De quoi parle la pièce ?
Arnaud Bédouet, un jeune auteur, a en quelque sorte tricoté ce monologue en sélectionnant des extraits variés de l’abondante correspondance de Gustave Flaubert. Ces textes ont ceci de particulier que Flaubert avait une liberté immense dans l’écriture car il ne pensait pas être publié. On y sent l’exubérance et la sauvagerie. Au contraire de ses romans, extrêmement travaillés, à la langue soignée et clinique, il y est excessif, hypersensible.
Tout débute donc un soir d’orage, alors que Flaubert est délaissé par sa maîtresse Louise Colet. Il faut dire qu’elle a fait le voyage jusqu’à Croisset – où il s’est isolé en ermite, avec sa maman pour compagnie, afin de travailler à son œuvre – et qu’il a refusé de la recevoir car il travaillait. La pièce commence comme une confession à son jardinier, homme silencieux mais dont la présence est vitale et installe une réelle intimité.
La pièce met en scène une rage nocturne, une grande insomnie douloureuse, spirituelle, métaphysique, critique. On y voit l’épanouissement d’une pensée sensible, imaginative, drôle aussi. Comme le rappelle le comédien, le théâtre est le verbe qui se met en situation.
L’histoire de Gustave
Jacques Weber connaît bien cette pièce car c’est la troisième mise en scène dans laquelle il interprète le personnage. L’histoire de Gustave commence alors que Jacques Weber est directeur du théâtre de Nice, et qu’un jeune auteur, Arnaud Bédouet, vient lui proposer le texte. Séduit par le projet, il décide de le produire et joue une première fois sous la direction de l’auteur au Théâtre Hébertot.
Forte de ce premier succès public, la pièce est remontée au théâtre de la Gaiété Montparnasse. Cette fois, la mise en scène est de Loïc Corbery (de la Comédie Française) et il propose sa lecture de la pièce avec ses 30 ans et sa noirceur, sa révolte, la vigueur de sa jeunesse.
Le comédien reprend donc ici ce rôle et cette pièce, qu’il compare à un bon vin ! La mise en scène est cette fois de son épouse. Avec plus de 30 ans de vie commune et de nombreux projets réalisés ensemble, Christine Weber connaît bien l’artiste et tous ses défauts ou ses travers de jeu. Ainsi, une des premières difficultés a été de se mettre au diapason : de trouver le ton juste de ce monologue intérieur, ni déclaratif, ni chuchoté…
Pour Jacques Weber, l’acteur doit toujours avoir des repères vrais – comme pour Bonnard dont le problème était de « mettre du vrai » dans sa peinture. Ainsi, le plateau nu du Théâtre de l’Atelier figure la remise du jardinier dans lequel il pourrait dormir. On entend la pluie tomber. Jacques Weber est habillé d’une abaya réalisée par des artisans du Liban, dans lequel il se sent bien.
C’est ainsi qu’il crée petit à petit Gustave, qui contient une large part de lui-même. Pour lui, il n’y a pas réellement de personnage mais une suite de situations mises bout à bout qui créent ce dernier. D’ailleurs, celui-ci est sensiblement différent d’un soir à l’autre : difficile de ne pas mettre une part de soi-même dans un rôle ; lorsqu’il a joué le soir du 11 Septembre ou le soir où son papa est mort, ces événements l’ont accompagné sur scène.
Jacques Weber et son métier
« Moi, je tombe malade si je ne joue pas ! » nous déclare le comédien avec un sourire. On ressent bien son besoin impérieux de jouer, d’être sur scène, de partager un texte.
Même s’il apprécie énormément le cinéma en tant que spectateur (il se dit « fou de cinéma » qui est pour lui « une des littératures contemporaines » !), cela reste pour lui une sorte de parenthèse en tant qu’acteur (il vient de tourner avec Danis Tanovic, le réalisateur de No Man’s Land). Citant Jouvet, et sans aucun jugement de valeur, il explique qu’au cinéma, on a joué, mais qu’au théâtre on joue : il y a une immédiateté, un temps présent ici et maintenant qui le fascine et dont il a besoin.
Engagé, il n’hésite pas à aller jouer hors des théâtres, à la rencontre d’autres publics, que ce soit dans des écoles de banlieue ou dans les prisons.
Fourmillant de projets, Jacques Weber nous a confié sa grande envie de travailler avec Denis Lavant, et de partager avec lui la scène sur une trilogie de Molière : Don Juan, Tartuffe, Le Misanthrope, trois grands « désordonnateurs », comme il les appelle. Ayant déjà interprété les rôles principaux de ces pièces, il se projette déjà avec enthousiasme en s’imaginant en Sganarelle, Cléante ou Philinte. Et son enthousiasme est communicatif ! Nous espérons sincèrement qu’un tel projet se réalise et avons hâte de pouvoir les applaudir…
Et côté lecture ?
Avec une pièce liée à la littérature, s’est posée la question de ses livres de chevet. Grand lecteur curieux, Jacques Weber nous a confié lire en ce moment Marguerite Yourcenar et Michel Houellebecq – à l’opposé de lui mais un grand écrivain reconnaît-il. Il a d’ailleurs mis en garde à ne pas mélanger auteur et œuvre, et rappelle qu’il est important d’éviter toute stigmatisation.
Parlant de lecture, il nous a recommandé la lecture d’un livre qui l’a marqué récemment : le Discours à l’Académie suédoise de Patrick Modiano (Gallimard), à l’occasion de la remise du prix Nobel de littérature 2015 à l’auteur français.
Quant à son livre préféré du XIXe siècle ? La question n’était pas évidente à trancher pour le comédien, qui nous a parlé avec admiration des romans de Flaubert. Il finit par citer Une Vie, de Maupassant, un des plus grands romans en langue française d’après lui. « C’est colossal », dit-il !
Gustave, à voir au Théâtre de l’Atelier (Paris) jusqu’au 25 juillet 2015.
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