Le Vol du corbeau – Avis +

Présentation de l’éditeur

1962. Les MacCarthy rentrent au pays et s’installent à Centralia, au sud de l’Ontario. Ils forment une famille exemplaire. Jack, le père, est officier de carrière et Mimi, la mère, une femme resplendissante. Madeleine, huit ans, croit encore que l’école est un des endroits les plus sûrs qui soient. Mike, douze ans, est le héros de sa petite sœur. Mais la vie à la base militaire ne tardera pas à faire craquer ce vernis.

Un meurtre inconcevable secoue la communauté. Jack se trouve confronté à un dilemme moral insurmontable: au nom des intérêts de son pays en pleine guerre froide, doit-il protéger un criminel de guerre et laisser enfermer un innocent ? Quant à Madeleine, peut-elle mentir pour faire éclater la vérité ?

La lumière ne se fera que plus tard, beaucoup plus tard, lorsque cette dernière, jeune femme brisée et indomptable, ira enfin jusqu’au fond des choses.

En attendant, seuls les corbeaux ont vu le meurtre. Ann-Marie MacDonald signe ici une œuvre romanesque magistrale, puissante méditation sur la perte de l’innocence, au niveau le plus intime comme à l’échelle d’un pays tout entier

Avis d’Enora

Il est des livres rares qui vous poursuivent pendant des jours après qu’on les ait refermés, Le vol du corbeau en fait partie. Surtout ne vous laissez pas rebuter par l’épaisseur du roman (près de 800 pages) ni par le début un peu lent ! L’auteur est une orfèvre qui cisèle son œuvre avec patience. Après Un parfum de cèdre, son premier roman qui lui a valu Le Prix du Commonwealth et à ses traducteurs Lori St-Martin et Paul Gagné le Prix du Gouverneur général du Canada, Ann-Marie MacDonald a travaillé pendant sept ans sur ce second roman. Elle nous emmène dans un univers totalement différent et nettement plus personnel inspiré de sa propre enfance sur les bases militaires.

Nous sommes en 1962, en pleine guerre froide, Madeleine, la jeune héroïne de huit ans, s’installe avec ses parents sur la base aérienne de Centralia en Ontario. Apres un énième déménagement, ils ont quitté l’Allemagne pour revenir chez eux au Canada. C’est l’époque du baby boom, de la société de consommation « Les enfants, la voiture, la recette du bonheur » ; c’est l’époque aussi où les nations cherchent, sans états d’âme, à récupérer les cerveaux nazis dans la course au nucléaire et à la conquête de l’espace. Bercée dans une famille aimante entre un père ancien héros de guerre, une mère au foyer idéale et un frère aîné qui commence sa crise d’adolescence, Madeleine a tout pour être heureuse. Mais ce bonheur se délite peu à peu et la petite fille va découvrir les autres couleurs de l’âme humaine, des demi-teintes à la noirceur totale : le père va être choisi par le service de contre-espionnage pour protéger un ingénieur allemand, l’instituteur se révèle être un immonde individu et le racisme latent antisémite, anti-indien redresse la tête.

Ann-Marie MacDonald se révèle être, non seulement une historienne de talent (aussi bien sur les tensions Est/Ouest pendant le conflit de Cuba que sur la conquête de l’espace en nous rappelant comment les Américains et les Soviétiques récupérèrent les ingénieurs nazis de DORA dont le fameux Werner Von Braun qui devint directeur du centre de vol spatial de la NASA), mais aussi une sociologue (la place des femmes est particulièrement bien étudiée avec des extraits de magazines féminins d’époque) et une fine psychologue qui va explorer le monde de l’enfance heureuse puis brisée (cette faculté qu’ont les enfants d’être à la fois dedans et dehors, de s’échapper du présent dans l’imaginaire des livres, leur incapacité à dire la souffrance qu’on leur inflige, leur faculté à s’en sentir responsable « – j’ai l’impression de tout inventer – quand on a tant fait pour la nier, la vérité lorsqu’on se résout enfin à la regarder en face, peut sembler irréelle – je vous parle de viol, docteur… ce n’est pas comme si je n’avais pas eu le choix, même à neuf ans, on a toujours le choix »)

Elle nous livre une vision pessimiste de la société où les plus grands criminels (comme l’ingénieur de DORA, les assassins du contre espionnage ou les pédophiles) s’en sortent et où ce sont les cœurs purs qui paient (réfugié juif, orphelins métis ou enfants sans défense). Son livre soulève aussi de nombreux points de réflexion qui restent toujours d’actualité : jusqu’où peut-on aller pour préserver la démocratie ? Peut-on négocier avec n’importe qui sous prétexte de la sauver ? Est-on toujours dans la démocratie quand l’individu innocent est sacrifié pour le profit du plus grand nombre ?

Ann-Marie MacDonald réussit à faire monter la tension tout au long de ce drame qui se construit à coup de non-dits, de silence et de lâcheté et qui se résoudra de nombreuses années plus tard quand Madeleine âgée de 32 ans entreprendra une thérapie. Servi par une écriture très variée et des personnages attachants, fouillés et bien campés, ce roman est brillant. Si vous passez le cap des deux cents premières pages, vous serez piégé et ne pourrez plus le lâcher !

Extrait

Le viol traite la victime comme personne… la rampe puis la porte jusqu’à l’abattoir… apitoyée et triste, l’âme, dissociée du corps assiste en témoin. Après le corps aura beaucoup de mal à se laisser habiter par quoi que ce soit. Beaucoup de mal à laisser l’âme reprendre sa place … la violence sexuelle fait de tous les enfants le même enfant… comme l’arbre qui croît autour d’une hache, l’enfant grandit, sain comme l’œil, jusqu’au jour où l’objet incrusté commence à rouiller. L’idée de l’extraire devient alors plus terrifiante que la pensée d’en mourir à petit feu.

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 792
Editeur : Flammarion
Collection : littérature étrangère
Sortie : 29 décembre 2004
Prix : 23 €

Biographie

Née en Allemagne de l’Ouest, elle s’est installée très jeune au Canada avec sa famille. Scénariste, comédienne (Le Chant des sirènes de Patricia Rozema et, plus récemment, Better than Chocolate), auteur de théâtre, elle a gagné le prix du Gouverneur général du Canada pour sa pièce de théâtre Goodnight Desdemona (Good Morning Juliet). Son premier roman Un parfum de cèdre (1996) lui a valu Le Prix du Commonwealth. Elle revendique haut et fort son homosexualité.