Marnie – Avis +

Avis de Marnie

Pourquoi, lorsque l’on commente la filmographie de Hitchcock, ce film n’est-il jamais considéré comme un chef d’œuvre ? La réponse est simple : il est raté… mais génialement raté. Bancal, mais fascinant, dérangeant mais conventionnel. Les idées sont effleurées mais certains passages sont particulièrement profonds et choquants. Le thème central est-il la résolution du problème de Marnie, les maladies psychiatriques, le voyeurisme, le fétichisme ? Le spectateur ne le saura jamais, tout cela se mélange pour se transformer en une œuvre angoissante et troublante.

François Truffaut demandait à Hitchcock : «qu’est-ce qui vous a intéressé dans ce roman de Winston Graham ? J’aimais surtout l’idée de montrer un amour fétichiste (…) Pour parler crûment, il aurait fallu montrer Sean Connery surprenant la voleuse devant le coffre-fort et ayant envie de lui sauter dessus et de la violer sur le champ.»

Bien évidemment, il était impossible de filmer cette scène. Hitchcock va prendre des moyens détournés pour en suggérer l’idée. Il choisit Sean Connery pour son côté abrupt de violeur en puissance sous des dehors policés, et le transforme en admirateur passionné des grands fauves, comme pour accentuer le côté chasseur surveillant sa proie. Et c’est ce regard pervers scrutant l’héroïne dans ses moindres détails, la plus petite de ses réactions, qui est transposé pour sublimer la vision du spectateur, soudain voyeur…. éternel thème du réalisateur.

Marnie est une femme d’une froideur extérieure aux yeux sans vie. La couleur jaune pourrait la définir (ses vrais cheveux, la clé de la consigne qui enterre une de ses vies de voleuse, son sac à main, et même le vêtement qu’elle portait lorsqu’elle était enfant). Lorsque son mari souhaitera la protéger, il lui posera sur ses épaules sa propre robe de chambre jaune. Sous cette apparence consciente et lisse, émerge tout au long du film l’inconscient de Marnie, dans une sorte de furie qu’elle ne maîtrise pas…. et soudain le rouge déferle, agressif, perturbant, dévastateur ! Pour mieux montrer à quel point la jeune femme est enfermée en elle-même, les décors qui l’entourent sont tous peints. Tout est figé (images de la maison sur le port de Baltimore), comme le sont ses rapports avec sa mère, pleins de non dits et de froideur mêlés d’incompréhension.

Le film dure deux heures et Hitchcock souhaitait qu’il soit plus long de soixante minutes. Si bien qu’il efface les entretiens que Marnie a avec son psychiatre, dialogues les plus passionnants du livre, pour en focaliser toute la puissance en une seule scène, clou du film où la jeune femme après un cauchemar est interrogée par Sean Connery remplaçant le thérapeute, le spectateur tombe dans les recoins mystérieux de son inconscient, avec une violence dérangeante.

Bien évidemment, si vous voyez pour la première fois ce film, la plupart de ses idées nouvelles, comme l’opposition des couleurs détournée pour éviter de choquer une Amérique pudibonde, ou encore les grands symboles comme l’utilisation des clés, verrous, coffre-fort pour expliquer des théories psychanalitiques, ont depuis été largement reprises.

Hitchcock est un très grand réalisateur et ce film montre ses limites, ses frustrations. Dans son entretien avec Truffaut, il dit lui-même qu’il n’aimait pas les personnages secondaires, qu’il voulait transposer une sorte de conscience de classe sociale en voulant mettre sur écran ce qu’il appelait la dégradation par amour (alors que Chabrol parle lui de la tentation de la déchéance). Toutes ces courants latents ne sont pas exploités, il sont seulement présents en arrière plan… ce qui donne une œuvre riche, complexe, mais brouillonne, où l’on sent un réalisateur impatient qui tente sans succès de transposer son propre inconscient, ses émotions diffuses sur l’écran.

Ses relations avec Tippi Hedren n’y survivront pas. Il est de notoriété publique qu’il était totalement fasciné et subjugué par cette actrice, et au bout de quelques semaines de tournage, leurs relations vont s’envenimer pour atteindre un point de non retour. Ce film marquera aussi la rupture de style et de genre dans l’œuvre de Hitchcock, il entrera alors dans la dernière période nettement plus désenchantée et crépusculaire de sa vie et parallèlement, dans une réalité moins hollywoodienne des années 70. La scène finale en est un parfait exemple avec ce réalisme violent et même crû (plan des deux jambes mêlées) qui provoque un certain malaise chez le spectateur.

En conclusion, voici un passage des cahiers du cinémas, où François Truffaut lance son fameux thème du film malade : «Ce n’est rien d’autre qu’un chef-d’œuvre avorté, une entreprise ambitieuse qui a souffert d’erreurs de parcours : un beau scénario intournable, un casting inadéquat, un tournage empoisonné par la haine ou aveuglé par l’amour, un trop fort décalage entre intention et exécution, un enlisement sournois ou une exaltation trompeuse. Cette notion de grand film malade ne peut s’appliquer évidemment qu’à de très bons metteurs en scènes, à ceux qui ont démontré dans d’autres circonstances qu’ils pouvaient atteindre la perfection. Un certain degré de cinéphilie encourage parfois à préférer, dans l’œuvre d’un metteur en scène, son grand film malade à son chef-d’œuvre incontesté»…

Marnie est mon grand film malade…. et mon film préféré.

Fiche Technique

Avec Tippi Hedren, Sean Connery, Diane Baker

Genre : policier

Durée : 120 minutes

Année de production : 1964

Titre original : Marnie