Le jongleur de nuages – Avis +

Présentation de l’éditeur

Été 1917. Quelque part dans le nord de la France, un camp de travailleurs chinois sur la route des tranchées. Une Chine gouailleuse et drolatique, où se côtoient bandits de grand chemin, coiffeur de la Cité Interdite, coolies, républicains, bourreaux impériaux et laissés pour compte d’un Empire du Milieu déchiré par la guerre civile, la famine et les exactions des Seigneurs de la guerre.

Dernier survivant de la petite communauté juive de Kaifeng, Isaïe, lui, n’est pas un Chinois comme les autres. S’il se retrouve à l’autre bout du monde, c’est en quête de ses racines incertaines. Une singularité qui lui vaut suspicion de la part de ses compagnons, pourtant eux-mêmes victimes du racisme quotidien déclenché par leur présence dans la région. Car c’est avec stupeur qu’on y accueille les «Oui Oui» «parce que c’est tout ce qui savent dire ces pauv’gens !» Stupeur mais surtout mépris et raillerie, pitié et jalousie. Jusqu’au jour où, brisant les tabous, Petite Marie osera tendre la main à Isaïe. Au risque de fâcher les dieux et de retourner le destin.

De l’arrière-front au Paris folâtre des grisettes et des fumeurs d’opium, commence alors le périple initiatique de celui qui, rejeté comme Juif et honni comme Chinois, s’acharnera à découvrir l’harmonie entre ses deux moitiés de Ciel.

Avis d’Enora

Avec ce roman c’est un épisode mal connu de la première guerre mondiale que nous dévoile Ysabelle Lacamp : le recrutement par les autorités françaises et britanniques de 140 000 chinois (par le truchement des pères missionnaires) afin de pallier aux bras manquants. Tous ces hommes qui ont fui la misère, la famine, la guerre civile et les exactions des seigneurs de guerre, vont se retrouver préposés au déminage, au nettoyage des tranchées, dans les chantiers de construction ou dans les exploitations agricoles. De ces hommes recrutés comme bêtes de somme, cinq mille mourront sur place de maladie ou de mauvais traitements.

Cette colonie d’émigrés, haute en couleur, mélange allégrement bourreau de la cité interdite et partisans de la nouvelle république, coolies et bandits. Parmi eux, le doux I-Se ou plutôt Isaïe, que ses compagnons surnomme nerf coupé, un des derniers représentants de la communauté juive, dont les lointains ancêtres venus de Perse et d’ailleurs, plus de dix siècles auparavant, se retrouvèrent isolés quand Ming décida de couper son empire du reste du monde. En travaillant dans une ferme Isaïe rencontre petite Marie, entre eux naitra une étrange complicité qui allégera leur solitude respective. Mais lorsqu’un drame survient, c’est l’étranger qui sera le bouc émissaire désigné, et pour Isaïe, la cavale commence, qui le mènera jusqu’à Paris. Après de multiples tribulations, il retournera dans la ferme du Nord pour chercher à comprendre ce qui s’est vraiment passé.

Ysabelle Lacamp souhaitait à travers ce livre, réparer l’oubli dont furent victimes ces hommes à l’origine, entre autres, de la première communauté chinoise en France. Elle nous relate dans un contexte romanesque, le sort de ces émigrés incompris, exposés à la solitude, au rejet et parfois à la haine. Car la population ne leur témoigne aucune gratitude pour leur présence et leur travail, elle ne leur témoigne que mépris, les appelant des oui-oui. Parmi toute une galerie de portraits, émouvants, drôles, attachants, se détache le personnage de I-Se, le chinois aux yeux clairs, rejeté comme Juif, honni comme Chinois, dont l’errance, véritable parcours initiatique va l’amener à la découverte de lui-même. C’est dans l’affirmation de ses différences et de ses racines qu’il trouvera sa voie. Car pour se construire et aller de l’avant, il faut avant tout savoir d’où on vient.

Une très belle réflexion sur la tolérance à travers le regard qu’on porte sur les autres mais aussi sur soi-même.

Fiche technique

Format : broché
Pages : 398
Editeur : Flammarion
Sortie : 15 octobre 2008
Prix : 21 €