
Le film d’animation de KIM Bo-sol, The Square a été diffusé à deux reprises lors du 20eme édition du Festival du Film Coréen à Paris.
Une session de questions-réponses a suivi la projection du samedi 1er novembre, en voici la retranscription
! Attention, des éléments du film sont dévoilés dans cette session.
Présentatrice : Je vais demander à KIM Bo-sol de nous rejoindre, j’imagine que vous avez des questions, mais laissons d’abord la parole à KIM Bo-sol, avez-vous quelque chose à dire à votre public qui est venu ce soir ?
KIM Bo-sol (réalisateur) : Bonsoir, je vous remercie beaucoup de vous être déplacé pour voir un film ennuyeux le week-end.
Présentatrice : Il semblerait que The Square vient d’une histoire vraie, ou du moins une image qui vous a marqué, est-ce que vous pouvez nous raconter comment est venue l’idée, de ce suédois sur cette grande place de Pyeonyeong ?
KIM Bo-sol (réalisateur) : Alors le point de départ du film, c’est que de base je porte un très grand intérêt à tout ce qui touche à la Corée du Nord, et un jour j’ai lu un article d’un diplomate suédois qui vivait là-bas, et en fait il racontait sa vie et son quotidien. Il était marqué qu’il avait vécu une très grande solitude en Corée du Nord et que pour la surmonter, la seule chose qui le faisait un peu déstresser, c’était de faire du vélo sur l’autoroute. J’ai eu une image très forte qui s’est gravé dans ma tête et donc de là est parti ce film, et puis les personnages, Bok-joo et Myeong-jun sont nés de la fiction.
Question du public : Comment avez vous chois le style, le choix visuel de votre film , et j’ai autrement une question plus anecdotique, dans le film on voit des peintures, notamment, une peinture de Chirico, peintre italien, je me demandais quelle était la signification de ce choix, et troisièmement, j’ai lu Pyongyang de Guy Delisle où il parle de l’animation qui est sous-traité en Corée du Nord, je me demandais si vous aviez fait appel à des animateurs de Corée du Nord pour ce film ?
KIM Bo-sol (réalisateur) : Pour la première question, concernant le style visuel, c’est vrai que ce film, même pour un film indépendant, on a eu un budget vraiment vraiment dérisoire. Il y a un animateur et moi qui avons dû travailler sur tous les dessins nous-même, donc on a essayé de travailler de manière assez efficace et le but était de rendre toutes les surfaces planes, de les travailler pour qu’elles aient le plus de profondeur possible, et tout ce qui est arrière plan, on essayait d’avoir une sorte de texture, également pour les ombres. Tout ce qui était plat, même les personnages, on a essayé de leur donner un peu plus de volume, comme s’ils étaient un peu maquillé et comme c’était le premier film de notre studio, on a essayé de chercher notre propre identité. Ce n’était pas facile car on voulait se démarquer. On ne voulait pas que ça fasse les anciens Disney ou que ça ressemble à de la japanimation, donc on a beaucoup réfléchi à ce sujet-là.
Pour la deuxième question, malheureusement je ne connais pas Guy Delisle, mais c’est vrai que comme vous dites, il y a en Corée du Nord une industrie de l’animation pour la sous-traitance et ils sont vraiment très très doués. Le pays encourage vraiment cette industrie, ils envoient même des nord-coréens à l’étranger pour qu’ils étudient l’animation. Et je voulais vraiment travailler avec des animateurs nord-coréens, aussi en réalité pour réduire les coûts. Mais comme vous savez, tout paiement de prestation envers la Corée du Nord est illégal aujourd’hui, donc j’ai voulu aussi travailler aussi des nord-coréens qui sont établis en Chine, mais l’ironie du sort est que je me suis aperçu qu’ils coûtaient encore plus chers que les animateurs basés en Corée du Sud, donc ça ne s’est pas fait et nous avons travaillé avec des animateurs sud-coréens.
Alors je suis très heureux que vous me posiez cette question en relation avec de Chirico parce que j’ai fait beaucoup de festivals et c’est la troisième fois qu’on me pose cette question, enfin qu’on y fait allusion. J’ai beaucoup cogité quant au tableau à montrer, le tableau on le voit au début, c’est l’ambassade de Suède, mais je ne voulais pas que se soit une oeuvre suédoise, en fait, on voit que le tableau est derrière Myeong-jun, je voulais que ce tableau raconte ce personnage et les caractéristiques des oeuvres de de Chirico sont qu’en fait, elles montrent très bien les hommes contemporains qui sont un peu à la marge, qui ne sont pas intégrés dans une société et donc ça montrait très bien ce personnage.
Public : En rapport avec le personnage de Myeong-jun, dans une précédente interview vous aviez expliqué que c’était lui le véritable protagoniste de l’histoire que vous avez voulu raconter, et on le voit très bien avec le fait qu’il est le personnage le plus seul, qui vive le plus dans la peur. Vous aviez parlé du fait que vous aviez discuté avec un ancien agent de la police secrète nord-coréenne, et que vos discussions avec lui vous ont amené à donner cette direction à votre scénario, donc je me demandais si cette personne avait pu voir le film et si oui ce qu’il a pu en penser. De plus, je voulais dire que votre film m’a fait penser à un autre beau film qui raconte l’histoire d’un agent de la police secrète qui à force de mettre un couple sur écoute, décide de protéger leur histoire d’amour au péril de sa vie, c’était un film allemand de 2006, La vie des autres (réalisé par Florian Henckel von Donnersmarck) et avec votre film, j’ai retrouvé les mêmes émotions, je vous remercie pour cela.
KIM Bo-sol (réalisateur) : Oui la personne qui m’a aidé est un réfugié nord-coréen, il a été le premier à qui j’ai montré le scénario, mais malheureusement, il n’a pas pu voir le film achevé. Lors de la première projection en Corée du Sud, je l’avais invité, mais il n’est pas venu, et comme le film sort en salle en Corée en janvier, j’espère qu’il pourra venir pour une avant-première.
Une petite parenthèse, parce que c’est important, en fait, le mot clé de ce film c’est la solitude, la solitude du personnage Isak Borg, mais en discutant avec le réfugié nord-coréen, j’avais énormément de questions car je ne suis jamais allé en Corée du Nord, dont celle-ci « est-ce que vous avez ressenti de la solitude lorsque vous étiez en Corée du Nord? » et en fait, il m’a répondu que non, car il tremblait de peur. Le quotidien c’est la peur donc il ne ressentait pas de solitude, et en fait, cette réponde-là m’avait beaucoup marqué et ça m’a permis de changer complètement le scénario, je l’ai revu du début.
Myeong-jun est quelqu’un qui est très seul, mais surtout il tremble de peur 24h sur 24. Au début, mon film devait parler de Borg et de sa solitude et finalement, en entendant la réponse du réfugié, c’est la solitude de Myeong-jun qui était beaucoup plus importante, elle est aussi plus difficile a exprimé, mais je me disais que si j’arrivais à exprimer le moment où la peur de Myeong-jun se transforme en solitude, j’aurais accompli déjà quelque chose de pas mal, parce qu’en fait à partir du moment où un personnage bascule de la peur à la solitude, c’est là qu’il connait la vraie liberté.
Oui La vie des autres est un film , et d’ailleurs que j’ai vu beaucoup vu, parce que justement, je ne voulais pas que mon film ressemble à ce film car les sujets des deux films sont très similaires. Malgré tout, je remarque qu’il existe encore beaucoup de similarité, par exemple dans La vie des autres, on voit dans le film que le personnage principal pleure en écoutant un morceau de piano et là c’est pareil mais à travers le lecteur de CD. On ne voit pas mais c’est quand il y a la prise qui relit le lecteur de CD qui est retirée, se déconnecte. Il y a beaucoup de points similaire, mais une des grandes différences, c’est la vision que j’ai par rapport à la Corée du Nord. A mon avis, c’est vraiment une pénétration culturelle qui va peut-être permettre un changement radical, ou un changement qui aura lieu en interne, en Corée du Nord. Si le changement ne vient pas de l’intérieur, je pense que ça sera très difficile de changer les esprits. Ça, c’est représenté par le lecteur de CD.



Question du public : Merci pour le film, j’ai une double question linguistique, comme c’était un diplomate suédois dans le film, je me demande si vous aviez envisagé à un moment de le faire parler suédois avec l’ambassadeur et l’autre question, je voulais savoir s’il y avait des éléments dans le film de la langue ou l’accent de Corée du Nord ?
KIM Bo-sol (réalisateur) : Pour la première question, c’est vrai que j’avais un peu des pensées mixtes. A l’époque, on était en pleine pandémie donc c’était un peu compliqué mais on avait déjà pensé à quelqu’un et finalement, lors de la pandémie, la plupart des étrangers étaient rentrés chez eux. Donc bien sûr, il y avait des ingénieurs, des employés qui travaillaient chez IKEA, on avait demandé des échantillons de voix, le problème c’est qu’ils parlaient suédois, mais qu’ils n’arrivaient pas à jouer, donc on a eu un gros dilemme et à un moment je me suis dit que oui le personnage est suédois mais c’est un film qui parle de la Corée du Nord, donc on a décidé de tout doubler en coréen.
Concernant le dialecte ou l’accent nord-coréen, en fait je voulais vous dire qu’en général, les gens se permettent de dire tout et n’importe quoi sur les univers qu’ils ne connaissent pas et je trouve que c’est vraiment une très grande erreur. Par exemple, les médias sud-coréens représentent toujours la Corée du Nord en exagérant les faits ou en ridiculisant ce pays, et je me suis dit qu’en écrivant ce scénario, au cas où un jour la Corée se réunifirait, je ne voulais pas avoir honte de mon film, je ne veux pas me faire insulter par des nord-coréens qui verraient le film. Je me suis donc attaché à être très stricte, à que se soit vraiment un accent respecté et pas imité, donc j’ai reçu l’aide du réfugié nord-coréen et il a coaché les acteurs voix 4 fois à intervalle espacée pour que se soit vraiment plausible, donc il est vrai que pour le public qui ne comprend pas le coréen ça doit être difficilement perceptible, mais je pense que pour les sud-coréens qui écoutent le film, on peut tout de suite le voir.
Question du public : J’ai deux questions, la première est est-ce que vous avez fait beaucoup de recherches et comment s’est déroulé votre processus de recherches et d’étude sur un pays où les sud-coréens ne peuvent pas aller et la deuxième question c’est est-ce que le sujet est en lien avec le choix d’avoir choisi l’animation ?
KIM Bo-sol (réalisateur) : Pour la première question, mon grand ami c’était Google et le deuxième c’est Instagram, parce qu’en fait finalement, ces deux médias sont vraiment bien pour chercher des images qu’on ne voit pas dans les médias. Surtout, il y a des guides russes et chinois qui amènent des groupes de touristes en Corée du Nord et qui postent finalement beaucoup de photos sur Internet, et ces photos sont beaucoup plus vivantes, beaucoup plus proches des personnes, on voit des arrières plans qui sont différents de ce qu’on a l’habitude de voir dans les médias. Ca m’a beaucoup aidé, et lors de la pré-production, il y avait une personne vraiment dédié à collecter tous ces documents et toutes ces images et tout ce que je ne pouvais pas récolter à travers cela, c’est à travers les interviews que je faisais que je posais des question.
Pour la deuxième question, c’est qu’effectivement c’est que les films d’animation nous permettent d’aller au-delà des limites du physique, bien sur dans l’expression mais aussi parce qu’il y a des lieux où on ne peut pas aller et grâce à l’animation, on nous transporte dans ces lieux, comme la grande place en Corée du Nord dans The Square. Après la raison principale est surtout que je suis moi-même animateur, donc j’avais vraiment envie de faire un film d’animation, c’est ma spécialité, c’est ma passion. Mais dès le début, dès mon premier court métrage, j’avais vraiment envie de raconter cette histoire, mais à l’époque dans mon entourage, tout le monde m’en dissuadait, parce qu’en Corée du Sud, les gens sont contre pour parler de la Corée du Nord. Donc pour mon premier court métrage ce n’était pas possible, je me suis entêté pour mon premier long métrage, j’ai réussi à faire le film.
Présentatrice : Avez-vous un dernier mot à nous dire ?
KIM Bo-sol (réalisateur) : Encore merci de vous être déplacés un week-end, je voulais vous dire ce que cette année j’ai passé presque deux mois en France, j’aime beaucoup la France, c’est le pays des arts et de la culture et ça ne m’étonne pas que le public français a un niveau aussi élevé dans les questions que vous posez, ça a été un vrai régal pour moi de vous répondre, merci beaucoup.
Restranscription de la session de questions-réponses pour Onirik.net, cette dernière se base sur la traductrice de la session.
