Mon ange – Avis +

Présentation officielle

Mon ange s’inspire de faits réels de la vie d’une jeune femme kurde, baptisée par les médias internationaux sous le nom de « Rehana » et devenue par la force d’une photo largement diffusée sur les réseaux sociaux, l’« Ange de Kobané », symbole de résistance. Une jeune femme qui raconte sa trop courte histoire.

Rehana vit dans la ferme de ses parents, près de Kobané, au temps de la guerre civile syrienne. Celle d’une jeune fille courageuse, libre, pacifiste, de 19 ans, qui rêve de devenir avocate. Celle qui fait auprès de son père aimé l’apprentissage des armes. Celle qui va connaître la peur, la fuite, les horreurs et la barbarie d’une guerre. Celle qui va devenir une combattante de légende, au nom de son amour pour la justice et la liberté… inexorablement jusqu’à la mort.

Mon ange est adaptée de la pièce Angel du dramaturge britannique Henry Naylor, et constitue le troisième volet de sa trilogie Arabian Nightmares consacrée aux guerres au Proche-Orient, à la torture, au terrorisme et à la liberté des femmes (The Collector en 2014, Echoes en 2015).

Avis d’Anna

Près de la ville syrienne de Kobané, à la ferme de ses parents, la jeune Rehana rêve d’ailleurs, de Boston Justice et de ses futures performances d’avocate, le tout sur une bande-originale signée par Rihanna et Beyoncé. La réalité, elle, est plus austère et brutale. Son père est paysan et ils vivent dans une petite ville de campagne, où les arbres et le bétail sont des richesses sacrées. À son ange, son père veut transmettre la ferme familiale.

L’héritage de la terre est le seul qu’il puisse lui transmettre. Mais Rehana, elle, aspire à défendre les opprimés, comme ses héros de séries américaines. Sa soif de liberté et d’indépendance n’ont pas de limites. Quant à son éducation, elle veut l’achever à tout prix, quitte à contrarier l’équilibre familial. Cependant, la guerre civile syrienne, qui n’est pas loin, plane au-dessus de leurs têtes.

Au théâtre Tristan Bernard, dans une salle plongée, pour quelques instants, dans le noir, Lina El Arabi, nous dévoile, de sa voix grave, puissante et assurée, l’histoire de Rehana, celle d’une jeune femme ambitieuse et pacifiste dont la guerre a corrompu les rêves. Seule sur scène, l’actrice interprète, non-stop 1h10 durant, tour à tour des hommes et des femmes qui entourent et impactent à jamais la vie de l’héroïne. Ces personnages émergent de la seule puissance de sa voix et disparaissent d’un simple et vif tressaillement de cordes vocales. Cette comédienne, à la présence incroyable, pèse de ses voix sur cette scène trop étroite pour contenir l’étendue de son talent qui déborde. Elle délivre son texte avec grâce, sans relâche et sans flancher.

D’une émotion à l’autre, elle nous transporte dans cet ailleurs lointain, gangréné par la guerre et les conflits religieux. Cet ailleurs pourtant déborde de réalité et de familiarité. Ses rêves d’une vie prospère et heureuse, loin de la guerre et de la pauvreté, sont criants de cruauté. Quel pied de nez formidable à la guerre et à la barbarie que de rêver si haut et si fort d’un futur si brillant. Dans cette salle de théâtre du XVIIe arrondissement, nous sommes, spectateurs, auprès d’elle, tels des frères et sœurs d’armes. Nous applaudissons le courage et la détermination de Rehana. Nous aspirons à sa liberté et à sa réussite, ainsi qu’à celles de son peuple.

Plus l’histoire avance, plus le spectre de la guerre se fait important jusqu’à arriver aux portes du village où habite Rehana. Des terres de son père aux portes de Raqqa, cette héroïne vit un parcours initiatique des plus brutaux, où traditions, modernité et horreurs de la guerre se mêlent. À la fuite, elle préfère la résilience. À travers ce périple psychologique et géographique, Rehana troque à contrecœur ses livres, son innocence et ses idéaux pour une justice des armes. Ses armes ne se résument pour autant pas à la froideur de son fusil. Rehana se trouve une force dont elle ne se soupçonnait pas capable grâce à ses sœurs d’armes. Cette ange qui aspirait tant à la vie a été transformé par la guerre et sa barbarie en un autre ange, celui de la mort.

Le travail immense de Jérémie Lippmann et de son équipe à la mise en scène appuie avec force la performance magistrale de Lina El Arabi. Mon Ange montre les limites du pacifisme et des idéaux dans un contexte de guerre intestine, ou le chaos règne. L’innocence n’a plus place et les seules et uniques options sont la vie ou la mort. Le temps et l’espace se sont étirés pendant cette performance qui nous laisse suspendus et sans voix. Et on en redemande !

Fiche technique

Représentations : du mardi au samedi à 21h00, matinées le samedi à 16h30 

Durée : 70 minutes 

Avec : Lina El Arabi

Mise en scène : Jérémie Lippman, assisté de Capucine Delaby

Traduit par: Adélaïde Pralon de la pièce de Henry Naylor Angel

Adresse : Théâtre Tristan Bernard, 64 Rue du Rocher, 75008 Paris 

Téléphone : 01 45 22 08 40 

Tarifs : de 11 à 35 €