La ronde de nuit – Avis +

Résumé de la production

Amsterdam 1642. Sur l’insistance de Saskia, son épouse enceinte, Rembrandt, célèbre peintre hollandais alors au sommet de son art et de sa gloire, accepte avec réticence une commande, un portrait de groupe de la milice civile d’Amsterdam. Ce tableau, la ronde de nuit deviendra l’une de ses œuvres les plus marquantes.

En travaillant sur le projet, Rembrandt prend bientôt conscience de l’existence d’une conspiration : les puissants marchands d’Amsterdam manoeuvrent dans l’ombre pour s’assurer avantages et pouvoir dans ce qui est à l’époque la ville la plus riche du monde occidental. Le peintre découvre par hasard un horrible assassinat. Déterminé à faire éclater la vérité, il bâtit méthodiquement son accusation à travers la peinture qui lui a été commandée…

Avis de Marnie

Il est difficile de parler d’un film si riche en réflexions. Ainsi, Peter Greenaway pose et tente de répondre à ces questions : est-ce que l’Art se doit de révéler la vérité ? Le peintre, au nom de son art, a-t-il le devoir de mettre sa vie et celle des siens en danger ? A quels écueils se heurte un homme qui cherche à s’intégrer dans autre milieu social que le sien ? Comment la vie privée peut-elle influencer autant l’artiste ? Les thèmes plus vastes sont évoqués, comme la place de plus en plus restreinte des femmes dans la société du 17e siècle, les rapports conflictuels de l’art, de l’argent et du pouvoir ?

Le réalisateur se focalise sur les rapports de Rembrandt avec les trois femmes officielles de sa vie, et la représentation de cette influence charnelle sur sa peinture d’un réalisme étonnant. Ainsi, lorsque débute l’histoire, Saskia, son épouse est enceinte. On devine bien vite que ce n’est pas la passion qui les lient mais une profonde et chaleureuse complicité, entre amis et partenaires… financiers. Après sa mort, le peintre se console “sexuellement” avec Geertje, la nourrice de son enfant, et commence une liaison destructrice aussi bien sentimentalement que financièrement, alors que la carrière de l’artiste est sur le déclin. Plus âgé, Rembrandt entamera une liaison avec une de ses servantes, de vingt ans plus jeune que lui, Hendrickje se montrant respectueuse, admiratrice et sentimentalement attachée au peintre, chacun trouvant ce qu’il cherche dans cette relation, lui, une aventure sensuelle et apaisée, et la jeune servante, la protection d’un homme, dans une société où une femme du peuple n’a pas les moyens de s’assumer financièrement.

Peter Greenaway a notamment le talent de nous montrer, sans multiplier les lieux, par des dialogues excellents, cyniques, crus, incisifs, l’atmosphère de cette ville dans ce milieu du 17e siècle. Quelque part, il nous arrive de penser à un Wall Street actuel : l’argent, le pouvoir, les alliances, les pressions, les complots, la corruption… Amsterdam est au centre du commerce entre Europe et le Nouveau Monde. Rembrandt, fils de meunier, parvenu, respecté et reconnu, a l’arrogance de croire qu’il est intégré à cette bourgeoisie. Lorsqu’il a connaissance du meurtre de l’un d’entre eux, il va insérer de nombreuses énigmes dans son tableau mettant en scène 34 personnages. Il souhaite révéler l’hypocrisie et la malhonnêteté de ces gens qu’il côtoie… Malheureusement pour lui, ils ne lui pardonneront pas !

Nous pensons bien évidemment au film Meurtre dans un jardin anglais, certainement le plus original et le plus emblématique des œuvres de Peter Greenaway qui nous raconte en fait, sur le même thème des différences sociales, obstacles infranchissables pour ceux qui veulent faire découvrir la vérité, et le châtiment implacable qui s’ensuit ! Bien évidemment, il faut être sensible à cette atmosphère quasi théâtrale qu’aime insuffler le réalisateur dans ses longs-métrages, la lumière, la couleur, les décors… qui nous plongent dans un Amsterdam rêvé, peint… avec crudité, violence mais dont le réalisme semble ressortir sous nos yeux.

Martin Freeman (H2G2, l’acteur de film érotique de Love Actually ou personnage de la série The office) apporte une vraie présence charnelle à Rembrandt, peu cultivé mais qui se veut comme tel, grossier, plus à l’aise avec ses élèves, ses servantes, les gens du peuple qu’avec l’aristocratie qu’il courtise et méprise tout à la fois… Rusé, sarcastique, brillant, sa vitalité aussi bien sexuelle qu’artistique forme un contraste avec l’aspect sombre et figé de certains tableaux pris comme un instantané d’une époque. Les trois caractères de femmes qu’on lui oppose sont étonnamment lumineux et vibrants de vie et d’espace. La très terre à terre, éduquée et maligne Saskia est interprétée par l’irlandaise Eva Birthistle (Just a kiss de Ken Loach). Jodhi May (Le dernier des mohicans) joue une violente, négligée et intéressée Geertje, alors que Emily Holmes (aperçue dans nombre de séries, Smallville, Dead like me, Stargate SG1, Into the west…) nous offre une vision presque éthérée de Hendrickje, un très beau personnage toute en douceur et en sincérité…

Au final, tous ces éléments riches et évocateurs se mêlent, apportant au spectateur des réponses délibérément subjectives totalement assumées par Peter Greenaway. La peinture est pour lui un moyen de parler du cinéma… les analogies, les métaphores sont évidentes. Au fur et à mesure que les explications des énigmes du tableau sont révélées, tout en étant totalement hermétiques à l’art ou même incompétents quant à la peinture de l’école hollandaise du 17e siècle, nous nous retrouvons littéralement fascinés par ce tableau qui prend soudain vie, malgré son aspect figé, les détails, la finesse, la satire, la fausse incohérence, s’animant sous nos yeux émerveillés.

Fiche Technique

Sortie : 27 février 2008

Avec Martin Freeman, Emily Holmes, Michael Teigen, etc.

Genre : historique

Durée : 125 minutes

Titre original : Nightwatching