Présidentielle 2012 : Interview de Nathalie Arthaud – Lutte Ouvrière

Onirik : La SACEM est régulièrement pointée du doigt par la commission permanente de contrôle des sociétés de perception et de répartition des droits (source). Pensez-vous que ces dérives soient symptomatiques d’une dérive générale des systèmes de financement de la création ? Sont-ils adaptés à un monde où l’émergence des outils et réseaux numériques permettent aux artistes de s’autoproduire et de diffuser leur travail ? Comment assurer avec les nouveaux moyens de communication et de diffusion l’équité en terme de financement et de répartition ?

Nathalie Arthaud : Je ne pense pas que ce soit spécifique des systèmes de financement de la création ! Comment sont répartis les bénéfices ? Quelle que soit la branche, tout est opaque, rien n’est transparent. Alors, comme pour toutes les entreprises, il serait nécessaire qu’il y ait une transparence totale sur les comptes et le droit pour les usagers (principalement les artistes) mais aussi ceux qui organisent les concerts et les fêtes de vérifier les comptes ainsi bien sûr que les salariés de la SACEM qui devraient pouvoir – sans risquer de perdre leur emploi dénoncer les irrégularités qu’ils constateraient. Pour se faire il faut obtenir comme pour toutes les entreprises l’abolition des lois sur le secret commercial et le secret des affaires.

Onirik : Le marché du livre numérique est en pleine expansion, mais outre un prix identique au papier, les DRM empêchent des actes auparavant triviaux comme le prêt d’un livre à un ami, l’achat/revente sur le marché de l’occasion. Comment percevez-vous ce nouveau paradigme  consistant à passer d’un droit de propriété sur un objet matériel à un simple droit d’usage sur un objet immatériel rendu périssable ? Comment assurer que la patrimoine culturel se diffuse au plus grand nombre ?

Nathalie Arthaud : En ce qui concerne le livre numérique et les DRM qui les réglementent je dirais que tant que les livres papiers s’éditent -et j’espère que cela continuera- il n’y aura pas de problème pour les prêter ou les revendre d’occasion. En ce qui concerne les tablettes, le fait que l’on ne puisse permettre le téléchargement des œuvres, si cela vise à protéger les droits d’auteur des écrivains je n’ai rien contre. Mais si, comme je le crains cela vise à vendre plus de livres numériques et à augmenter les profits des Fnac, Sony ou Apple, je suis contre.

Là encore, ce n’est fondamentalement pas une histoire de technique. Un fichier électronique peut tout aussi facilement se prêter qu’un livre papier. Et cela pourrait être un levier important pour développer et répandre la culture. Imaginez les livres en libre service sur internet, la littérature mondiale accessible. Mais là encore, c’est le profit qui gouverne, et qui cherche à brider les possibilités de ces nouveaux moyens de culture.

Onirik : Selon vous, l’enseignement actuel en France doit il évoluer pour développer chez les jeunes le goût pour la culture au sens large et leur donner les clefs de l’appréciation de cette culture ?

Nathalie Arthaud : Je pense qu’aujourd’hui les enseignants font beaucoup pour donner le goût de la culture aux jeunes (en particulier aux jeunes des milieux défavorisés) au travers des sorties culturelles, que ce soit par des visites de musées, des pièces de théâtre ou une approche de la musique. Ils le font sur le temps scolaire, voire pour certains sur leur temps personnel.

Mais le dévouement de nombreux enseignants ne peut pas compenser la dégradation de l’Éducation nationale. Je pense que la culture, pour un jeune, c’est un moyen de se libérer, au moins dans sa tête, et cela permet aussi d’être « armé » pour comprendre le monde, et aussi l’exploitation, car d’une manière ou d’une autre, rares sont les jeunes qui peuvent espérer y échapper.

Onirik : Ces dix dernières années, les blogs et magazines sur le web ont progressé tant en terme de visibilité que de crédibilité. En parallèle la presse traditionnelle est moribonde. Comment analysez-vous ces changements ?

Nathalie Arthaud : Je ne suis pas sûre de partager votre analyse sur « la presse moribonde ». Certes des journaux comme France Soir ont disparu, ainsi que d’autres au cours de ces 40 dernières années, mais globalement le nombre de journaux n’a pas tant baissé que ça (même si en province plusieurs titres continuent d’exister mais avec une rédaction unique).

Ainsi les quotidiens nationaux sont passés de 10 en 1985 à… 10 en 2009. Et les hebdomadaires de 23 à 28, les mensuels de 16 à 22 durant cette même période. Quant aux quotidiens régionaux, ils ont baissé passant de 74 en 1985 à 67 en 2009, mais par contre le nombre d’hebdomadaires est passé lui de 296 à 323.

Les sources d’information se diversifient (Médiapart par exemple) mais la presse écrite paraît résister et je ne parle pas des journaux gratuits qui sont semble-t-il très lus. Tant mieux.

Quant au développement des blogs et magazines sur internet, je trouve cela bien. Évidemment, il y a à boire et à manger sur internet. Je me méfie des rumeurs incontrôlées, mais au moins autant des mensonges assénés comme des vérités indiscutables par les grands médias qui propagent les idées favorables aux plus riches !

Onirik : En 2011, plusieurs oeuvres artistiques ont choqué des communautés religieuses, pensez-vous que la liberté d’expression, notamment dans l’art mais pas uniquement, a des limites ? Est-ce à la loi de fixer ces limites ?

Nathalie Arthaud : Ce n’est pas d’aujourd’hui que les communautés religieuses font pression contre la liberté d’expression. Des œuvres comme « l’Origine du monde » de Gustave Courbet, ou le livre de Diderot « La religieuse » ont en leur temps subit les foudres des catholiques.

Je suis pour la liberté totale d’expression dès lors qu’elle ne stigmatise pas une population selon son origine ou sa couleur de peau, et la loi telle qu’elle existe dans ce domaine me satisfait.

Si je suis profondément athée, je suis bien sûr pour la liberté d’exercer ses croyances, mais je suis aussi pour le droit de se moquer des travers des religions et je ne suis pas pour que la loi en fixe les limites.