Quand l’empereur était un dieu – Avis +

Résumé de l’éditeur

Empruntant largement à l’histoire de ses grands-parents, déporté comme des centaines de milliers de citoyens américains d’origine japonaise après l’attaque de Pearl Harbor, Julie Otsuka retrace le destin d’une paisible famille de Berkeley. Dans ce climat de psychose et de peur collectives où chacun est soupçonné d’être un traître au service de l’empereur, commence une lente descente aux enfers…

Alors que le père est déjà interné, la mère et ses deux jeunes enfants sont envoyés dans un camp de l’Utah aux confins du désert. Un exil fait de privations et de souffrance, où les pires sévices sont perpétrés dans l’indifférence générale. Trois ans plus tard, lorsque le monde sort de sa folie et qu’arrive le temps des retrouvailles, c’est une famille brisée qui doit réapprendre à vivre avec ses voisins.

Avis d’Enora

Largement inspirée par l’histoire de sa famille, Julie Otsuka raconte dans ce livre un épisode mal connu de l’histoire américaine : la rafle et l’internement, après l’attaque de Pearl Harbour, de plus de 120 000 américains d’origine japonaise (dont les 2/3 étaient citoyens américains et 62 % depuis deux ou trois génération) dans dix camps de concentration situés dans des régions inhospitalières, désertiques et marécageuses de l’ouest et du sud des États-Unis.

Sous couvert de « nécessité militaire » et violant ainsi la Constitution, Roosevelt et son gouvernement, délogèrent ainsi ces Américains « classés par race » et sans aucune preuve de conduite déloyale, et les enfermèrent derrière des barbelés. Le général en charge de la défense de la côte ouest des États-Unis affirmait «La race japonaise est une race ennemie et alors que les Japonais de seconde et troisième génération nés sur le sol des États-Unis ont la citoyenneté américaine, ont été américanisés, les traits liés à la race sont indissolubles ».

Alan Parker en 1990, a fait un film sur ce sujet pour dénoncer les manquements aux droits de l’homme, Bienvenue au Paradis, Come see the Paradise, titre rappelant la propagande qui affirmait que ces gens partaient joyeux vers des « terres vierges à défricher offrant de réelles opportunités« .

Quand l’empereur était un dieu, retrace l’histoire d’une de ces familles. Le père a déjà été interné juste après l’attaque de Pearl Harbour, quand la mère et les deux enfants sont envoyés dans un camp de l’Utah, aux confins du désert. C’est surtout à travers les yeux du petit garçon que nous suivons leur survie ; un enfant qui ne saisit pas la folie du monde et se demande quelle faute il a pu commettre pour être condamné à vivre ça «Mâchonner la gomme qui couronnait l’extrémité du crayon de sa sœur avant de remettre celui-ci dans le porte crayon ? Ou bien quelque chose qu’il avait fait voilà longtemps et qui le rattrapait seulement maintenant ? » ; un enfant qui demeure traumatisé par l’arrestation de son père en pleine nuit, en pantoufles et robe de chambre, lui qui ne sortait jamais sans son chapeau.

En juillet 1945, les mesures furent levées, les familles purent quitter les camps, on leur donna 25 $ (comme pour les prisonniers de droits communs) et un billet de train.

Si dans les camps ils subirent souffrance et privations, le retour sera tout aussi douloureux et difficile. Certaines habitations sont brûlées avec les familles à l’intérieur, on cherche à les intimider pour les chasser, on ne leur donne plus de travail, plus d’accès aux écoles. Il faut dire que les soldats reviennent du front, certains des camps de prisonniers d’Ofuna ou de Manchourie et racontent les atrocités commises par les militaires japonais…

L’enfant va connaître la honte et la culpabilité, allant même dans ce climat de psychose à renier ses origines et à se prétendre chinois. Il met tout ses espoirs dans le retour de son père, cet homme à la démarche rapide et assurée, au buste droit et à la tête haute qui aimait rire et jouer avec ses enfants. Mais l’enfance est désormais derrière lui, son père n’est plus qu’un petit homme voûté, ridé, se déplaçant avec une canne, devenu paranoïaque, méfiant, habité de cauchemars et déserté par le rire. Revenu d’un camp pour dangereux ressortissant d’un pays ennemi, il ne trouvera plus de travail ni d’intégration dans cette Amérique qui l’a vu naître « Ils ne nous aiment pas, c’est tout, c’est comme ça »

Sans pathos et sans haine, avec beaucoup de pudeur et de sensibilité, Julie Otsuka relate une histoire inspirée de celle de ses grands-parents, celle de tous ces gens qui « trop petits, trop bruns, trop laids, trop fiers » sont coupables du crime de leurs origines. Ce mythe de la nécessité militaire invoqué par la propagande du Bureau pour la guerre de l’information, pourrait n’être que le témoignage historique d’un monde devenu fou à une certaine époque, malheureusement l’actualité nous montre que les hommes ne tirent aucune leçon de leur histoire et se complaisent dans une complétude de répétition. D’où l’importance de mettre des mots sur le passé, surtout lorsqu’ils sont enchainés par la si belle écriture de Julie Otsuka, qui nous livre ici, un très poignant et bouleversant premier roman.

A noter que : « Le Gouverneur du Colorado, Ralph Carr, fut le seul homme politique de l’époque à présenter des excuses officielles aux Japonais, et cela lui coûta sa réélection mais la communauté japonaise le salue encore aujourd’hui… En 76, le Président Ford déclara que l’internement des Japonais était « mal ». En 88, le Président Reagan octroya 20.000 $ de compensation aux survivants à être payés sur 10 ans. Les premiers paiements arrivèrent sous l’administration du Président Bush (père) accompagné d’une lettre d’excuse du Président. »

Fiche technique

Format : poche
Editeur : 10/18
Collection : Domaine étranger
Sortie : 5 juin 2008
Prix : 6,50€