
Lieu : Japan Expo 2025 – le vendredi 4 juillet (scène Yuzu)
Rencontre avec le mangaka Oh!great pour un échange de questions-réponses mais également un live-drawing !
Le mangaka était là pour promouvoir sa nouvelle série chez Pika Edition : Kaijin Fugeki, mais aussi parler de sa carrière.
L’animatrice était @Trashringo , son éditeur était également présent et l’interprétariat était effectué par Shoko Takahashi
Retranscription par Hiro pour Onirik.net
Toutes les questions et réponses n’ont pas été retranscrites par manque de compréhension ou précision.
Présentatrice : Vous êtes très chanceux, car aujourd’hui, c’est un live drawing, notre sensei Oh!great va nous dessiner deux personnages de légende du manga Air Gear et cela sera Ikki et Ringo !
Oh!great (mangaka) : Aujourd’hui, je suis très angoissé parce qu’autrefois, je dessinais à la main, mais cela fait longtemps que je ne dessine plus ainsi parce que maintenant, je dessine uniquement en numérique. J’espère que ça va bien se passer. Je vais faire mon maximum, je vous remercie pour votre soutien.
La pose pour le live drawing de Ikki et Ringo sera une scène d’action !
Présentatrice : Dans votre jeunesse, vous étiez déjà passionné de dessins, vous avez même fréquenté le club d’art de votre lycée, au final, d’où vient cet amour pour l’art ?
Oh!great (mangaka) : Avant de répondre à la question, je vais juste présenter les feuilles que j’utilise, c’est du papier français qui s’appelle Arche1. Pourquoi je parle du papier parce que j’adore la sensation du toucher. Sinon pour répondre d’où vient ma passion pour le dessin, je pense que si j’ai continué jusqu’à aujourd’hui, ce n’est pas vraiment la passion qui vient de moi, c’est plutôt par respect envers des dessinateurs qui ont travaillé avant moi. J’ai tellement de respect pour eux que ça m’a donné envie, ça m’a motivé de dessiner et c’est grâce à eux que j’ai continué de dessiner.
Présentatrice : Vous avez mis un pied dans le monde du manga d’une manière un peu folle, pouvez-vous nous raconter ?
Oh!great (mangaka) : Je travaillais dans une entreprise, mais je n’étais pas un bon salarié. Je séchais le travail, tous les jours, j’allais une heure ou deux dans une salle de Pachinko2 pour jouer. Le pachinko, c’est une activité qu’il faut faire absolument toute la journée pour gagner, mais comme je ne pouvais jouer qu’une ou deux heures, je ne gagnais pas, donc je perdais beaucoup. En fait, il faut faire la queue le matin pour choisir sa machine, et rester toute la journée pour gagner environ 5000 yens. Comme je ne faisais que perdre, un jour, j’ai eu énormément de dettes. Ainsi, pour rembourser mes dettes, j’ai eu l’idée de participer à un concours de mangas afin de gagner un lot ou la prime. Finalement, j’ai fini par gagner le deuxième prix, j’étais tout content, mais en réalité ce lot n’était que des coupons pour acheter des livres, donc ça ne m’a servi à rien pour rembourser mes dettes.
Présentatrice : C’était quoi vos inspirations, que ce soit mangakas, peintres ou réalisateurs de films ?
Oh!great (mangaka) : Depuis que j’ai découvert Nausicaa de Hayao Miyazaki lorsque j’étais au collège, j’ai un énorme respect pour lui, j’ai été bouleversé quand je l’ai découvert. Depuis, Hayao Miyazaki reste le numéro 1 des réalisateurs.
Présentatrice : Est-ce que Nausicaa est votre Ghibli préféré ?
Oh!great (mangaka) : Pour moi, oui.
Présentatrice : Vous avez également tenté d’être l’assistant de Masanori Morita, l’auteur de Rokudenashi Blues3, est-ce que vous pouvez nous en dire quelques mots ?
Oh!great (mangaka) : En fait, à l’époque, la tâche de l’assistant de mangaka, c’était travailler sur les trames. Il fallait vraiment savoir maîtriser leur utilisation et du coup, j’ai été candidat pour être l’assistant de Masanori Morita, qui était à l’époque au sommet du monde, mais je n’avais pas le niveau et je n’ai pas été pris comme assistant.
Présentatrice : Fin des années 90, vous avez commencé à publier vos premières œuvres grands publics, notamment Burn Up W, qui seront rapidement adaptées en anime, comment vous sentez-vous à ce moment-là, est-ce que vous voyez cela comme le début de la gloire ?
Oh!great (mangaka) : En fait, à l’époque, je faisais tellement tout pour dessiner, chaque jour, jour après jour, donc je ne réfléchissais pas vraiment à la place que je pouvais avoir dans l’univers du manga. J’étais déjà satisfait de pouvoir vivre de mes dessins.
Présentatrice : Justement est-ce que ça vous manque de faire des séries courtes ou de quelques chapitres ou de quelques tomes ?
Oh!great (mangaka) : Je pense que je suis assez doué pour raconter des histoires courtes. Ça m’a beaucoup intéressé de travailler sur ce type d’histoires, simplement, les one shot sont très épuisants, parfois je dépense autant d’énergie pour les écrire que pour une série. J’aimerais bien en refaire, mais plus tard quand je serais plus âgé et que je n’aurais plus d’obligation de date de rendu.
Présentatrice : M. Kobori, comme je vous ai introduit tout à l’heure, vous êtes l’éditeur de Oh!great, à quel moment de sa carrière avez-vous commencé à travailler avec lui ?
M. Kobori (éditeur) : La première fois que j’ai travaillé avec M. Oh!great, c’était 3 ou 4 mois avant le début de Bakemonogatari, à l’époque, il terminait le nemu/storyboard.
Présentatrice : On reviendra sur Bakemonogatari plus tard, est-ce que vous connaissiez déjà le travail de Oh!great ? Est-ce qu’une de ses œuvres vous avez plu en amont ?
M. Kobori (éditeur) : Quand j’étais collégien, j’ai lu Air Gear, et au lycée Enfer et paradis, ce sont ces deux œuvres qui m’ont donné envie de devenir éditeur de mangas, c’était mon rêve de commencer ma carrière avec Oh!great et de la terminer également avec lui. Encore aujourd’hui, je peux dire que mon manga préféré est Enfer et Paradis.
Présentatrice : En 1997, vous démarrez la publication d’Enfer et Paradis, comment s’est passée la genèse de la série ?
Oh!great (mangaka) : La genèse du projet Enfer et Paradis est un peu complexe, il existait à l’époque un magazine qui s’appelait Capitain, dans lequel je publiais ma série. Lorsque le magazine a pris fin, je n’étais qu’au 3e chapitre. Là, le magazine a disparu, alors le rédacteur en chef du magazine m’a convoqué et m’a dit que je devais absolument publier le « tankobon », à savoir le livre relié, deux semaines plus tard. Le problème est que je n’avais que 90 pages, et pour le publier en relié, il en fallait 110 supplémentaires. J’ai vraiment dessiné 110 pages en 2 semaines.
Ça a été extrêmement difficile de faire autant de pages en 2 semaines, mais j’ai quand même terminé et le livre relié a été publié. Suite à cela, l’éditeur, M. Tomita, a découvert mon livre et a beaucoup aimé, puis il m’a appelé. J’ai vraiment été récompensé grâce à la reconnaissance de M. Tomita. Il a beaucoup aimé mes dessins et m’a dit de faire ce que je voulais dans son magazine. C’est comme ça que le projet d’Enfer et Paradis est né.
À l’époque, les arts martiaux étaient très à la mode, un Français ou un Hollandais était très bon et donc je voulais vraiment faire un manga sur les arts martiaux. Je parle de Jérôme Le Banner.
Présentatrice : Ce qui est frappant dans cette œuvre, c’est qu’on a l’impression qu’il n’y a pas que Soichiro qui est le personnage principal, mais qu’il y en a plusieurs. Est-ce que c’était voulu de mettre vos personnages sur le même piédestal ?
Oh!great (mangaka) : C’est quelque chose que je fais encore aujourd’hui, je ne veux surtout pas qu’il n’y ait qu’un seul personnage principal, pour moi tous les personnages sont principaux, il n’y a pas de secondaires. Parce que dans notre vie réelle, il n’y a pas de rôle secondaire, tout le monde est un personnage principal, je voulais être fidèle à notre monde réel. Je voulais vraiment mettre en lumière chacun des personnages et c’est quelque chose que je fais systématiquement, dont Air Gear. En même temps, c’est presque une histoire initiatique.
Présentatrice : En restant sur les personnages principaux, beaucoup de fans considèrent que Takayanagi est le véritable héros, qu’en pensez-vous ?
Oh!great (mangaka) : peut-être.
Présentatrice : Vous avez une façon d’écrire les personnages féminins qui vous est très propre, elles sont belles, sexy, fortes, elles sont vulnérables par moment, elles sont déterminées, est-ce dur en tant qu’homme d’écrire ce genre de personnage ?
Oh!great (mangaka) : Ce n’est pas si difficile que ça, chaque fois que je dessine un personnage féminin, c’est une femme de rêve, je veux que ce type de femme existe réellement, c’est comme ça que je les écris donc ce n’est pas si difficile que ça.
Présentatrice : M. Kobori, vous êtes très fan d’Enfer et Paradis, Aya ou Maya ?
M. Kobori (éditeur) : Team Aya.
Présentatrice : Concernant Maya, comment vous est venu l’idée de changer son apparence ?
Oh!great (mangaka) : Par rapport à ses cheveux ?
Présentatrice : Quand elle est petite puis grande.
Oh!great (mangaka) : Au début, je n’avais pas du tout eu cette idée, elle ne devait pas du tout changer de taille, Maya est une vampire donc elle peut tout à fait se transformer en démon. Cela, c’était le concept initial, c’est avec ce concept que j’ai travaillé sur le story-board. Puis après, je me suis ensuite dirigé vers un manga autour des arts martiaux, c’est là que j’ai eu l’idée du corps de Maya qui se transforme, s’étire et rétrécit. J’ai eu l’idée à peu près une page avant la première scène de transformation.
Présentatrice : Les arts martiaux ont une place primordiale dans Enfer et Paradis, est-ce que c’est un domaine qui vous plaît à la base ou avez-vous fait beaucoup de recherche dessus ?
Oh!great (mangaka) : J’ai toujours aimé les arts martiaux, c’est comme ça que j’ai approfondi mes recherches sur les arts martiaux traditionnels japonais. D’ailleurs, j’aborde à nouveau ce sujet dans mon nouveau manga Kaijin Fugeki. Dans celui-ci, je parle aussi de la danse, c’est quelque chose d’assez important dans cette œuvre, et j’ai découvert qu’il y avait beaucoup de points communs entre les arts martiaux traditionnels et la danse traditionnelle. Ça m’a vraiment passionné, car la danse, c’est des mouvements, et pour moi les mouvements, c’est primordial. J’ai également beaucoup travaillé les mouvements dans Air Gear.
Présentatrice : M. Kobori, à part Aya, y a-t-il un personnage d’Oh!great que vous appréciez énormément dans Enfer et Paradis ?
M. Kobori (éditeur) : Masataka[Takayanagi] et Madoka.
Présentatrice : Pourquoi ?
M. Kobori (éditeur) : Si je dois dire pourquoi j’aime autant Enfer et Paradis, c’est parce que la description de l’aspect psychologique dans ce manga est vraiment extraordinaire. C’est vraiment le point fort de M. Oh!great . Quand j’ai lu Enfer et Paradis, je me suis dit que je n’avais jamais lu un tel manga. Il y avait une utilisation de la langue japonaise, des termes japonais que je n’avais jamais vus dans un autre manga. C’est pour ça que j’ai beaucoup aimé Masayaka et Madoka, ces deux personnages, je me souviens de ce que j’ai ressenti plus jeune, ils représentent ma jeunesse.
Présentatrice : En 2002, en parallèle de Enfer et Paradis, vous commencez à publier Air Gear. Qu’est-ce qui vous a donné envie de traiter un sujet de niche avec des rollers ?
Oh!great (mangaka) : Avant de répondre à cette question, je vais un peu parler du dessin que je suis en train de faire. Quand Japan Expo m’a proposé de faire un live drawing, je n’étais vraiment pas sûr de réussir, car ça fait longtemps que je n’ai pas dessiné du Air Gear, ça fait peut-être 15/20 ans, j’ai beaucoup oublié, je n’étais pas sûr, donc je me suis dit qu’il fallait absolument que je m’entraîne. Je voulais vraiment m’entraîner avant de venir à Paris, mais actuellement je travaille sur une série qui me prend un temps fou et donc je ne pouvais vraiment pas perdre une journée. Avant de partir, je n’ai pas pu m’entraîner, je suis venu comme ça à Paris, c’est donc devant vous que je dessine après de nombreuses années. Vous assistez en direct à la difficulté d’un mangaka, c’est-à-dire que si ça avait été la série en cours Kaijin Fugeki, je suis beaucoup plus rapide, et si ça avait été ce titre, je serais déjà passé à l’encrage, alors que là, je suis encore à l’étape du crayonné. Ça veut dire qu’un mangaka, même avec 30 ans de carrière, a beaucoup de mal à dessiner quand il ne s’est pas entraîné pendant un certain temps. Je m’excuse par avance.
Pouvez-vous reposer la question ?
Présentatrice : Qu’est-ce qui vous a envie de traiter un sujet de niche comme le roller ?
Oh!great (mangaka) : Comme je vous ai dit tout à l’heure, je m’intéresse beaucoup au mouvement. Plus le mouvement est rapide, plus il est intéressant. C’est quelque chose qui est commun et assez universel. La vitesse, le chrono, c’est ça qui compte dans la justesse.
Évidemment, si on cherche uniquement la vitesse, il y a aussi tout ce qui possède un moteur, ça va plus vite, mais je me suis dit qu’il fallait aussi penser à la force qui vient de soi-même, parce qu’il faut du courage pour ça, et en y réfléchissant, je suis arrivé aux rollers.
Présentatrice : Un des meilleurs aspects du manga, c’est une patte graphique très prononcée, les chara-design, les vêtements très street-wear, on sent que vous vous êtes complètement lâché, quelles étaient vos inspirations ?
Oh!great (mangaka) : A l’époque, j’étais atteint de la maladie de « chunibyo »4 pendant la deuxième année du collège, éternellement jeune, un éternel ado et je dévorais les magazines de mode ou d’art étranger. C’est dans ces magazines que j’ai découvert l’art du graffiti je dévorais les magazines de mode et d’art étranger, j’ai découvert l’art du graffiti, et au Japon, à l’époque, il n’y en avait pas vraiment, ou peut-être seulement dans certains quartiers de Shibuya à Tokyo, où on pouvait en trouver, mais il n’y en avait pas beaucoup. J’ai trouvé cela extraordinaire, j’ai été séduit, et j’ai fini par fréquenter des magasins de rollers, c’est comme ça que j’ai découvert leurs vêtements que j’ai trouvés très cools.
Présentatrice : On va rester sur l’aspect graphique, on ne va parler de vos planches et de votre découpage, c’est un manga qui parle de rollers donc forcément y’a des tricks, des acrobaties, énormément de doubles pages, il y a cette envie de prendre l’entièreté de l’espace, comme si vos personnages avaient besoin de liberté. Comment travaillez-vous l’étape du découpage ?
Oh!great (mangaka) : Avant de répondre à cette question, je veux dire un petit mot : il y a différents medias dans le divertissement, par exemple le cinéma, les jeux vidéo, la littérature, les romans, la musique, et aussi le manga. Et pour moi, le grand atout du manga, c’est le découpage. Quand on travaille dessus, on définit le cadre et en changeant le cadrage ou l’échelle, on peut tout à fait guider l’attention du public, par exemple sur certaines choses ou autres, du coup, il y a la notion de la subjectivité et l’objectivité. Peut-être que le mot « contrôler » l’attention du public, des spectateurs n’est pas approprié, mais d’une certaine manière, je peux contrôler l’émotion. Quand je veux que le public voie certaines choses, je peux le guider, quand je veux qu’il pleure, aussi. C’est avec le découpage et le cadrage qu’on peut le faire et c’est quelque chose que le cinéma n’arrive pas à faire. Je voulais vraiment acquérir le savoir-faire pour bien utiliser cette compétence. Chaque fois que je travaille sur un chapitre, je décide à quel moment je dois mettre la scène la plus innovante, c’est à partir de là que je commence à composer le chapitre, et donc par exemple, pour la scène que je veux, je vais utiliser la double page, ou une grande case, ou des cases très détaillées, ou au contraire, j’utilise un très grand espace vide pour marquer. J’essaye vraiment de choisir un certain moment qui marque le plus.
Présentatrice : Vous faisiez cette série en parallèle d’Enfer et Paradis, cependant, je trouve personnellement que c’est avec Air Gear que vous avez vraiment progressé. Qu’est-ce qui était le plus difficile en termes de graphisme ?
Oh!great (mangaka) : C’était quand je travaillais sur le premier chapitre d’Air Gear, je n’étais pas sûr de mon story-board, je tâtonnais, je continuais à réfléchir, mais en même temps, ma date de rendu s’approchait, donc il fallait absolument que j’avance, même si je n’étais pas sûr. J’ai dû passer sans être sûr de moi-même à l’étape de l’encrage, et c’est peut-être autour de la quatrième ou cinquième page qu’il y a la scène dans laquelle on voit Simca. Elle avance entre les maisons, et là, il y a la double page où Simca se projette. A ce moment-là, j’ai mis l’onomatopée « gashu », je l’ai mis sous forme de graffiti, c’est vraiment à ce moment-là que j’ai eu cette idée, je ne l’avais pas avant, c’est là que j’ai eu la sensation de trouver l’aspect graphique d’Air Gear, je n’avais pas cette idée au début.
Présentatrice : Parlons du protagoniste, Ikki, il évolue tout au long de l’histoire, comment avez-vous abordé le personnage ?
Oh!great (mangaka) : Au début, quand j’ai pensé au concept du personnage d’Ikki, j’ai pensé au héros typique des magazines shonen. C’est-à-dire un personnage très fort qui arrive à vaincre tous les méchants et à l’époque, c’était comme ça. Il fallait absolument un héros comme ça. Mais je n’étais pas trop satisfait de cette image trop répandue, donc je me suis dit que, plutôt que de penser à un personnage qui arrive à vaincre avec des combats, faisons un personnage qui arrive à faire des superbes performances de rollers. C’est cette performance qui séduit les gens, ainsi les gens le trouve très cool et ont du respect envers lui, c’est comme ça qu’il peut vaincre. C’est l’idée qui m’est venue pour ce personnage.
Mais en travaillant, en dessinant et en racontant cette histoire, j’ai fini par comprendre qu’en fait Ikki, s’il fait du roller ce n’est pas pour lui, ce n’est pas pour montrer sa propre performance, mais c’est pour que les autres puissent montrer leur performance.
Par exemple le personnage de Ringo savait faire des sauts depuis toujours, elle réussissait, mais Kazu lui n’y arrivait pas. C’est grâce à Ikki qui réussit ses sauts, incite Kazu à essayer et à réussir, c’est grâce à Ikki que Kazu réussit.
En dessinant cette scène, j’ai compris que c’était ça que je voulais dans Air Gear, donc quand Kazu a réussi à battre Nike, je me suis dit que je pouvais terminer cette histoire, car j’avais réussi à raconter ce que je voulais aborder. C’est donc au moment où tout le monde a réussi à faire des sauts, qu’Ikki a accompli son rôle, c’est à ce moment-là, et seulement là, qu’Ikki devient enfin le personnage principal, le héros de l’histoire.




Présentatrice : J’en parlais plus tôt, mais les personnages féminins ont une grande importance dans vos récits, et ici, il y en a une qui les éclipse toutes, Ringo, pouvez-vous nous parler de sa création et de votre rapport vis-à-vis d’elle ?
Oh!great (mangaka) : Par rapport à la genèse de son personnage, d’abord son physique, elle porte des lunettes, mais à l’époque, il n’y avait vraiment pas d’héroïne qui portait de lunettes dans le genre shonen. En réfléchissant à son personnage, je ne voulais pas la mettre en avant juste parce que c’est une fille mignonne. Je ne voulais surtout pas qu’elle ne soit qu’une fille mignonne, je voulais qu’elle soit autre chose. En fait, il y a une attente des lecteurs pour les personnages féminins, ils veulent des personnages féminins mignons, et quand elle porte des lunettes, beaucoup pensaient que ça ne l’était pas. À l’époque, lorsque j’ai proposé ce personnage avec des lunettes, l’éditeur s’y est opposé, il m’a demandé de supprimer les lunettes. Mais j’adore les personnages avec des lunettes et d’ailleurs, c’est ce que je fais dans Bakemonogatari. J’adore les lunettes et j’ai donc décidé d’ignorer la demande de mon éditeur. J’ai tenu à ce qu’elle conserve ses lunettes.
Alors vu ce contexte, forcément, Ringo, quand elle est née, avait déjà un caractère très fort, donc tout naturellement, elle est devenue une femme très forte. C’est un personnage qui arrive vraiment à guider d’autres personnages comme Ikki. Tout à l’heure en parlant d’Enfer et Paradis, Aya pouvait tout à fait être le personnage principal, dans Air Gear, on peut dire que Ringo et Kazu peuvent tout à fait être les personnages principaux.
Présentatrice : Il y a un personnage que j’aime beaucoup dans Air Gear, c’est Sora, vous êtes-vous inspiré de Mitsuomi5 pour sa conception, car il y a beaucoup de similitude entre les deux, ce sont des antagonistes, qui n’étaient pas destinés à l’être, ils ont une relation amoureuse avec le mentor/grande sœur du héros, etc.
Oh!great (mangaka) : On peut dire par rapport à Sora, c’est un peu comme un grand frère sympathique, c’est quelqu’un qui peut vraiment guider Ikki. Ce n’est pas quelqu’un qui fait juste des combats, c’est comme un maître. Mais dans la relation maître-disciple, à un moment, le disciple doit dépasser le maître. Le devoir d’un maître est d’élever ses disciples afin qu’ils le dépassent. À un moment donné, j’ai compris que Sora attendait que ses disciples arrivent à aller plus loin que lui, à le dépasser. C’est ce type de personnalité que j’ai imaginé pour Sora.
Présentatrice : Comment vous est venue l’idée d’ajouter ce système de pouvoirs avec les roues ?
Oh!great (mangaka) : Déjà pour les pouvoirs en japonais, on appelle cela « michi », cela veut dire « chemin » ou « voie » et en anglais, c’est donc « road ». En fait, en japonais, il n’y a pas de différence entre le « L » et le « R », j’ai confondu « road » avec « lord », le « roi ». Je pensais que le « chemin » était aussi le « roi ». Je crains que ce que je raconte ne soit pas compris par le public français, car il y a un jeu de mots avec la langue japonaise. En tout cas, j’ai nommé ces pouvoirs « la voie », « le chemin », car pour un japonais, au niveau de la prononciation, le mot a le double sens du «chemin » et du « roi », ça vient de ce jeu de mot.
Présentatrice : Après Air Gear, vous vous lancez dans une nouvelle série, Biorg Trinity, et cette fois-ci pour la première fois, vous ne vous occupez que du dessin, est-ce que c’était moins stressant ou au contraire, il y avait quelque chose qui vous manquait ?
Oh!great (mangaka) : C’est peut-être un peu triste de raconter ça, mais à l’époque, je travaillais en parallèle sur deux titres, Air Gear et Enfer et Paradis, et c’était extrêmement dur de travailler, j’étais complètement épuisé. Lorsque j’ai terminé Air Gear, je ne voulais plus du tout travailler dans un magazine hebdomadaire parce que la cadence est extrêmement dure. Je voulais revenir aux magazines mensuels, car je l’avais déjà fait. C’est comme ça que j’ai commencé à travailler sur Biorg Trinity dans le magazine mensuel et en plus avec un scénariste. Travailler avec un scénariste, ça veut dire que j’ai moins de tâches, que c’est plus facile que faire narration et dessins. Mais travaillant sur Biorg Trinity, à un moment, je n’était plus satisfait par cette cadence moins dure, il me manquait quelque chose. Je voulais revenir sur un rythme de magazine hebdomadaire et je voulais aussi écrire moi-même l’histoire.
En réalité, une fois qu’on quitte la cadence des magazines hebdomadaires, c’est difficile de revenir, car on a perdu cette habitude de vitesse et je n’avais plus mes assistants qui étaient capables de travailler à ce rythme. Même mes mains ne suivaient plus le rythme, j’avais trop pris l’habitude de travailler au rythme du mensuel. Et à ce moment-là, l’éditeur de la revue Magazine, m’a proposé d’adapter Bakemonogatari6.
En réalité, Bakemonogatari était déjà un titre extrêmement connu avec une vraie communauté de fans. Tout le monde connaissait l’univers, c’était un vrai challenge pour moi. Au début, je cherchais presque une occasion pour revenir sur de l’hebdomadaire, mais pour cette envie, le titre Bakemonogatari était trop important. C’est un peu paradoxal, mais plus c’est difficile, plus je suis motivé et comme Bakemonogatari était un titre extrêmement exigeant et difficile, ça m’a motivé davantage. C’était très bien d’attaquer un titre aussi difficile pour revenir à l’hebdomadaire, j’ai vraiment mis la barre très haut. C’est avec cet esprit que j’ai travaillé sur Bakemonogatari, et maintenant, je travaille sur un nouveau titre, Kaijin Fugeki, dont l’histoire est écrite par moi-même. Ça paraît difficile, mais finalement, la pression sur Bakemonogatari était tellement grande que la tâche était plus difficile. Aujourd’hui, je travaille seul, je m’occupe de la narration et des dessins, je suis relancé, et pour Bakemonogatari, je devais vraiment satisfaire l’auteur et aussi tous les fans qui aiment la série, la pression était grande. Aujourd’hui travailler seul, avec plus de liberté, est plus facile.
Présentatrice : M. Kobori, vous nous avez dit tout à l’heure que vous étiez l’éditeur sur Bakemonogatari, comment on fait pour travailler sur une œuvre aussi grande que celle-ci ?
M. Kobori (éditeur) : C’est vrai que Bakemonogatari était un titre déjà très connu et très important, et comme disait Oh!great, il y avait déjà beaucoup de monde qui aimait ce titre. En tant qu’éditeur, je me disais qu’il ne fallait pas seulement satisfaire ces gens-là, qu’il fallait aussi faire de nouvelles choses et trouver un nouveau lectorat, donc oui, un peu comme lui, j’avais une grande pression. À l’époque, je ne me rendais pas compte de cette pression.
Présentatrice : J’aimerais revenir sur votre dernier titre en date, Kaijin Fugeki7, vous faites votre grand retour en tant que scénariste en plus de vous occuper des dessins. Cette fois-ci, vous vous attaquez à l’univers des chamans, qu’est-ce qui vous plaît dans ce système de croyances ?
Oh!great (mangaka) : Le shintoïsme, en tout cas les religions, mais surtout le shintoïsme, c’était un sujet qui m’intéressait depuis très longtemps. Lorsque j’étais lycéen, je faisais la tournée à moto pour visiter les sanctuaires shintoïstes. Comme je m’intéressais beaucoup à ce thème, je voulais en faire quelque chose. À l’époque, quand je n’étais pas du tout mangaka, je rêvais de devenir peintre, je voulais vraiment faire des peintures qui représentaient les dieux, mais en même temps, je ne savais pas comment les représenter, avec quel visuel et lorsqu’on observe la représentation des dieux dans le monde, la plupart, quasiment tous, ils sont représentés en forme d’humain. A l’époque, je n’étais pas capable de dessiner, de représenter les dieux sous forme humaine.
Maintenant, 30 ans ont passé, j’ai vécu différentes expériences, j’ai fait beaucoup de rencontres, moi-même, j’ai grandi et mûri. J’ai senti qu’il était temps de me lancer dedans. Peut-être qu’à l’époque, je n’étais pas capable de représenter les dieux, c’est comme ça que j’ai commencé Kaijin Fugeki. En réalité, le monde des dieux japonais, c’est un univers qui est difficile à saisir, à comprendre, même pour les Japonais, c’est difficile à cerner. Encore aujourd’hui, je ne suis pas sûr d’avoir tout compris, mais peut-être qu’en faisant ce manga, je me dis que je peux décrire le monde actuel, ou le refléter.
Présentatrice : Je vais sortir du domaine du manga, vous êtes un artiste, on est en 2025, et il y a une grande question de l’intelligence artificielle. Qu’est-ce que vous en pensez, est-ce que c’est quelque chose que vous utilisez, est-ce que vous en avez peur ?
Oh!great (mangaka) : Il ne me reste que 10 minutes (pour finir le dessin du live-drawing), vous voyez comme je suis quand il y a la date de rendu qui approche, je prie de pouvoir finir le dessin. C’est dur de dessiner avec le public qui me regarde.
Je sais que les avis sont très partagés vis à vis de L’intelligence artificielle. C’est très bien qu’il y ait des avis positifs et d’autres négatifs. Ce n’est peut-être pas juste de dire ça, je pense qu’il faut laisser le temps, la tendance, laisser aller. Si je parle de mon avis personnel sur l’IA, ça peut être un outil pour le manga, un peu comme lorsqu’on a inventé le couteau. Évidemment, le couteau est un outil dangereux, car la lame est pointue et peut blesser, donc selon l’utilisation, cela peut être dangereux.
Mais on sait aussi qu’une fois le couteau inventé, on ne s’en est pas séparé dans l’histoire de l’humanité. On sait qu’il y a des assassinats avec, mais c’est aussi un outil pratique. Je pense qu’un jour, l’IA va devenir comme le couteau, il va devenir l’ami du manga et qu’on fera un chemin ensemble. Cependant, pour l’instant, l’IA est peut-être beaucoup trop forte vis-à-vis de l’humanité, donc moi-même, si je ne me bats pas contre l’IA, je vais complètement perdre, et donc ça, c’est l’état actuel des choses. C’est pour ça, que pour l’instant, aujourd’hui l’IA peut tout à fait anéantir les mangakas et les artistes, il faut trouver des mesures pour éviter ça. Je pense que beaucoup partagent cet avis.
Présentatrice : M. Kobori comment devient-on éditeur ?
M. Kobori (éditeur) : Je parle du cas de la société dans laquelle je travaille, chez Kodansha, et je suis au sein de l’équipe du magazine Weekly Magazine. Quand j’observe les éditeurs de ce département, peut-être 80 % des éditeurs sont entrés dans cette entreprise, car ils rêvaient de devenir éditeur de manga, les autres 20 % pour être éditeur de romans. En fait, c’est du hasard, c’est vraiment la direction de l’entreprise qui décide qui sera dans quel département. C’est par hasard qu’on se retrouve dans cette équipe de l’édito, mais en travaillant, on finit par tous aimer profondément le manga et on ne veut plus quitter le milieu. Quand on voit que nos œuvres sont éditées, et arrivent jusqu’au public lointain comme ici, que tout le monde parle de nos œuvres, et qu’on peut même rencontrer les lecteurs qui lisent nos livres, on se dit que ça vaut le coup de passer toutes ces nuits blanches à concrétiser le projet. On se sent vraiment très récompensé et comme ça en travaillant, on devient accro au travail et au monde du manga. C’est comme ça qu’on devient éditeur.
Présentatrice : On arrive sur la fin, avez-vous un mot pour vos fans français ?
Oh!great (mangaka) : Je suis désolé de ne pas avoir respecté la date de rendu. J’ai surestimé mes capacités. J’ai compris que 30 ans de carrière ne suffisaient pas. Vous avez bien compris aujourd’hui en me regardant que le métier de mangaka est très dur. Il y a plein de choses qui ne se passent pas comme on le souhaite et des choses qu’on n’arrive vraiment pas à faire. Même si je me dis que j’ai réussi à faire un super dessin, quand je regarde 5 ans après je trouve que c’est très mal fait.
Même si ce métier est très dur, je n’arrive pas à faire des mangas, c’est un peu comme ce que mon éditeur M. Kobori a dit, je suis peut-être accro au manga, je ne peux vraiment pas m’en séparer. C’est un peu comme une drogue, en tout cas je suis complètement séduit et pourtant, tous les mangas sont créés avec beaucoup de travail et de difficulté des auteurs, d’ailleurs, on trouve à Japan Expo beaucoup de mangas. Toutes ces créations sont faites avec énormément d’amour et de difficultés. J’imagine que vous savez que ce métier est difficile et pourtant des Français viennent au Japon en rêvant de devenir eux-mêmes mangakas.
Je soutiens à fond ces Français masochistes qui veulent faire des mangas avec beaucoup de souffrance. Je soutiens à fond, n’hésitez pas à venir au Japon.
Je vous demande vraiment d’apporter du soutien et d’encourager tous les mangakas, non seulement les Japonais, mais aussi les Français ou de tous les pays. Merci pour votre soutien.
Présentateur : Merci à vous, pour cette conférence, pour ce live-drawing magnifique d’Ikki et Ringo, pour vos mangas qui nous ont tous aidé à grandir, un énorme merci à vous de nous avoir fait l’honneur d’assister à cela. Encore merci M. Oh!great !
- Le Moulin à papier d’Arches fabrique des papiers d’art haut de gamme faits sur forme ronde et adaptés à toutes les techniques artistiques. ↩︎
- salle de jeux d’argent ↩︎
- également édité chez Pika ↩︎
- terme japonais pour décrire les adolescents atteints d’une sorte de mégalomanie, qui veulent absolument se démarquer. C’est aussi traduit par « le syndrome du collège » ↩︎
- Mitsuomi Takayanagi, personnage du manga Enfer et Paradis ↩︎
- Bakelonogatari est un light novel(roman) japonais écrit par Nishio Ishin et illustré par le taïwanais Vofan, elle date de 2006, l’adaptation manga par Oh!great date elle de 2018 ; ↩︎
- Sortie du tome 1 aux Edition Pika le 4 juin 2025 ↩︎