Rencontre avec Freaks pour ‘Sous la ceinture’

Lieu : Librairie Majo

A l’occasion du lancement de la BD Sous la ceinture de Freaks, une rencontre a été organisée par les éditions Lapin le mercredi 27 septembre 2023.

Retranscription de la rencontre avec Freaks par Hiro pour Onirik.net

Présentation de l’éditeur

La boxeuse Diane Berkovitch n’a que 18 ans quand elle est acceptée pour le match d’ouverture des jeux olympiques de Londres, en 2012. L’une des sportives les plus prometteuses de sa génération, elle abandonne pourtant la compétition le jour J et disparaît totalement de la vie publique, dans l’incompréhension générale. Alors qu’elle pensait sa carrière révolue et son passé enterré, Diane sort les gants des années plus tard pour affronter ses démons sur le ring.

TW : violence sexuelle

Éditrice : Je vais tout d’abord te laisser te présenter ainsi que parler de ton travail.
Freaks : Moi c’est Freaks, je fais des BD, la phrase que j’aime bien utiliser pour présenter mon travail, c’est « Je fais des dessins que tu peux acheter pour mettre dans tes chiottes« , ça permet de désacraliser de suite. Plus sérieusement, je fais des BD en auto-publication depuis 2015 et depuis 2020, je fais des livres chez Lapin, ma première BD chez eux, c’est Autopsie des échos dans ma tête parlant de folie et psychiatrie et Sous la ceinture qui est ma première fiction.

Éditrice : Tu avais fait des ouvrages comme PUNK avant qui était une œuvre de fiction et après d’autres ouvrages comme Autopsie qui était plus de l’autobiographie. Avec Sous la ceinture, tu as fait le choix de passer à la fiction, mais sur un long temps car il fait 230/240 pages. Je voulais savoir si tu pouvais parler de la genèse du projet.
Freaks : La genèse du projet à été très particulière, je pense que c’est le genre de projet qui arrive vraiment très épisodiquement dans une vie d’auteur. C’est à dire que le projet s’est imposé à moi, j’ai eu l’idée sous la douche pour être tout à fait transparente. Vraiment, tout le scénario dans son intégralité, très peu retouché, m’est venu d’un coup. Je suis sortie en précipitation de la douche, j’ai foutu de l’eau partout et je suis allée sur mon PC. J’ai tout raconté à mon meilleur ami qui a fait la préface du livre. J’ai vraiment couché toute l’histoire en entier, puis après à partir de là, je suis un peu revenue dessus. Je ne saurais pas dire exactement d’où ça m’est venu, mais c’était une épiphanie… Je pense qu’il y avait l’envie de revenir vers de la fiction qui me travaillait, il y avait beaucoup de tâches de fond dans mon cerveau depuis un moment qui devaient process un petit peu cette histoire s. Et puis voilà, une fois que tout était écrit, j’ai envoyé à Lapin et voilà.

Éditrice : Est-ce que tu te souviens du moment où tu as eu l’idée, le scénario, au moment où tu t’es dit là ça sera mon prochain livre ?
Freaks : Je me rappelle qu’il y a eu plusieurs moments clé dans la réalisation que ce projet, il avait du potentiel. Une première étape est lorsque j’ai réalisé Autopsie ça m’a mis un pied dans le monde de l’édition et je me suis dit qu’après je pourrais peut-être proposer ce projet. Mon éditrice de l’époque m’a encouragé à continuer ce projet et qui m’a dit qu’il y avait du potentiel. Pendant très longtemps, c’était un projet où j’avais beaucoup de doute, notamment parce que je n’avais pas de patte graphique. J’ai essayé du numérique, j’ai essayé du full couleur, mais ça ne me plaisait pas. Je pense que le moment où je me suis dit là c’est bon, là c’est parti, c’est quand j’ai posé ma première planche et que j’étais satisfaite du rendu graphique. Je me suis dit ‘okay, c’est un truc, je suis satisfaite, et je peux faire ça sur 230 pages‘.

Éditrice : Et quelle était cette première planche ?
Freaks : Eh bien la toute première, je fais les planches dans l’ordre.

Éditrice : Je voulais savoir si tu pouvais pour nous introduire la BD, nous parler des thématiques principales et des sujets abordés ?
Freaks : Si je devais le présenté, évidemment ça parle de boxe, même si ça se voit et qu’au final, la boxe est un prétexte. Ça parle de violence sexuelle, de reconstruction et d’agentivité. C’est à peu près ce que je peux dire sans spoiler le livre, car pour moi c’est une histoire qui doit se découvrir elle-même. Je pense qu’on peut dire que ça parle de comment être une victime.

Éditrice : Je souhaite mettre en avant une citation que tu as mise à la fin ‘Je suis furieuse contre une société qui m’a éduquée sans jamais m’apprendre à blesser un homme s’il m’écarte les cuisses de force alors que cette même société m’a inculqué l’idée que c’était un crime dont je ne devais jamais me remettre‘(1) de Virginie Despente. Comme tu le dis ça revient à qu’est-ce qu’être une victime et la citation le met bien en avant, si tu pouvais nous parler un peu plus du projet.
Freaks : Le projet s’est imposé à moi à une période de ma vie où j’avais aussi besoin d’une catharsis, où quand on parlait de violence sexiste et sexuelle, on parlait beaucoup de résilience, de pardon, d’aller de l’avant de se reconstruire avec du positivisme presque écœurant. J’avais besoin de faire une fiction où je vais mettre dans ce livre tout ce que j’aimerais faire dans la vraie vie mais que je ne pourrais pas faire dans la vraie vie. Si cela me sert de cathartique, ça servira peut-être de catharsis à d’autres lecteurs qui auront ce livre entre les mains et puis au fur et à mesure le projet m’a un peu échappé et mes personnages se sont un peu développés eux-mêmes. Voilà, l’idée de base c’était ça, c’était un peu un cri du cœur.

Éditrice : On va revenir par la suite aux personnages qui sont très important, mais avant cela tu peux nous parler du processus de création que tu as commencé à évoquer, car par rapport à Autopsie, c’était un tout autre processus, même dans la représentation des personnages, car tu te représentais par un personnage animalier, là peux tu nous parler du style qui est très différent.
Freaks : J’ai mis longtemps à trouver ma patte graphique. J’ai eu un déblocage d’un coup pendant que j’étais en roadtrip. J’avais un petit carnet où je dessinais avec un pinceau aquarellable avec de l’aquarelle de merde et les trucs les plus schlague du monde. Et Anna, qui est là, avait vu ce carnet et m’avait dit que ce style-là était celui qui me réussissait le mieux. J’avais fait un portrait à l’aquarelle, en rose et bleu, parce que je regardais un de ses spectacles dans le train et quand elle m’a dit ça, je me suis dit que ça pouvait être intéressant. J’ai commencé à essayer d’explorer un petit peu des paysages, je me suis dit que ça pouvait tenir une BD. J’ai acheté deux pots de pigments aquarellable et j’ai fait toute la BD avec à partir de là. Une fois que ça a été débloqué ça a été bon. Le fait de faire des humains ça a été un peu particulier. J’ai commencé à croquer le visage de l’héroïne, très particulier, m’est venu assez rapidement. Après il y en a eu d’autres où ça a été un peu plus long de trouver des chara-design intéressant. Je pense notamment à l’antagoniste de la BD où j’ai mis énormément de temps à trouver son chara-design et au final, j’ai vu Clint Eastwood dans Million Dollar Baby et je me suis dit que j’allais me baser dessus.

Éditrice : Comme on peut le voir, tu as fait tes planches sur des feuilles au format A3, est-ce que tu as l’habitude de travailler sur ce format, ou comment cela s’est passé ?
Freaks : L’habitude, je ne sais pas si on peut parler d’habitude, car Autopsie était entièrement numérique sur l’Ipad, mais PUNK… J’ai toujours trouvé ça plus confortable de travailler sur du A3. Par contre, c’est vrai que ça a encore été un processus très très schlague parce que je faisais mes crayonnés à l’Ipad, je les imprimais en deux fois, je les peignais à l’aquarelle, puis je les rescannais en deux fois… Si vous êtes attentifs, peut-être que vous pourrez voir des petites erreurs de scans dans la BD. Des toutes petites lignes, vous pouvez aussi trouver des poils de chat. Ça se sont des petits easter eggs cachés dans la BD. Ce qui est sur, c’est que c’est une BD qui a été faite avec les moyens du bord.

Éditrice : Et ça rend bien.
Freaks : Merci, j’ai tout fait pour.

Éditrice : J’aimerais revenir sur la préface qui pour moi résume assez bien l’importance des personnages et ce qui fait une caractéristique de cette BD, il est dit « ce personnage n’est pas que la victime d’un viol, c’est un personnage qui a une carrière professionnelle, des relations amicales et amoureuses. Son histoire ne se résume pas à cet épisode traumatique. » Quand on a dû travailler avec les libraires, pour moi, c’était un point fort, les personnages prennent une part importante dans ce récit et pour le récit. Comme tu dis, ils t’ont aussi un peu échappé, j’aimerais donc qu’on revienne sur eux. Quel est le premier qui t’est venu en tête ?
Freaks : Le premier, c’est le personnage principal qui m’a accompagné pendant très longtemps… Et qui est encore, car vous pouvez le suivre sur Instagram, très réconfortant pour moi. C’est un personnage que j’aime beaucoup dessiner, j’aime beaucoup dessiner son visage, j’ai beaucoup aimé écrire son histoire. Ça a vraiment été un compagnon de route pendant les trois ans de réalisation. Ensuite, sans trop spoiler, car il arrive tôt, c’est son meilleur ami, qui est mon personnage préféré de la BD. Chaque auteur a son « pet » , pour moi, c’est lui, c’est un personnage pour lequel j’ai une énorme tendresse. C’est un peu dur de parler de lui et de son rôle dans la BD sans spoiler, mais disons qu’il est venu après le plot de la BD, parce que je me suis dit « ah il entre dans l’histoire comme une pièce de puzzle parfaite« .
Au fur et à mesure que l’histoire s’écrivait, il y avait des moments où les autres personnages s’inséraient naturellement dans le narratif.

Éditrice : Pour revenir sur le personnage de Diane et le travail éditorial, y a-t-il eu des moments où tu as senti que les personnages faisaient des choses auxquelles tu n’avais pas pensé ? Qu’ils t’ont échappé ?
Freaks : Oui… Ah, c’est dur sans spoiler. Sur la fin, il y a un moment où les conséquences de ses actions, des choix que fait le personnage fait dans le livre, m’ont échappé sur la fin. C’est vraiment un livre qui s’est écrit tout seul. Je pense que c’est vraiment à ce moment-là, oui, ce que je peux dire sans spoiler, c’est que le personnage fait des choix, il fait des choix dans son agentivité pour réagir à ce qui lui est arrivé, et les conséquences de ces choix, je ne les ai pas vu venir.


Éditrice : Je voulais également savoir si tu pouvais nous parler par rapport aux personnages queers de cette BD, par exemple Diane est en couple avec une femme au début de la BD, donc un couplé lesbien. Si tu pouvais nous parler de l’importance de la représentativité des personnages queer par le biais de la BD et ce que ça représente pour toi ?
Freaks : Représenter des personnages queer, c’est assez spontané parce qu’en fait, je représente les gens qui m’entourent et mon entourage est majoritairement queer, donc ça vient naturellement. Je pense aussi que ça vient d’une grosse frustration de la représentation queer dans les médias actuel, en BD un peu moins, car c’est plus libre. J’ai l’impression que pour beaucoup de personnes qui en font, eh bien la représentation queer, c’est une liste de petites identités et ils cochent au fur et à mesure. Et s’ils ont tout bien coché alors c’est bon, leur saga, leur film, leur série, c’est bon, il a de la représentation queer. Et du coup derrière ça, les personnages ne sont plus des personnages, ce sont des fonctions, c’est des identités, des drapeaux. Ils n’ont plus de corps de présence, on ne sait pas quelles sont leurs envies, leurs goûts, leurs passions, ils ont qu’une fonction, c’est d’être queer. Je pense que j’avais besoin d’écrire quelque chose qui m’a manqué en termes de représentation.

Éditrice : Je vais dévier un peu sur la partie éditorial, comment as-tu vécu le travail éditorial ?
Freaks : C’est quelque chose que j’ai beaucoup apprécié. J’ai eu énormément de liberté, j’ai presque eu carte blanche sur tout le projet. Je n’ai pas le souvenir de grosse correction que ce soit sur le scénario ou dans les planches. C’est quelque chose que j’ai beaucoup apprécié. Et puis c’est le fait d’avoir carte blanche sur la représentation, sur l’histoire qui est un peu particulière… Le projet a été refusé par beaucoup d’éditeurs avant de revenir à Lapin. Ce que je peux dire sur l’édit, c’est que j’avais une liberté qui était très très agréable. Et je pense que le livre n’aurait pas pu être ce qu’il est sans cette liberté-là.

Éditrice : Sur l’aspect éditorial, on suivait les crayonnés au fur et à mesure qu’on validait par pages de 10. Donc j’ai découvert l’histoire au fur et à mesure, je me demandais ce qu’il allait se passer sur la suite. C’est un travail très réussi de ce côté-là.
Freaks : C’est un retour que j’ai le plus eu de mes bêta-lecteurs, c’est une BD prenante qui donne envie de savoir la suite. Et que c’était un livre qui faisait pleurer. J’ai été très contente de ces retours, parce que si on offre de belles planches et une belle histoire, mais que le lecteur se fait chier, c’est pas intéressant non plus.

Éditrice : Peux-tu nous dire pourquoi l’univers de la boxe et pourquoi ce choix ?
Freaks : La boxe est venue à moi assez naturellement pour plusieurs raisons. D’abord, parce que je trouve que c’est un sport de combat très cinématographique, très beau, j’aime bien regarder des matchs de boxe, j’aime bien l’esthétique autour. C’est un sport de combat qui est prolétaire, c’est-à-dire, je ne voulais pas partir sur des sports plus nobles entre guillemets. C’est un sport qui est visuellement très reconnaissable. On voit les gros gants rouges, on voit le sac de frappe, on sait que c’est de la boxe. Et j’ai essayé au maximum dans la BD que ce soit un prétexte, c’est une toile de fond. Mon intention avec la BD, c’est que les gens qui en ont rien à foutre de la boxe puisse quand même aimer le livre. Ça aurait été un peu plus dur à mettre en place si j’avais choisi autre chose comme sport de combat avec des codes visuels beaucoup moins fort, beaucoup moins efficace. Au grand damné de ma femme qui pratique le Muay Thai qui m’a dit ‘mais pourquoi tu ne fais pas sur le Muay Thai?’. Et non les gros gants rouges, c’est bien, ça marche très bien graphiquement, ça permet de construire tout de suite une identité visuelle et c’était… Je pense que le côté très cinématographique visuel m’a parlé.

Éditrice : D’ailleurs, tu m’avais dit avoir regardé pas mal de films et de combats de boxe. Si tu devais choisir deux grandes inspirations, une dans les combats et une dans les films, lesquelles ça serait ?
Freaks : Alors dans les combats, je n’ai pas la mémoire des noms, c’est terrible, mais un m’a inspiré, mais je ne saurais plus dire lequel. La construction des légendes et des personnages, des boxeurs autour qui m’avait intéressé. Je sais que je m’en suis beaucoup inspirée pour le combat final. Et plus que les combats, c’est toute l’esthétique de la boxe autour. C’est-à-dire dire : la publicité des boxeurs, comment ils gèrent leurs réseaux sociaux, les affiches de boxe. Toute cette mythologie de la boxe m’a vraiment très inspiré graphiquement. Et au niveau des films, il y a Rocky, évidemment, c’est une saga de films que je trouve exceptionnelle et j’ai découvert en cours de réalisation Million Dollars Baby qui m’a mis une claque, mais c’est un peu dur de dire pourquoi parce que la fin est… Voilà. C’est sport où je trouve que c’est facile de s’identifier et dans lequel c’est facile de se projeter. Il n’est pas très obscur, il est connu, l’iconographie du gant de boxe est connu même pour ceux que ça n’intéresse pas.

Éditrice : Peut-on finir sur tes actualités ?
Freaks : Oui, là, on va s’occuper de la sortie de Sous la ceinture, il y aura une séance de dédicaces samedi 7 octobre prochain à la librairie « Un livre et une tasse de thé ». Ensuite, je serais au festival Quai des Bulles le dernier week-end d’octobre et le 11 octobre, je fais une exposition au Havre avec des planches originales.

Question du public : Quelle est la planche que tu as le plus apprécié faire ?
Freaks : C’est dur à dire parce qu’il y a quand même beaucoup de planche. Je pense que ce sont les deux-là. J’ai beaucoup aimé les construire, elles marchent vraiment bien. Elles se font face dans le livre et je trouve qu’elles fonctionnent bien en face-à-face. Et sinon grosso modo lorsqu’il y a de gros aplats de rouge ou de bleu, moi, j’ai beaucoup aimé les faire. Quoi qu’il arrive, le stade de la peinture, c’est un stade que j’ai toujours apprécié.

Éditrice : Merci beaucoup pour votre écoute.


(1) Citation tirée de l’ouvrage King Kong Théorie (2006) de Virginie Despentes

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Sortie de la BD : 6 octobre 2023

#BD : Sous la ceinture chez Editions Lapin