Lettres d’Amérique: New York, Argentine, Brésil, 1940-1942 – Avis +

Présentation de l’éditeur

Au matin du 23 février 1942, près de Rio de Janeiro, on retrouve les corps enlacés de Stefan et Lotte Zweig, suicidés. Fuyant le nazisme, ils avait quitté l’Autriche pour s’exiler en Angleterre dès 1933. Puis, en 1941, l’auteur d‘Amok est invité en Amérique, où il est reçu en héraut de l’humanisme et de la paix.

Les Zweig vont parcourir tout le continent nord et sud-américain, de New York au Brésil, terre d’asile rêvée, d’où ils envoient à leurs amis et surtout à leur famille restée en Europe de nombreuses lettres, demeurées pour la plupart inédites jusqu’à aujoud’hui.

On y entend l’espoir inlassable qui les animera jusqu’au bout – jusque dans leur dernière demeure de Petropolis où, rattrapés par les fantômes de l’Europe en proie à la barbarie, ils mettront fin à leurs jours.

Cette correspondance à deux voix est un document littéraire exceptionnel à plus d’un titre : pour la première fois, nous lisons pour ainsi dire les derniers mots de Stefan Zweig, et nous découvrons les « lettres d’une inconnue », celles de Lotte, une femme exceptionnelle aussi courageuse que discrète, qui joua dans la vie de Zweig un rôle qu’on ne soupçonnait pas.

Ce « voyage dans le passé », témoignage poignant d’un amour qui unira le couple jusque dans la mort, révèle sous un jour méconnu et passionnant l’un des plus grands écrivains du vingtième siècle.

Avis de Claire

2012 a marqué sans grand éclat le triste 70e anniversaire de la mort de Lotte et de Stefan Zweig. Rongé par une mélancolie d’une indicible profondeur, l’homme avait choisi de partir à l’âge de 60 ans, avant de voir s’accomplir la déchéance d’une Europe dont il avait si justement anticipé les troubles guerriers d’une part et les soubresauts réconciliateurs d’autre part.

Dans l’excellente introduction de Darién J. Davis et Oliver Marshall, on sent bien que les inlassables départs dans un premier temps, à savoir les multiples voyages qui font de Lotte et lui d’infatigables nomades, s’avèrent hautement nécessaires à leur survie.

Le couple se spécialise avec une certaine jubilation dans l’art de la fuite. Même si l’écrivain et sa jeune épouse restent un certain temps dans un même endroit, ils se lassent, se fatiguent, s’isolent, et le vagabondage itinérant reprend.

Synonyme d’un mal-être latent, exacerbée par la situation politique en Europe que Stefan décortique avec la passion du désespoir, cette fugue perpétuelle se fige un jour à Pétropolis, inaccessible Eden où, comme pour Adam et Eve, la chute sera fatale.

Pourtant, les lettres que l’on découvre avec émotion dans cet ouvrage laissent poindre l’esquisse de rêves d’un avenir meilleur. En tout cas, pour Lotte, un appétit de vivre et une joie d’être la compagne d’un si grand homme, comme si elle avait enfin trouvé sa place en ce monde.

Excellant dans le style épistolaire, notez que Lotte et Stefan écrivaient en anglais à cause de la censure (une lettre écrite en allemand aurait paru suspecte), à l’aise dans une langue qui n’est pas leur langue maternelle, ils captent des petits instants de vie qu’ils transmettent à leurs proches, envers lesquels on ressent leur profond attachement.

Au delà des nouvelles prises ou données, il s’agit aussi pour le couple d’évacuer des peurs troubles, des craintes solitaires, des espoirs déçus, une nostalgie obsédante. Il y a aussi ce remords, lancinant, éperdu et vain, d’être en sécurité alors que leurs proches, que leur peuple, que l’Europe entière souffrent.

Poignant.

Fiche technique

Format : broché
Pages : 308

Editeur : Grasset
Collection : Littérature étrangère
Sortie : 7 novembre 2012
Prix : 22 €