Une héroïne pas comme les autres : Stéphanie Plum

Stéphanie Plum apparaît pour la première fois en 1994, dans le roman qualifié alors de policier d’une inconnue Janet Evanovich, jusqu’ici exerçant de multiples emplois, tels que secrétaire intérimaire, en écrivant à ses heures perdues des “romances” dont une douzaine seront publiées dans les années 80. Et soudain, voici que le récit des aventures de cette apprentie chasseuse de primes, va connaître un énorme succès et rencontrer un public international…

Si le premier tome La prime privilégie une intrigue classique (dès les premières lignes, l’héroïne parle de façon provocante de celui qui sera selon les clichés du genre, on l’a bien compris, le héros), l’action est en fait très lente, l’auteur nous présentant peu à peu, en suivant les pensées de Stéphanie Plum, la ville de Trenton (capitale du New-Jersey) et son quartier ouvrier surnommé Le Bourg, ou tout le monde se connaît. Nous avons droit à toute une galerie de personnages pittoresques qui font partie de diverses minorités bien spécifiques : les italiens bien évidemment, mais aussi des hongrois, allemands, juifs etc… avec tous les clichés qui nous font penser à une série Z américaine, la parodie est évidente.

Stéphanie Plum, qui vient de divorcer (elle a trouvé son mari dans les bras d’une ancienne ennemie d’école), n’a plus de travail. A la suite de circonstances imprévues, notre vendeuse en lingerie, âgée de 30 ans, va devenir chasseuse de primes travaillant pour son cousin Vinnie, qui dirige une agence de cautionnement… et tout cela pour ne pas perdre sa voiture dont elle ne peut plus payer les traites. Si La prime peut sembler un peu décevante :

1) personnages dont l’auteur privilégie les aspects caricaturaux au détriment de la profondeur psychologique,

2) intrigue banale et convenue, où la première tâche de Stéphanie est de retrouver Joseph Morelli, un policier pur et dur, ombrageux et moqueur, coureur (comme le lecteur le découvre déjà à la deuxième page) accusé d’homicide, et dont la particularité entre autres, est d’avoir défloré l’héroïne, lorsqu’elle avait 16 ans,

Ce premier opus n’est que le point de départ (et le moins bon) de la série, qui évoluera au fur et à mesure des récits toujours rocambolesques et totalement irréalistes, tout en mettant en scène les héros :

– Stéphanie Plum, 30 ans, à l’origine brune aux yeux bleus d’un mètre soixante-huit, soixante-deux kilos et demi, un mariage raté, pas de travail, est une sorte de “célibattante” à l’américaine, dont on sent un certain désespoir et une profonde solitude derrière une façade piquante, sarcastique, et des cheveux dont la couleur change au fur et à mesure de ses sautes d’humeur. Son seul compagnon et meilleur ami est un hamster appelé Rex (qui apparaît avec un rôle plus ou moins important dans chaque aventure). Stéphanie est dotée d’un père retraité des postes, muet, mais qui rêve de tuer sa belle-mère, et d’une mère qui passe son temps à préparer une tonne de nourriture tout en se lamentant que son enfant soit différente des autres filles élevées dans le Bourg. La jeune femme a aussi la malchance d’avoir une sœur parfaite en tout, Valérie, mariée avec deux filles, qui font la fierté des parents de Stéphanie, icône dont il est impossible de s’approcher, un symbole de la femme au foyer de l’Amérique profonde. Toutefois cette image volera en éclats, lorsqu’elle fera son apparition dans septième ciel où en pleine crise conjugale, elle tentera de se dévergonder.

– Joseph Morelli, macho, ténébreux, est un séducteur sans scrupule, attiré sexuellement par Stéphanie, et ce depuis nombre d’années. Dans les quatre premières aventures, le lecteur assiste à l’évolution de ses sentiments. Il va avoir peur pour elle, s’efforçant de la protéger, en cherchant à l’attirer dans son lit, tout en reprenant ses distances avec une hâte suspecte, dès que cela pourrait devenir sérieux, jusqu’au moment ou dans Quatre ou double leurs relations vont évoluer de façon décisive. Seulement, cet homme a les défauts de ses qualités. Si aux yeux des lectrices, il représente le héros parfait, vivre avec un macho qui pense que la femme d’un flic doit l’attendre tranquillement chez eux, et tenir la maison familiale en mettant au monde et élevant pleins de petits Morelli, n’a rien de réjouissant pour une femme comme Stéphanie qui n’a pas envie d’abandonner le coté exaltant de sa nouvelle vie aventureuse. Comment se marier dans ces conditions ? Cette question essentielle, la jeune femme va commencer à se la poser dans Six appeal.

– Mamie Mazur, la grand-mère de Stéphanie, venue pour une visite de quelques jours chez sa fille et son gendre, des années auparavant, lorsqu’elle est devenue veuve… n’est plus jamais repartie. Totalement déjantée, tenant des propos choquants et hilarants, son personnage prendra une place considérable dans le deuxième tome Deux fois n’est pas coutume. La vieille dame est bien plus proche de sa petite-fille que ne l’est la propre mère de Stéphanie, avec qui elle n’arrive jamais à communiquer. Cette mémé catastrophe, totalement indigne, est un phénomène, un des meilleurs ressorts comiques et certainement l’aspect le plus original de la série.

– Ranger, de son vrai nom Ricardo Carlos Manoso, est le meilleur chasseur de prime du New-Jersey, cubain-mexicain de la deuxième génération, ancien des forces spéciales, il semble s’amuser à enseigner toutes les ficelles du métier à une Stéphanie, motivée et fascinée par l’aura charismatique et la réputation sulfureuse, qui se dégagent de ce grand type baraqué, dont les cheveux noirs sont maintenus par un catogan.

Ranger est l’anti-héros…. Personnage assez silencieux, passionnant et inquiétant, il représente de façon évidente, en fait, la face cachée et noire de Morelli. Stéphanie va être fascinée autant par l’un que par l’autre, jusqu’au moment ou dans cinq à sexe, la jeune femme ne saura pas vraiment lequel des deux choisir ou même si elle doit vraiment choisir, rompant alors avec tous les codes moraux du genre qu’est la comédie policière sentimentale. Dans six appeal, il tiendra le rôle de celui que l’on recherche (comme Morelli dans le premier tome) et pour une fois, Stéphanie viendra à sa rescousse, entraînant le lecteur à le trouver de plus en plus sympathique et attirant, appréciant autant que l’héroïne les relations excitantes mêlées de chantages qui ressemblent à des jeux amoureux qui se nouent entre eux, qui se prolongeront aussi bien dans septième ciel que dans le grand huit.

– Lula, prostituée dans la prime s’est recyclée en employée de bureau dans deux fois n’est pas coutume pour enfin aider Stéphanie à arrêter les libérés sous cautions qui ne se présentent pas au tribunal dans presque toutes les aventures suivantes. Noire, vive et alerte malgré ses 115 kilos, avec la langue bien pendue, et relookée façon cheveux oranges, vêtements excentriques, elle ne s’en laisse pas compter, tout en courant le plus vite possible vers la sortie dès que la situation tourne mal. La très bonne idée, c’est qu’à aucun moment, on a envie de se moquer d’elle à cause de son physique caricatural, mais au contraire, c’est sa pétulance, son naturel, sa personnalité hors du commun et sa violence plus ou moins contrôlée qui provoquent l’hilarité du lecteur.

– Et toute une galerie de personnages récurrents : Vinnie Plum, aux mœurs bizarres, cousin et employeur de Stéphanie, Connie sa secrétaire, dotée d’un évident sang-froid dont les bons conseils sont précieux, Mamie Bella, l’inquiétante grand-mère italienne de Joe Morelli, qui jette de mauvais sorts, Dickie, l’ex-mari qui apparaît quelques fois, pour en subir aussitôt les conséquences, Eddie Gazzara le copain flic, et mari de Shirley, cousine de Stéphanie, ou encore Sally, drag-queen hétéro de 2,10 m, et aussi son ennemie à l’école Joyce Barnhardt, qui a provoqué la fin de son mariage en couchant avec Dickie, mais qui deviendra l’ennemie jurée de notre héroïne lorsqu’elle deviendra également chasseuse de prime, faisant les yeux doux à Morelli. On ajoute l’arrivée de Bob, un chien boulimique, Moon man, un petit consommateur de drogue, qui a un peu trop tâté de sa marchandise, ou encore le dernier en date Albert Khloune (prononcer clown) qui apparaît dans le grand huit et qui va revenir dans les prochaines aventures.

Comme souvent dans les récits racontés à la première personne, toute l’histoire est vécue et racontée du point de vue et par les yeux de Stéphanie, ce qui entraîne comme principal défaut de limiter la psychologie et les actions des autres personnages qui œuvrent en arrière-plan. Ainsi, les méchants sont certainement trop caricaturaux (au point même que Janet Evanovich les prénomme le plus souvent Eddy… le second degré est alors évident). La plupart frappent, tuent, volent et s’enfuient, et bien évidemment le cliché veut qu’ils fassent presque tous partie de la mafia et n’ont aucun scrupule, motivés par l’argent et sans aucun sens moral. Stéphanie en tuera même certains en état de légitime défense, ce qui ne la laissera pas indemne ou sans remord, ce qui nuance et assombrit son caractère. Si toutes les intrigues sont quelque peu légères, comme dans toutes comédies policières qui se respectent, on devine assez facilement certains rebondissements. Toutefois, les dialogues et les interventions des amis de Stéphanie font oublier l’aspect quelque peu répétitif des courses-poursuites, des planques, des interrogatoires des voisins, des bagarres en tout genre (Stéphanie se retrouve très souvent avec un œil poché), et les arrestations ratées.

Janet Evanovich vient du New-Jersey. Certains détails qu’elle évoque d’un ton sardonique sur Trenton et ses habitudes, sentent vraiment le vécu. Ainsi, dès le départ, le motif principal pour Stéphanie de choisir le métier de chasseuse de prime, est lié au fait que sa voiture est saisie. Or, dans cette ville, on a l’impression qu’il ne faut pas y toucher ! Dans la suite des aventures de l’héroïne, cet élément est primordial, et les incidents liés à ce thème, seront récurrents et deviendront un des ressorts comiques de chaque tome, au point que l’on attend à chaque fois, le moment où l’automobile explosera ! Pour en avoir laissé même plusieurs flamber, sa dette envers Ranger va se trouver dangereusement augmentée de manière exponentielle, la jeune femme se sentant obligée de rembourser ses dettes (avec un enthousiasme certain) de façon très personnelle. Il faut aussi ajouter les différents objets qui font partie de la panoplie du parfait chasseur de primes dont Stéphanie Plum est censée ne pas se séparer mais qu’elle n’arrive pas très souvent à utiliser à bon escient.

S’agissant des romans qui ne sont pas encore traduits par Pocket, soit du neuvième au douzième tome, il semble d’après les échos et les critiques des lecteurs américains, que Janet Evanovich s’endorme quelque peu sur ses lauriers. Stéphanie Plum est toujours partagée entre Morelli et Ranger, le rythme se ralentit mais les personnages secondaires savoureux heureusement présents, font, que l’on a, semble t-il, autant de plaisir à lire les intrigues. Le premier tome étant paru en 1994, le second deux ans plus tard, puis un chaque année, il semble qu’une certaine maturité apparaisse dans le douzième opus Twelve sharp. En effet, d’après certains commentaires, les thèmes abordés sont plus graves, ce qui ajoute beaucoup de profondeur et laisse espérer une suite encore plus intéressante, perspective des plus réjouissantes.

Je peux comprendre que l’on soit totalement hermétique à ce genre d’humour déjanté, et à ce style écrit à la première personne, en utilisant un langage familier, voir grossier, qui n’évite pas une certaine vulgarité. Mais, pour ma part, je pense que cela ajoute au folklore, en donnant du rythme et du dynamisme. Et quel plaisir de retrouver à chaque fois cette galerie de personnages récurrents qui crient, se disputent, se frappent, tirent un peu partout, fuient à toutes jambes, roulent comme des fous dans des voitures avant de les emboutir, et évoluent parfois avec des nuances qui les rendent bien humains, au fur et à mesure des parutions ! Vivement la sortie de Flambant neuf chez Pocket…