Interview de Mathieu Pasquini, fondateur de In Libro Veritas

Alors que les principes du logiciel libre semblent compris, du moins en partie, par le grand public, nous avons voulu approfondir ceux qui participent à l’application de ces mêmes principes dans le domaine culturelle.
Mathieu Pasquini, fondateur de In Libro Veritas, répond à nos questions.

Onirik : Comment avez-vous eu l’idée de créer cette maison d’édition ?

Mathieu Pasquini : Tout a commencé en 2002 lorsque, sur un forum du web, j’ai commencé à écrire une nouvelle en ligne. J’avais ouvert un fil de discussion dans le forum et le premier post était le prologue de l’histoire. C’était une histoire sur le P2P, dont les héros étaient des logiciels ou des pseudos du forum. Cette nouvelle connu un petit succès d’estime, et on me demanda où on pouvait se procurer le livre.
Si un piètre auteur comme moi pouvait susciter un quelconque intérêt, tout le monde le pouvait, et sans doute alors beaucoup le voudrait. L’idée de créer un site internet où l’on pourrait écrire en ligne ses oeuvres pour être lu était née.

Tout naturellement l’idée d’associer ces oeuvres avec des licences libres, dont on était encore qu’au balbutiements, s’imposa à moi comme le logiciel libre s’était imposé aux codeurs depuis 20 ans. Grâce à ces licences de diffusion libre (Licence Art Libre, Creative Commons, GFDL, GNU/GPL) la certitude de pouvoir diffuser le savoir et la connaissance tout en sécurisant juridiquement les droits et les devoirs des auteurs et des lecteurs était enfin à notre portée.

Le livre unique à la carte (livre que l’on se crée en ligne en compilant les oeuvres des auteurs) fut une idée qui naquit en même temps que l’idée même de InLibroVeritas. Les technologies de l’impression numérique et la confiance d’un imprimeur me permirent de mettre en place un concept aujourd’hui encore unique au monde.

Reste que l’élément déterminant fut ma rencontre avec Thomas Boitel (développeur) qui a donné vie à mon projet. Aujourd’hui encore nous travaillons ensemble sur les développement des InLibroVeritas.

O : Selon quels critères sélectionnez-vous les ouvrages qui vous sont
soumis ?

M. P. : InLibroVeritas est une maison d’édition qui permet à tous de venir écrire en ligne des oeuvres littéraires. Il n’y a pas de sélection, c’est la communauté des lecteurs qui « sélectionne » les auteurs et les oeuvres qui méritent le plus d’être lues. Nous modérons a posteriori les oeuvres, et celles qui ne respectent pas la charte sont retirées du site (oeuvres illégales, pleines de fautes, incomplètes, mal mise en page etc.)

InLibroVeritas est avant tout ma maison d’édition et je prend mon rôle d’éditeur au sens traditionnel du terme très au sérieux. Pour avoir la possibilité d’être édité à compte d’éditeur il faut d’abord avoir publié son oeuvre sur inlibroveritas.net, avoir choisi une licence Copyleft et attirer mon attention. Ensuite vous aurez a chance d’être retenu pour la collection « Gauche d’Auteurs » ou pour l’édition d’un livre.

O : Votre catalogue est relativement vaste et varié. On ne trouve
cependant que très peu de guides pour le lecteur. Comment ce dernier
peut s’y retrouver ?

M. P. : Comme sur tous les sites internet proposant du contenu nous avons mis en place des top-listes, des cercles d’amis, un moteur de recherche, un système de filtres etc. InLibroVeritas est une grande bibliothèque où il fait bon flâner et chiner. Il ne faut pas hésiter à se perdre et à cliquer de liens en liens pour découvrir de nouveaux auteurs, de nouvelles oeuvres.
Nous sommes de toute manière attentifs aux besoins des lecteurs, et nous adaptons le site à mesure que celui-ci grandit. Il reste beaucoup à faire, et les idées ne manquent pas.

O : On ne trouve cependant pas de bande-dessinées. Est-ce en dehors de votre créneau ?

M. P. : Non, il y a des quelques bandes-dessinées. Pour l’instant le système qui permet de mettre des images en ligne, à l’intérieur des oeuvres n’est pas forcément le plus simple pour un auteur. Nous améliorerons ce système afin qu’il permette aux auteurs de faire des bandes dessinées.

Ensuite il faut que ces BD puissent être compilées dans un livre unique à la carte. Se pose donc les problèmes de qualité d’impression, de formats etc. Ce n’est pas simple à résoudre.

O : Assurez vous en tant qu’éditeur la promotion de vos ouvrages ? Par
quel biais sachant que vous ne vendez que par correspondance ?

M. P. : Les ouvrages sont promus par InLibroVeritas, par les auteurs, par moi même ou par les lecteurs. Ensemble ou de manière séparées en fonction de l’oeuvre.

InLibroVeritas c’est un catalogue de près de 7’000 oeuvres je ne peux pas toutes les promouvoir, et je ne veux pas toutes les promouvoir. Au-delà de la qualité des oeuvres, il y a le simple goût de l’éditeur. Et j’aime aussi voir des auteurs, en groupement ou seuls, vouloire que je ne promusse pas leurs oeuvres, qu’au contraire je m’efface pour les laisser faire à leur guise. Ils utilisent alors InLibroVeritas comme une plate-forme d’édition, un support technologique suffisamment avancé pour leur permettre de se promouvoir tel que je ne l’aurai pas fait ou pensé.

O : L’auteur devant contribuer aux frais d’éditions, quelles différences
par rapport à l’édition à compte d’auteur ?

M. P. : L’auteur ne contribue financièrement en rien à l’édition de son oeuvre en ligne. Ecrire et publier sur InLibroVeritas est gratuit et libre. Si leur(s) oeuvre(s) est(sont) compilée(s) dans un livre unique à la carte, cela ne leur coûte rien, mieux il touche des royalties sur les ventes.

L’édition à compte d’auteur est autre chose, c’est la création et l’édition d’un livre de manière plus traditionnelle, avec ISBN, dépôt, référencement dans les bases interprofessionnelles, couverture personnalisée, intérieur spécifique etc. Je vois plus cela comme des services supplémentaires proposés aux auteurs, qui fait partie du business modèle, mais qui n’est en rien nécessaire pour publier sur InLibroVeritas.

InLibroVeritas est une toute nouvelle manière pour un éditeur de publier un auteur, à nulle autre pareil. C’est pourquoi les comparaison avec l’édition plus traditionnelle sont difficile à faire. Mais c’est légitime de le faire.

O : Pouvez vous donner quelques chiffres concernant les ventes (nombre d’exemplaires vendus et/ou téléchargés)

M. P. : Aujourd’hui InLibroVeritas c’est un million de pages vues et environ 150’000 visites par mois. Des livres ont été vendus à plus de mille exemplaires, d’autres téléchargés à plus de 200’000 exemplaires, des auteurs ont un volume de lectures en ligne de près de 100’000 lecteurs.

O : Recrutez vous vous même certains auteurs ou attendez vous d’être
sollicités ?

M. P. : Les deux. Certains auteurs sont venus sur InLibroVeritas parce que je leur ai montré que de mettre une oeuvre en lecture libre et complète sur le site ne pouvait avoir que des retombées positives pour la reconnaissance de leur travail. Et c’est le rôle d’un éditeur que de trouver la perle rare pour l’offrir à tous. Mais dans la grande majorité se sont les auteurs qui me font la joie de venir écrire sur InLibroVeritas

O : Les auteurs y retrouvent-ils leur compte ? N’est-ce pas une solution « de passage » pour ceux qui n’arrivent pas à percer dans le monde de l’édition « traditionnelle » ?

M. P. : En France, et dans le monde, les auteurs vivant de leur art représente une proportion infinitésimale. Et combien d’auteurs de talent restent complètement inconnus ? Sur InLibroVeritas les auteurs auront la certitude d’une chose : être lus. Et c’est, déjà, une grande victoire pour cet art si difficile et si merveilleux qu’est la littérature. Sur InLibroVeritas un auteur aura la certitude d’être lu, et de recevoir les avis des lecteurs. Ensuite il pourra voir son oeuvre achetées dans un livre et de toucher des royalties sur les ventes. N’est-ce pas tout ce que souhaite un auteur, être lu et/ou acheté dans un livre ?

O : Comment envisagez vous l’avenir pour ce mode d’édition ?

M. P. : C’est une nouvelle façon de penser l’édition d’oeuvres littéraires et artistiques, elle ne se substituera pas à l’édition traditionnelle, mais elle viendra en complément jusqu’à jouer probablement jeu égal.
C’est aussi un moyen de réduire les coûts de productions, de fonctionner avec des stock parfois égal à zéro et en flux tendu. Donc forcément…
L’internet est le média convergeant, là où tous les biens communs informationnels se retrouvent et où il sera demain aisé de les trouver. C’est le sens de l’histoire. La musique a été pionnière avec des sites comme dogmazic, boxson ou jamendo, la video lui a emboîté le pas avec dailymotion, les oeuvres écrites ne sont pas en reste avec InLibroVeritas qui est et restera le premier site au monde a avoir permis à des auteurs d’écrire en ligne, de choisir la licence de diffusion, d’offrir des outils de promotion et donner la possibilité de vendre son oeuvre dans un livre et toucher des royalties, tout cela gratuitement et dans un véritable esprit de maison d’édition.
Je suis fier et honoré d’avoir ouvert, avec les auteurs de InLibroVeritas, qui peuvent être considérés comme des pionniers, une voie nouvelle permettant un accès démocratique, universel et fraternelle à la littérature, la lecture, l’écriture et aux livres. Il reste encore beaucoup de travail et il n’est pas question de s’arrêter là, au contraire, nous allons redoubler d’effort pour offrir aux auteurs et aux lecteurs de la qualité pour l’édition de leurs oeuvres.
J’espère de tout coeur que InLibroVeritas devienne un vivier de talents et que les auteurs puissent être reconnus comme des écrivains même s’ils n’écrivent pour l’instant que sur la toile et que leurs livres ne sont encore que numériques et immatériels. Car il y’a sur ILV des merveilles qu’il faut absolument avoir lues, et des auteurs de grande qualités humaines qu’il faut absolument connaître.