Le Tour d’écrou – Avis +

Présentation de l’éditeur

Le huis clos d’une vieille demeure dans la campagne anglaise. Les lumières et les ombres d’un été basculant vers l’automne. Dans le parc, quatre silhouettes – l’intendante de la maison, deux enfants nimbés de toute la grâce de l’innocence, l’institutrice à qui les a confiés un tuteur désinvolte et lointain. Quatre… ou six ? Que sont Quint et Miss Jessel ? Les fantômes de serviteurs dépravés qui veulent attirer dans leurs rets les chérubins envoûtés ? Ou les fantasmes d’une jeune fille aux rêveries nourries de romanesque désuet ? De la littérature, Borgès disait que c’est « un jardin aux sentiers qui bifurquent ». Le Tour d’écrou n’en a pas fini d’égarer ses lecteurs.

Avis d’Emilie

On ne présente plus le chef d’oeuvre d’Henry James. Ce court roman de 200 pages prend le lecteur aux tripes.

Il s’agit d’un récit, qu’un jeune homme fait lors d’une soirée au coin du feu, pour amuser la galerie. Toutefois, ses auditeurs vont vite se rendre compte que cette histoire de fantômes n’a rien de commun et n’a pas fini de les faire trembler.

Tout commence avec cette jeune institutrice sans expérience qui va accepter un travail étrange mais bien rémunéré, plus qu’elle n’aurait pu l’espérer en tant que débutante, et empreint d’un prestige lui assurera de retrouver du travail par la suite.

Toutefois, dès l’entretien avec son employeur, elle sent que quelque chose cloche : en effet, on lui donne l’entière responsabilité de la maison. Elle devra gérer non seulement l’éducation des deux enfants, mais aussi l’intendance seule. Sans jamais devoir rendre compte au jeune homme qui l’emploie, par lequel elle est d’ailleurs subjuguée. Et les événements bizarres, angoissants et surnaturels ne vont pas tarder à prendre une ampleur qui la dépasse.

Le récit est raconté à la première personne : le « je » est celui de l’institutrice qui a vécu les événements. Le conteur nous lit son témoignage. Cela donne une profondeur particulière au texte : on le vit réellement. On se pelotonne au fond de son siège, ou on se cache sous les draps. Très vite, il devient impossible de sortir du roman. Inutile de tenter de le lire en bus ou en train, on raterait son arrêt.

Ce livre est très riche en non-dits, et c’est sans doute ce détail qui lui donne son intensité dramatique. Par exemple, jamais on ne connaîtra l’identité de l’institutrice. Elle restera ce « je », anonyme et universel. L’idée de fantôme, si elle est communément admise, peut toutefois être discutée. Finalement, même l’aspect surnaturel peut l’être. L’institutrice a parfaitement pu perdre la raison dans ce lieu solitaire, et selon la gouvernante, c’est ce qui est arrivé à sa précédente collègue.

On notera également le travail très précis qui a été fait sur les mots. Un véritable travail d’orfèvre. On y perd énormément à l’adaptation, mais il faut rendre justice à la traductrice, Monique Nemer, pour son formidable recensement de termes qui perdaient de leur valeur en français. Le texte contient énormément de notes qui nous éclairent sur le sens originel du récit.

Par exemple, le terme charming est utilisé à profusion (et à dessein) dans le livre. En anglais, d’autant plus en anglais victorien, époque à laquelle le roman a été publié, le mot contient une valeur un peu magique : on est charmé par un sort. Il ne contient pas cette aspect « mignon » que nous lui attribuons spontanément en français.

La préface est également passionnante. Nous y apprenons que ce roman a tout d’abord été publié sous forme de feuilleton, dans un magazine. Il est particulièrement plaisant de tenter de lire le livre dans cette optique. Tous les deux chapitres, les lecteurs contemporains de Henry James subissaient une coupure d’une semaine.

Pour le lecteur d’aujourd’hui, qui bénéficie du confort du livre relié entier, il semble impossible de simplement attendre autant pour connaître la suite. Et relier ce comportement d’attente impatiente d’il y a quasi deux siècles à notre comportement d’aujourd’hui face à une série est très amusant. Si l’on ne peut pas se passer d’attendre une semaine pour lire la suite du livre, faire une pause de quelques minutes et réfléchir à la suite est un exercice stimulant.

Autant d’arguments pour convaincre les lecteurs qui ne connaissent pas encore ce chef d’oeuvre de s’y mettre, et pour les autres, de le relire dans cette excellente réédition qui éclairera d’une lumière nouvelle cette fabuleuse intrigue.

Fiche technique

Format : poche
Pages : 216
Editeur : Le livre de poche
Sortie : 26 février 2014
Prix : 5 €