Le maître – Avis +

Présentation de l’éditeur

En 1895, Henry James est un écrivain établi et reconnu, qui ambitionne d’étendre sa notoriété au théâtre. Mais la première de sa pièce Guy Domville est un désastre… Humilié, il se réfugie en Irlande, fuyant la foule et l’agitation londonienne.

L’auteur mondain et recherché choisit dès lors de se couper du monde pour se livrer à une introspection et une analyse minutieuses de ses souvenirs et de l’actualité. Peu à peu, ces réflexions semblent donner à son inspiration et à son style une nouvelle direction…

Roman à l’atmosphère troublante, Le Maître est le poignant portrait d’un artiste en pleine réinvention et une fulgurante réflexion sur les mécanismes de la création.

Avis d’Enora

Colm Tóibín est un romancier et journaliste irlandais né en 1955. Son roman, Le maître, qui reconstitue la vie d’Henry James entre janvier 1895 et octobre 1899, a obtenu le prix du Meilleur livre étranger en 2005. Il débute par l’un des événements les plus douloureux de l’existence de James : l’échec retentissant de sa pièce de théâtre, Guy Domville, à Londres en janvier 1895, alors que dans le même temps, Oscar Wilde fait un triomphe avec sa nouvelle composition. Comme à son habitude, James se réfugie dans la fuite en acceptant l’invitation d’amis anglais installés en Irlande.

Ces cinq années sont un tournant dans la vie et l’œuvre de l’écrivain. Elles seront l’occasion d’une introspection qui donneront naissance à ses œuvres les plus intéressantes, Les Dépouilles de Poynton (1897), Ce que savait Maisy (1897), Le Tour d’écrou (1898), L’Âge difficile (1899) et qui précéderont celles de la maturité comme les Ambassadeurs (1903) ou Les ailes de la colombe (1902). A travers les souvenirs douloureux, comme la guerre de Sécession, la mort de sa sœur, de sa cousine, le suicide de sa meilleure amie, ainsi que les rencontres et l’analyse des relations subtiles qui se tissent, c’est tout le processus créatif de l’écrivain qui est mis à jour.

L’existence des autres est pour James une source d’inspiration, il demeure le spectateur et le témoin d’une vie dans laquelle il ne s’engage pas, restant ainsi relégué dans la solitude. « Pour la première fois depuis des années, il éprouva la profonde tristesse de l’exil, de se savoir seul, étranger, extérieur à ce monde, trop sensible à ses ironies, à ses raffinements, à ses équivoques, sans même parler de son code moral, pour pouvoir en être jamais partie prenante »

Colm Tóibín a su magistralement décrire cet homme tourmenté, aux prises avec des luttes intérieures qui ne seront jamais complètement reconnues, ni résolues, et resteront dans l’ambiguïté comme sa sexualité. Sous l’apparente froideur de James, il dévoile l’enfant qui somatisait pour que sa mère s’intéresse à lui, et l’adulte qui trouvera refuge dans une solitude qui le fera souffrir autant que ceux qui l’aiment, les amenant parfois à des extrémités qui fera naître en lui une culpabilité lancinante.

En écrivant cette biographie sous forme de roman et sans la mettre à la première personne, Colm Tóibín réussit ainsi à peindre un portrait subtil et intimiste à la fois de l’homme et de l’écrivain dont tous les textes sont comme lui, hantés, habités d’ombre et de demi-silence. Il restitue aussi avec bonheur l’atmosphère d’une époque, avec ses mœurs, ses codes et ses non-dit, fustigeant aussi bien l’occupation anglaise en Irlande, que retraçant la vie difficile des femmes voulant échapper à leur condition.

Exercice particulièrement périlleux, Colm Tóibín aurait très bien pu se prendre « les pieds dans le tapis », pour paraphraser la nouvelle que James écrivit en 1884, The figure in the carpet, qui parle de la création littéraire. Mais au contraire, avec une parfaire maîtrise et malgré son investissement fantasmatique de la personnalité de l’auteur, il laisse ouvertes les questions sur les secrets de créativité de l’écrivain, n’aboutissant à aucune résolution véritable, à l’image des nouvelles de James. A l’instar de Manuel Carcassonne, on peut dire que Colm Tóibín réussit là un parfait roman jamesien.[[Revue de presse de Manuel Carcassonne pour Le Figaro, septembre 2005]]

Merveilleusement écrit, particulièrement bien documenté, ce roman nous invite à une rencontre émouvante avec un des grands écrivains de l’introspection. S’il n’est nul besoin de connaître l’œuvre d’Henry James pour lire et apprécier ce roman, il ne fait aucun doute qu’en fermant le livre, beaucoup auront envie de se plonger ou de se replonger dans les œuvres du maître.

Fiche technique

Format : poche
Pages : 427
Editeur : 10/18
Collection : Domaine étranger
Sortie : 5 mars 2008
Prix : 8,60 €