Cerises givrées – Avis +

Résumé de l’éditeur

Sadie Steinberg, vingt-quatre ans, est la nouvelle étoile montante de la littérature. Enfin… dans ses rêves, car elle n’a pas encore écrit une ligne de son futur best-seller. En attendant, elle s’est trouvée un job en or chez Grrrl, une boîte de cosmétiques ultra-branchée, où elle est chargée de trouver des noms pour les produits de la collection, genre « yeux d’artifice » pour de l’anticernes ou « show les marrons » pour un fard à paupières.

Ces derniers temps, Sadie a un peu de mal à se concentrer : elle est amoureuse. Problème, le beau Marley a déjà une femme dans sa vie : Montana, huit ans, très précoce et certainement pas décidée à partager son père. Prête à tout pour conquérir père et fille, Sadie avance sur un chemin semé d’embûches…

Avis de Marnie

Terrifiée au bout des dix pages du prologue, d’être malheureusement tombée sur un énième ersatz chick-lit [[vous savez bien, la fameuse Bridget Jones, ou encore les quatre amies de la série Sex in the city), genre qui tombe enfin dans l’oubli aux Etats-Unis, les lecteurs visiblement lassés du peu d’intérêt de ces histoires répétitives]], j’ai cru que l’ennui et l’irritation allaient avoir raison de moi. Comment s’intéresser à une fille de 24 ans qui, sur deux pages, s’étend sur les avantages du rouge à lèvres ?

Tout est apparence… Ecrit à la première personne, par une Sadie Steinberg, excentrique et superficielle, le langage est volontairement grossier, vulgaire et agressif. Mais voici que le premier chapitre, récit de sa liaison avec son ex-petit-ami, se déroule et en quelques mots, l’humour tragi-comique prend le pas sur le reste. Mon attention a été retenue… Il y a peut-être quelque chose à sauver chez Sadie Steinberg !

En fait, c’est un personnage complexe et attachant. Elle n’a eu que quelques relations, attirée par des hommes qui ont le double de son âge et qui lui rappellent son père qu’elle adore. Le maquillage est pour Sadie, un moyen de se cacher, ou de montrer aux autres l’aspect de sa personnalité qu’elle souhaite présenter, mais en aucun cas, celle qu’elle est vraiment, que nous allons découvrir petit à petit, par petites touches bien plus délicates que ce que le contexte laissait supposer. Le but de notre héroïne est de trouver un nom de rouge à lèvres aussi célèbre que le fameux “cerises givrées” de Revlon, pour pouvoir se souvenir ainsi de Sadie, revanche de celle qui rêve d’écrire le meilleur roman de sa génération, mais qui reste bloquée devant son écran d’ordinateur.

Lorsqu’elle rencontre Marley qui n’a que 28 ans, la jeune femme refuse tout net la possibilité d’avoir une relation avec lui. Pourtant, attirée par cet homme, destabilisée et tentant le tout pour le tout, elle cède à son envie. Mais, le jeune homme est un père plus que responsable, plus adulte que tous les hommes âgés avec lesquels Sadie est sortie. Montana, sa fille, est une enfant de 8 ans qui semble en avoir le double. A t-elle même été une enfant ? Notre héroïne, elle, est une petite fille. Elle pleure pour rien, panique, angoisse, a un humour scatologique décapant et déroutant chez une adulte, ne sait pas tenir ses comptes, cherche à protéger les animaux qu’elle croise mais sans s’investir, ignore ou elle va aussi bien professionnellement que personnellement. Elle est si attendrissante qu’on en oublie qu’elle peut irriter. Ses problèmes psychologiques s’expliquent : en fait, elle va peu à peu apprendre à assumer sa riche complexité et sa profondeur en ouvrant les yeux sur les autres, émergeant enfin de ce qui pourrait s’apparenter à un monstrueux égocentrisme.

Comme Emma Forest utilise le style “moi, je”, nous ne connaissons pas les pensées profondes de Marley. S’ajoute en cela, qu’il refuse de parler de son passé. On ne voit surtout que son attitude plus que patiente envers notre héroïne et le profond amour qui le lie à sa fille. Pourquoi, lui qui n’est sorti qu’avec des femmes plus âgées, aime t-il Sadie, cette gamine si exaspérante ? C’est le petit bémol que je ferai à cette histoire, cela n’a rien de clair… A t-il perçu le papillon à travers la chrysallide ? Il est même si mystérieux que son ex-épouse en dira plus sur lui, que Marley lui-même. Jolène est une vraie trouvaille. On aurait pu craindre un personnage caricatural, mais là encore, l’acidité et la causticité de la mère de Montana en font une personne lumineuse, nuancée, à la maturité épanouie, un vrai plaisir.

Les autres femmes, personnages secondaires, paraissent, au début (une évidente volonté de l’auteur) un peu moins réussies : l’une provocatrice jusqu’au malaise, la deuxième observatrice qui ne dit jamais ce qu’elle pense, et enfin la troisième infantilisée jusqu’à l’outrance, sont caricaturales et superficielles. Mais plus le récit se déroule, plus les yeux de Sadie vont se disséquer. Ses collègues et amies sont des femmes à qui le succès est arrivé trop vite et qui n’ont pas de véritable attention les unes pour les autres. Là encore, il faudra à notre héroïne apprendre à mieux se connaître pour apprécier celles qui sont vraiment proches d’elle.

L’humour vulgaire va peu à peu laisser place à une vraie sensibilité, les blessures à fleur de peau de Sadie vont peu à peu saigner pour enfin se cicatricer. Le style de Emma Forrest, va harmonieusement évoluer, pour mieux nous faire comprendre la profonde transformation intérieure de cette gamine qui devient une femme. C’est très joliment fait ! Je conseille donc de s’attarder sur cette histoire qui vous fera passer un bon moment. A dévorer lors d’une journée fériée du mois de mai, par exemple…

Fiche Technique

Format : broché
Editeur : Belfond
Collection : MILLE COMEDIES
Prix : 18 €