Où rôdent les hommes – Avis +

Présentation de l’éditeur

Le sort s’acharne sur la petite commune de Lafferton, en Angleterre : David, neuf ans, a disparu sur le chemin de l’école. Le silence et la peur détruisent la famille du petit garçon et hantent ses camarades d’école. Certains noms sont prononcés : s’agit-il d’innocents injustement salis ou de suspects à traquer sans relâche ? Il y a Andy, garçon naïf tout juste sorti de prison ; Brent, pédophile repenti que ses voisins menacent de lyncher ; ou encore un mystérieux couple de milliardaires américains, tout juste installés en ville.

Simon Serrailler est chargé de l’affaire. Et chez le séduisant chef de la police locale, l’enquête éveille de douloureux échos…

Avis de Marnie

Vous serez tous témoins… à lire la quatrième de couverture, nous avons l’impression d’avoir mille fois lu et relu cette histoire qui se dessine devant nos yeux blasés. Tiens, encore un rapt d’enfant, tiens, encore des suspects, et normalement, tiens, le policier arrivera à force de sagacité à trouver l’enfant vivant et le ravisseur se fera prendre au dernier chapitre, avant qu’un épilogue rassurant nous soit offert… Et bien, ôtez-vous tous les a priori de la tête. Nous ne sommes pas du tout dans une intrigue policière mais dans une chronique familiale, et le rapt de l’enfant n’est ici que pour mieux nous montrer les ravages et les conséquences qui se produisent alors sur les proches, mais aussi sur toute une petite ville lorsqu’un tragique fait divers inexplicable survient…

En effet, rarement une quatrième de couverture n’aura induit autant en erreur le lecteur. Le rapt ne constitue que l’élément déclencheur qui nous permettra de suivre l’évolution des états d’âme d’une famille, les Serrailler, et de divers personnages qui croiseront leur route, ayant une incidence ou pas du tout avec l’enquête menée en amont, enquête dont en fait dont nous ne saurons peu ou pas ni les tenants ni les aboutissants.

Ce roman est le deuxième tome d’une série qui met en scène Simon Serrailler, inspecteur divisionnaire de la ville de Lafferton, une petite bourgade (peut-être située dans le Wiltshire). A la première page, notre héros nous est présenté comme un artiste, venu une fois de plus pour quelques jours de vacances à Venise, et qui en profite pour s’adonner à sa passion, le dessin, avec en tête sa prochaine exposition. Ce n’est qu’à la page suivante que nous apprenons, qu’il est accessoirement policier, profession dénigrée par son père, éminent médecin, comme le sont également son frère et sa soeur (ce sont des triplés) et son beau-frère. Ses vacances sont brutalement interrompues par un appel d’Angleterre pour lui annoncer l’état désespéré dans lequel se trouve sa soeur. Or, il ne s’agit pas de son alter ego, Cat, membre des triplés, la personne la plus proche de lui, mais de Martha, nettement plus jeune qu’eux, gravement handicapée mentalement et physiquement depuis sa naissance.

C’est ce drame, vécu différemment par tous les membres de la famille qui est au centre du roman. La disparition alors d’un enfant provoquera une sorte de catalyseur qui se répercutera de façon indélébile et renverra chacun à son propre vécu et aux choix qu’il ou qu’elle doit faire. Nous assistons aux différents destins de Cat, donc un docteur généraliste, qui doit accoucher de son troisième enfant d’un jour à l’autre, et qui a décidé de s’arrêter de travailler et de prendre le temps de mieux connaître ses enfants, alors que son époux Chris, par un malheureux concours de circonstances se tue littéralement au travail, Andy, prisonnier en liberté conditionnelle se voit obligé de résider chez sa soeur, dans le quartier pauvre de Lafferton, à la merci de toutes les tentations qui le feraient replonger, Nathan, l’inspecteur assistant de Simon, issu de ce même quartier mais qui en est sorti, refusant l’avenir qu’on lui prédisait, Shirley l’aide-soignante croyante pleine de joie et de ferveur ainsi qu’une bonne dizaine d’autres personnages, qui n’ont pas spécialement de liens entre eux…

Nous sommes assez loin des idées reçues et des clichés. Peu à peu, nous qui jetions, à l’image de Simon, un regard froid et méprisant sur ses parents, prenons conscience à la lecture de certains faits dont notre héros ignorera tout, que ce sont des personnages complexes, loin de l’homme et de la femme que leur fils nous décrit, les rapports de force n’étant pas aussi évidents qu’il s’en est persuadé, lui-même fuyant ses relations sentimentales sans qu’il puisse en analyser la vraie raison. Se dessine peu à peu devant nous la société britannique, telle qu’elle est devenue au début des années 2000. En total décalage avec l’image d’une Angleterre triomphante, telle que nous la percevons de l’autre côté de la Manche, la pauvreté et le désespoir sont perceptibles, alors que les plus nantis s’épuisent au travail, agressés, cloisonnés et oppressés par une administration pesante, alors que les liens familiaux et affectifs sont distendus.

La frustration est l’impression qui ressort le plus de cette histoire. Elle se fait sentir à tous les niveaux, que ce soit par tous ceux qui participent à l’enquête, mais aussi devant la maladie de Martha, ou Cat qui voit son mari se débattre écartelé entre ses rendez-vous, les quotas exigés et la paperasserie, alors qu’il ne trouve plus personne pour l’aider, ou encore Simon partagé entre l’envie de choisir le dessin plutôt qu’un métier qui ne lui apporte plus grand chose. Derrière la frustration, l’amertume transparaît.

Voici donc un roman bien singulier, que l’on ne pourrait franchement pas qualifier de policier. Pour ceux qui connaissent les détectives Dalziel et Pascoe (les héros de la série de romans policiers créée par Reginald Hill), nous retrouvons cette atmosphère, cette ambiance mais relatée ici comme si l’auteur avait souhaité décrire l’envers d’un décor, s’attachant aux êtres plongés de plein fouet dans l’horreur, ou la côtoyant seulement, ceux qui en sont témoins, ceux qui encore remercient le ciel de ne pas l’avoir subie et qui s’en détournent bien vite ! Emotion et tristesse garanties… Nous attendons alors avec impatience le tome trois de cette série, Au risque des ténèbres, tout un programme bien sombre, certes, mais captivant !

Fiche Technique

Format : poche
Pages : 509
Editeur : Pocket
Collection : Policier
Sortie : 12 mars 2008
Prix : 7,70 €