Les Ages sombres – Avis +

Présentation Officielle

1321. Les habitants d’Ulewic, une petite cité isolée de l’est de l’Angleterre, sont sous le joug de leur seigneur et de l’Église, celle-ci ayant supplanté, depuis quelques années, le paganisme qui régnait dans la région.

Non loin du village s’est installée une petite communauté chrétienne de femmes, des béguines originaires de Belgique. Sous l’autorité de sœur Martha, elles ont jusqu’alors été assez bien tolérées.

Mais les choses commencent à changer. Le pays connaît en effet des saisons de plus en plus rigoureuses, les récoltes sont gâchées, les troupeaux dévastés et le besoin d’un bouc émissaire se fait sentir.

Neuf hommes du village, dont on ignore l’identité, vont profiter de la tension qui commence à monter pour restaurer un ordre ancien et obscur. Renouant avec de terribles rites païens, usant de la terreur, du meurtre et de la superstition, ils vont s’en prendre aux béguines, qui devront les démasquer et élucider les secrets du village avant que la région ne soit mise à feu et à sang.

Avec cet ouvrage d’une intelligence et d’une érudition peu communes, Karen Maitland nous entraîne dans un Moyen-Âge d’un réalisme stupéfiant, sans jamais se départir d’un extraordinaire sens de l’intrigue et du suspense.

Après La Compagnie des menteurs, élu meilleur livre de l’année par le New York Times et salué par une critique unanime, elle se hisse désormais au rang des grands maîtres du genre, aux côtés d’Umberto Eco ou de Iain Pears.

Karen Maitland est née en 1956. Elle vit en Angleterre, dans le Norfolk. Après La Compagnie des menteurs, Les Âges sombres est son deuxième roman publié en France chez Sonatine Éditions.

Avis de Claire

Son premier roman, La Compagnie des menteurs, élu meilleur livre de l’année par le New York Times, avait été un véritable choc ! Inutile de préciser que l’on attendait avec impatience la traduction de son second livre en français, et Karen Maitland ne déçoit pas, loin de là, avec Les Ages sombres.

Dans ce second opus, nous sommes à Ulewic, hameau triste et isolé de l’est de l’Angleterre, en 1321. Dirigés d’une poigne de fer par l’injuste et pudibond seigneur Robert d’Acaster, et sous l’autorité religieuse du père Ulfrid, les habitants peinent à payer leur dîme.

Aux abords du village s’est installée une communauté de femmes chrétiennes originaires des Flandres, des béguines, dirigées par « Servante Martha », du nom de leur sainte-patronne. Elles sont autonomes, possèdent leur terre, gagnent elles-mêmes leur nourriture et consacrent leur vie à aider leurs semblables, sans rien attendre en retour.

Si leur présence a toujours indifféré les habitants d’Ulewic, les choses changent progressivement alors qu’une accumulation de catastrophes naturelles et de maladies s’abat sur le village. « Les étrangères » sont forcément responsables. A une époque où magie, rites païens et religion se mélangent, il ne fait pas bon d’être différent.

Des habitants décident de faire revivre des croyances archaïques, d’un autre âge, des pouvoirs obscurs que possèdent des hommes maléfiques, les Maîtres-huants, groupe de simples villageois qui se cachent derrière des masques de chouette. L’anonymat leur confère une autorité et une puissance que nul n’ose contester, et qui leur permet de terroriser la population.

Les béguines ignorent le danger qu’elles courent à opposer une résistance pacifique à ces hommes sans foi ni loi. Le meneur du groupe, l’Aodh, convoque un esprit puissant, l’Owlman (l’homme-chouette), issu d’une très ancienne magie, afin de mettre le village à feu et à sang et par la même occasion, se débarrasser de ces femmes trop libres.

Les Ages sombres fait partie de ces livres, comme La Compagnie des menteurs, que l’on ne peut lâcher des mains, une fois que l’on a commencé. On entre d’emblée dans le vif du sujet, l’ambiance prégnante et sombre du Moyen-âge rural nous happe dès les premières pages.

Karen Maitland, grande spécialiste du monde médiéval, possède un talent et une érudition sans faille. L’atmosphère est étouffante, mystique, cruelle. L’auteur restitue avec force détails, sons, couleurs et odeurs (comme dans son précédent livre) la vie rude et tragique des petites gens de cette époque, particulièrement difficile pour les femmes. Mais chez Karen Maitland, ce sont des figures fortes.

Alors que La Compagnie des menteurs nous emmenait sur les routes, le roman Les Ages sombres ne dépasse pas les frontières du village, tout juste est-il fait mention de Norwich, la grande bourgade la plus proche. Cet enfermement volontaire est d’autant plus oppressant. La seule échappatoire est la forêt, qui regorge d’esprits malfaisants et de sorcières.

Cette sensation de confinement, renforcée par le fait que tous les habitants sont plus ou moins apparentés (ils ont presque tous les doigts palmés), attise les conflits et les jalousies. Les familles sont pauvres, asservies à Lord d’Acaster, qui lui non plus n’est pas de la région, secondé par son neveu Philip, lubrique et malhonnête.

Les différents personnages principaux prennent la parole à tour de rôle, et l’on passe d’un point de vue à l’autre sans que le récit perde de sa force. Bien au contraire, cet éventail de caractères en contradiction insuffle une dynamique à l’action et creuse encore un peu plus à chaque chapitre la complexité de l’intrigue.

Cette technique permet également de nuancer les émotions, les personnages se révèlent à la fin bien plus singuliers qu’ils n’en avaient l’air. Tous ont des secrets, des pensées qu’ils préfèrent garder cachées au fond de leur âme, des noirceurs dont ils ne peuvent se départir, tout cela est finement mené, jusqu’au dernières lignes.

On a pu, et à juste titre, comparer le premier roman de Karen Maitland au fameux Nom de la Rose d’Umberto Eco, ce second livre ne démérite pas, et nous emmène aux confins du fantastique avec force, passion et intelligence au coeur d’une époque oubliée et mystérieuse.

Brillant !

Fiche technique

Format : broché
Pages : 670
Editeur : Sonatine
Sortie : 17 mai 2012
Prix : 21,30 €