il n’est pas usurpé de reconsidérer toute l’activité du centre sous l’appellation de crime contre l’humanité. Le premier gazage de juifs hollandais à Hartheim est à dater du mois d’août 1941, avant que la chambre à gaz d’Auschwitz ne soit installée. Une réalité que dénonça Thomas Mann dans son appel aux Allemands sur les ondes de la BBC en janvier 1942.

L’obsession de la dissimulation

Fort heureusement il y eut des survivants parmi les membres du Kommando de Mauthausen, venu en décembre 1944 détruire toutes preuves d’extermination. Le témoignage du maçon espagnol Mauricio Pacheco, chargé de murer la porte de la chambre à gaz, a permis la reconstitution d’un plan détaillé du centre. Celui d’Adam Golembski a révélé l’obsession de la dissimulation de la SS. Toutes les installations servant à l’extermination, cheminée comprise, étaient soustraites au regard extérieur et l’entrée du château se faisait à travers un hangar opaque.

Une hantise du secret qui se retrouve dans les efforts entrepris par l’administration SS pour dissimuler les gazages. Elle se livrait à des jeux d’écriture consistant à falsifier les registres de détenus. Une comptabilité truquée qui nous est connue grâce au témoignage de deux déportés ayant eu accès aux registres du camp de Mauthausen, H. Marsalek et C. Climent Sarrion.

Ce dernier, affecté à la comptabilité (Politische Abteilung) des déportés espagnols, avait remarqué que leurs fiches disparaissaient à chaque départ pour le sanatorium de Dachau et qu’elles réapparaissaient plus tard dans la cartothèque des morts. Il a ensuite sauvegardé les documents originaux de ces prétendus convois vers Dachau entre 1941 et 1942. Leur étude réalisée par l’historien Pierre-Serge Choumoff révèle que la date de décès mentionnée sur chaque fiche était fictive et postdatée après le départ du convoi.

Les SS pouvaient ensuite réintégrer progressivement les fiches dans la comptabilité du camp au jour correspondant à la fausse date de décès. Un moyen de maquiller les lourdes pertes de certains convois mais résonnant aussi comme un aveu. Ainsi les dates regroupées de décès de 31 Espagnols, les 29 et 30 septembre 1941, confirment un gazage à Hartheim et rendent impossible un transport à Dachau, dont la comptabilité par ailleurs n’aurait pu se retrouver à Mauthausen.

Ce nouveau regard sur Hartheim, fruit de récentes découvertes, nous démontre que l’histoire n’est jamais véritablement terminée.

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 383
Editeur : Tirésias
Collection : Ces Oubliés de l’Histoire
Sortie : 1 novembre 2010
Prix : 30 €