Avis de Marnie
Sans a priori, je me prépare mentalement à regarder une heure trente de « classique » russe, ce qui au vu de l’introduction, un ton dramatique semble se réaliser. Dès la première scène, les dialogues nous plongent dans une ambiance de farce grinçante… Voici, le résumé écrit par l’INA :
Basée sur un retournement, son ressort reste masqué jusqu’à la dernière seconde. Ikhariev, joueur professionnel et bien entendu tricheur, vient de gagner une grosse somme d’argent. Prudent, il se dépêche de quitter la ville. Au cours de son voyage, il rencontre trois autres joueurs, spécialistes eux aussi de la carte truquée et des tours de passe-passe. Ils décident de s’associer et se mettent à la recherche d’une victime. Le vieux Glov semble tout désigné.
En fait, à notre grande surprise, il s’agit tout simplement d’une arnaque, écrite en 1835. Au passage, Gogol dénonce comme à son habitude, la corruption du régime tsariste, la convoitise, la mesquinerie, l’avidité et autres défauts, dans une pièce de théâtre où l’humour noir rivalise avec les démonstrations de sentiments »slaves » exaltés. Nous nous laissons complètement emportés aussi bien par l’histoire que par la réalisation totalement au service de son propos.
Tournée en direct avec une caméra qui ne reste pas statique façon « au théâtre ce soir », nous avons plus l’impression de voir un film qu’une pièce de théâtre, avec prises de vue différentes, plongées, contre-plongées. Les acteurs virevoltent, courent même, donnant une impression de mouvement, de rapidité, de folie, ressenti accentué par le rythme et la qualité des dialogues (traduction d’André Barsacq).
“Cette horrible histoire drôle”, comme la définit Bluwal, est interprétée par de jeunes acteurs… Jean-Pierre Marielle, Michel Piccoli, Charles Denner, Claude Rich, qui se donnent la réplique avec une énergie, une maîtrise et une élégance qui forcent l’admiration. Sont confrontés à eux, des comédiens plus expérimentés : Alfred Adam, Jean-Roger Caussimon, Henri Virlojeux.
Il est vraiment dommage que la nouvelle génération de spectateurs ne puissent pas admirer nos jeunes premiers emblématiques de cette période, qu’ils ne connaissent que dans certaines prestations récentes… Il faut insister sur le fait que cette pièce de théâtre, ancêtre d’une série comme Les Arnaqueurs VIP, pourrait être vue sans aucun ennui, tous âges et origines sociales confondues !
Pour cette soirée de Noël 1960, la RTF avait mis les petits plats dans les grands, décors « énormes », 150 acteurs et figurants. Là encore, nous sommes très loin du théâtre filmé, il s’agit d’un téléfilm avec les caméras qui utilisent toutes les ressources techniques de l’époque. Claude Barma n’a pas pu tourner la scène d’ouverture du théâtre, ou le quatrième acte (le siège d’Arras et la bataille) en direct… pour des raisons évidentes de réalisation. Mais les 2ème, 3ème et 5ème actes seront projetés en direct. Malgré le fait que la « pellicule » ait plus que souffert malgré les efforts de restauration, que le son ne puisse filtrer les bruits de plateau, que l’image tremble quelque fois, le résultat est époustoufflant…
Si quelques fois, nous prenons le temps de nous amuser à repérer ceux qui sont devenus depuis des acteurs célèbres, comme Michel Galabru (grand second rôle ici), Philippe Noiret et autres, quel plaisir de retrouver ceux que nous admirions tant dans notre jeunesse, tel Jean Topart (un des grands « méchants » des téléfilms des années 70), Michel LeRoyer, jeune premier des feuilletons français ou héros de nos films d’aventures historiques… alors à la Comédie Française ou encore Françoise Christophe qu’il est étonnant pour les gens de ma génération de découvrir en Roxanne, elle qui jouait les rivales pleines de fiel dans nos mini-séries des années 70. A cela s’ajoute les petits rôles de Paul Préboist, Henri Tisot…
Quant à la prestation de Daniel Sorano… le rôle de Cyrano est souvent interprété par des acteurs qui ont une nature ou une présence incroyable. Il suffit qu’ils entrent en scène pour que tout s’arrête… le charisme constitue leur qualité première. Mais est-ce celle de Cyrano ? Daniel Sorano est le meilleur interprète [[puisque j’en ai vu quatre, je peux l’affirmer !]]. Il s’efface totalement derrière son rôle. En fait, la grande scène d’ouverture et la tirade du nez nous emportent vite… la farce, la grandiloquence. Le personnage est laid, mais plus que ça, il est bravache, se donne en spectacle, seulement un ton au-dessous des autres prestations. Aucune complaisance, il parle vrai, ne déclamant pas, si bien que nous n’aurons pour ainsi dire jamais l’impression qu’il parle en vers. Surviennent les passages où il est émouvant qui arrachent des larmes ! Il irradie ainsi de l’intérieur, vivant intensément ses émotions… C’est alors qu’il est grandiose !
Nous comprenons la raison pour laquelle, cette version a été retenue pour célébrer le 100e anniversaire de la pièce, le 27 décembre 1997. Un lien très fort entre la télévision et le théâtre…
Dans une ambiance bon enfant, nous ressortons du théâtre, vers minuit, après avoir eu l’impression non seulement de plonger dans notre passé mais d’avoir découvert des trésors qu’il faut préserver à tout prix. Nous marchons ainsi quelque peu hors du temps, croisant alors Jean-Laurent Cochet, spectateur attentif, sortant discrètement, tout étonné de trouver de jeunes apprentis acteurs qui l’attendent avec une timidité respectueuse. Une délicieuse soirée !