L’Aveu même d’être là et Dans les jardins de mon père – Avis +

Avis d’Enora

Dans les jardins de mon père, le film écrit par Cécile Vargaftig et Valérie Minetto et réalisé en 2006 par Valérie Minetto, retrace, à travers les questions posées par Cécile à son père, l’itinéraire du poète. Les lieux de son enfance, la Lorraine, l’Indre et la Haute-Vienne où il a été caché enfant pendant la seconde guerre mondiale, l’engagement politique du juif communiste après guerre, les mots, l’élaboration du poème, Bruna son épouse, la filiation, la relation d’héritage.

Dans ce long métrage, en voix off, Cécile Vargaftig nous explique que ce film est un hommage à son père. Ce père empli d’enfance qui, les yeux dans le vague écoute sa propre musique, ce père qui lui a permis de trouver la lumière et lui a enseigné la dignité nécessaire. C’est donc pour partir à la recherche de ce qu’elle a reçu et pour le transmettre aux autres, qu’elle entreprend cette oeuvre, comme un cadeau, «un de ces cadeaux qu’on se fait entre vivants».

Cécile voyage avec son père sur les traces de son enfance, pour mettre des images sur ce qu’elle ne connait qu’à travers la poésie paternelle. «J’écris ce qu’est vivre» dit Bernard Vargaftig, et vivre il ne le peut qu’à travers L’aveu d’être là. Ce vers qui appartient au recueil Eclat et Meute est repris d’une citation de Maurice Regnault : «Le poème ? En ce cœur du monde, en cette pure intimité intensément commune, il est amour parlant, l’aveu d’être là». L’aveu d’être là, c’est l’étonnement d’être encore là et d’avoir échappé au sort de milliers d’autres juifs pendant la guerre, c’est la peur, l’effroi, la demande d’identité, l’énigme d’exister et l’enfance, «L’enfance est un territoire définitif, permanent, celui du danger mais aussi du salut».

Le film se déroule en cinq temps :

1) L’enfance et le retour sur les lieux d’exil, Ouradour sur Glane, que le destin lui a fait quitter vingt-quatre heures avant l’enfer.

2) L’écriture des poèmes avec une très belle séquence de dialogue sur la fabrication poétique en compagnie de sa fille, scénariste et écrivain.

3) L’engagement politique, «il n’y a pas d’artiste qui soit dégagé».

4) Le rapport du poète avec d’autres formes d’art et la place de l’image.

5) La déportation et la difficulté de vivre après, ainsi que la place du souvenir pour la génération qui suit, «J’ai peur d’avoir oublié, j’ai peur de me souvenir. J’ai peur de lire mon nom. J’ai peur de ne pas l’entendre».

Chaque séquence est ponctuée par les textes lus par Bernard Vargaftig de sa voix profonde, lecture sur laquelle se superposent la poésie visuelle de Valérie Minetto et la musique sensible de Christophe Chevalier.

Le livre L’Aveu même d’être là, exclusivement présenté en coffret, est né de la volonté de donner à lire les textes dits tout au long de ce film magnifique, mais aussi de donner à entendre et comprendre plus largement la vie et l’œuvre d’un poète exemplaire. Par sa conception, L’Aveu même d’être là est donc une lecture inédite des poèmes de Bernard Vargaftig. Ce n’est pas une anthologie, mais bien plus, une véritable « autobiographie poétique » qui entremêle textes anciens et plus récents, proses, vers et textes critiques, offrant un regard exceptionnel sur la vie et l’œuvre de Bernard Vargaftig.

Le livre commence par une très belle préface de Pascal Maillard qui nous permet de déchiffrer le parcours littéraire de Bernard Vargaftig, né en 1934 à Nancy. Suit un texte en prose du poète, A la volette, sorte de making of mais aussi témoignage d’amour pour son épouse, Bruna et de reconnaissance pour le travail de sa fille ainsi que pour celui de Valérie et Christophe. Le troisième chapitre est un entretien avec Valérie et Cécile qui nous permet de comprendre comment et dans quelles circonstances les deux jeunes femmes ont appréhendé ce tournage. Viennent ensuite des textes de Bernard Vargaftig, sorte d’autobiographie poétique qui nous fait voyager dans les souvenirs du poète comme une invitation à côtoyer son âme et à ramener à la vie tous ceux qui ont été victimes du nazisme.

Le film et le livre permettent de découvrir un poète français majeur, encore vivant. Outre le bonheur de le lire et de l’entendre, cette édition est aussi un formidable outil pédagogique qui permet de comprendre comment à travers le travail des mots, du rythme et des sons, à travers l’écoute de la mémoire et de l’Autre, naît l’émotion, l’amour et le message de vie.

Un regard unique sur la vie et l’œuvre de Bernard Vargaftig et l’occasion pour tous de découvrir ou de redécouvrir l’un de nos plus grands poètes qui vient de recevoir en mars le Prix de littérature Nathan Katz 2008

O parole indivisible

Est-ce l’herbe des charniers

L’immobilité d’un mur

Ou la mort criblée d’images

L’aveu même d’être là

Comme l’énumération

D’un étang et d’un village

Tourbe neige cuivre école

Jusqu’au nom de chaque jour

Dans le signe sur les portes

Eclat et Meute – 1977

Fiche Technique

Format : coffret comprenant un livre et un DVD
Pages : 234
Editeur : Au diable Vauvert
Sortie : 6 mars
Prix : 29 €