Interview d’Eric Egron

Pouvez-vous nous dire comment est né ce recueil ? L’écriture a-t-elle toujours été pour vous une façon de transcender les émotions et les événements de la vie ?

J’ai commencé à écrire étant enfant des poèmes, des scénarios, j’avais même commencé une pièce en vers. Je lisais beaucoup et notamment des pièces en vers du genre Racine, Corneille, Molière, surtout pour la musique des mots et des rimes.

Plus tard, j’ai écrit des nouvelles, et comme j’étais amené par mon métier à faire pas mal d’interventions en public, je me suis amusé à mettre certaines interventions en vers, j’ai été surpris par l’impact considérable sur le public. Puis nous avions, avec deux amies, l’une photographe, l’autre graphiste, le projet de faire un livre de recettes de cuisine. J’écrivais mes impressions ressenties à partir de photos surréalistes. Deux de ces recettes ont été publiées dans une revue américaine. Le projet n’a finalement pas abouti (faute d’éditeur), mais cet exercice difficile m’a forcé à travailler la forme mais aussi le fond, et une sorte de sens général a commencé à se dégager. J’ai écrit d’autres poèmes avec cette fois l’idée de faire un ensemble cohérent et construit.

L’écriture est un moyen de mettre en forme des sentiments ou des idées, la musique aidant à véhiculer des sensations venant des profondeurs, c’est aussi un moyen de communiquer et de créer du lien, des ponts. La forme, contraignante au départ, force en fin de compte à approfondir, préciser, concentrer et voire faire sortir plus de sens que prévu au départ, la contrainte technique devenant au final une alliée, comme en musique.

J’ai l’impression qu’il y a un mouvement au fil de ce recueil : de la solitude, de la nostalgie et de la sensation d’exil (Le petit robot, l’Atlantide), vous accédez à une sorte de résignation puis d’espoir voire de croyance en l’avenir de l’humanité. Même votre vision de l’amour a changé, de prisonnier, de blessure possible, il devient un échange qui construit. Est-ce un ressenti exact ? La brève biographie donnée par votre éditeur, dévoile que vous êtes père de trois enfants, il y a d’ailleurs un très beau poème Les deux enfants qu’ils ont peut être inspiré ; la paternité a-t-elle joué un rôle dans cette évolution ?

Vous avez raison de dire qu’il y a un mouvement, allant de la solitude, voire du dégoût, à une vision plus positive de l’homme : un homme libre, intelligent, sensible, créateur et sacré. Ce sacré pouvant venir de la sensibilité de l’homme et éventuellement de son lien transcendant. Pour accéder à cela, une vie réelle, matérielle, charnelle, jalonnée de doute et de souffrance est nécessaire (mais pas suffisante), chaque vie étant une aventure personnelle.

On retrouve ainsi la phrase de Nietsche « Il faut un chaos pour accoucher d’une étoile », ou de Simone Weil « La sainteté consiste à pouvoir contempler la souillure ». Le Credo d’Arvo Pärt est lui aussi très structuré (je pense), avec une notion de progression.

Un chapitre de votre recueil s’appelle Détour chez les indiens, pouvez-vous nous dire quelques mots au sujet de cette rencontre avec la culture amérindienne ?

Ils m’ont toujours intéressé et j’ai lu quelques livres à leur sujet, parfois écrits par des indiens eux-mêmes, notamment un chaman d’Amérique du nord. J’ai visité le musée des Native americans de Washington, qui est passionnant, j’y ai trouvé des recueils de poèmes, certains m’ont inspiré. Je suis intéressé par les similitudes de leurs conceptions, l’existence d’un univers en construction où tous les êtres sont dépendants et solidaires, avec certaines visions chrétiennes (Theillard de Chardin). Ces conceptions ont été reprises lors du mouvement hippie, dans la musique des années 70 (Morrison, poète, musicien, admirateur de Rimbaud, se considérait comme la réincarnation d’un Chaman), elles sont reprises aujourd’hui avec l’écologie, par certains penseurs actuels (Michel Serres, Edgar Morin), mais on retrouve aussi ces notions chez les astrophysiciens. Hubert Reeves par exemple fait des conférences où il parle de l’univers, du comportement des animaux, et où il finit par un concert de musique (ce n’est pas lui qui joue rassurez vous). Certains scientifiques s’interrogent en étudiant la physique quantique, la matière (et la pensée ?) étant constituée de particules en vibration, d’ondes, tout ceci peut être comparé à la musique, au « chant de l’univers », etc.

Vous citez Hélène Grimaud « Nous sommes sur le seuil, la musique est la clé », quelle est la place de la musique dans votre vie, dans votre œuvre ? Pensez-vous comme cette artiste, que la musique est un mouvement vers l’universel, un point de conciliation possible de tous les contraires ? Votre poème Credo sur le morceau d’Arvo Pärt, montre une grande symbiose avec l’univers de ce compositeur (je me suis d’ailleurs promis de commencer par faire lire votre poème quand je voudrais faire découvrir cette pièce musicale). Est-ce parce qu’on y retrouve la solitude, le silence, l’élan mystique vers le sacré et le chaos qui a une place importante dans votre œuvre ? Ce Credo s’appuie sur un prélude de Bach et un verset de l’évangile de Mathieu recommandant d’aimer ses ennemis. Est-ce un message que vous voulez partager : répondre par l’amour afin de casser la réaction en chaîne de la violence qui entraîne l’humain vers le chaos ; arrêter de faire du nombrilisme et déplacer son regard et « le centre de gravité de sa conscience » vers l’univers, l’éternité, le sacré, le divin; prendre en mains son destin pour que le monde devienne comme on voudrait qu’il soit ?

Elle est donc partout, et elle peut très bien symboliser l’univers, elle touche le beau, le sacré, l’art, la poésie etc. « la musique est la clé », « l’amour et la musique sont les deux ailes de l’âme ».

Je suis pour ma part guitariste amateur (très mauvais), et la pratique de la musique, la difficulté qu’elle représente au début, la contrainte de la technique, nous porte au final vers une dimension supérieure, et nous permet d’avoir une relation profonde avec les sons, l’instrument, et la musique de manière bien plus intime que le simple fait de mettre un CD en appuyant sur un bouton. Voilà encore une belle métaphore pour expliquer la nécessaire difficulté d’une vie matérielle et charnelle pour accéder à une perception plus fine des choses.

Mais toutes ces considérations sont vaines si l’on n’a pas un regard excentré sur les choses et les êtres, évidemment un regard d’amour, le seul qui puisse être créateur pour l’objet regardé, l’exemple avec les enfants est frappant, la relation avec eux est d’ailleurs capitale (oui c’est bien de mes enfants qu’il s’agit dans le poème).

Je partage tout à fait votre paragraphe sur Arvo Pärt, il s’agit bien de tout cela.

Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le monde et l’humanité ?

Je crois que je pose un regard plutôt optimiste, même s’il est souvent, au gré des évènements, triste et un peu désespéré. Je pense que l’humanité est en train de se construire, mais dans la douleur. Un des poèmes où transparaît ce sentiment est « RER ». Les mots les plus justes et les plus beaux qui me viennent à l’esprit en pensant à l’humanité sont de Simone Weil : « la pesanteur et la grâce« .

Extrait

Le froid dans mon col, un regard qui sourit,

Une insulte qui vole, deux yeux qui m’ont compris,

Un crachat par terre, un ange assis en face,

Dans un serpent de fer, la pesanteur et la grâce :

RER

Vous pouvez vous procurez ce recueil sur le site de l’éditeur,