La série des Ice

Avis de Marnie

Anne Stuart est un auteur qui semble être passionnée par l’exploration des limites. Dans cette série, elle développe de façon différente, la même histoire, et à chaque fois, l’auteur repousse les frontières de la romance pour renvoyer les codes bien établis, et les conventions morales dos à dos. Elle va même si loin qu’il faut vraiment un réel talent pour ne pas choquer les lecteurs. Mais, du talent, elle en possède une sacrée dose !

Le thème : The Committee, une organisation mal définie qui surveille “les grands méchants du monde”, envoie un de ses agents, chargé de mettre en place les plans bien précis et programmés pour empêcher la réalisation d’attentats. Tout est prêt, organisé et préparé, seulement, un grain de sable va faire dérailler la machine, l’irruption d’une innocente jeune femme que le héros doit éliminer pour permettre de sauver le monde…

Nous avons donc trois héros : Qu’ont-ils en commun ? Ce sont des hommes qui ne ressentent aucune compassion, aucune empathie. Caméléons aux multiples talents et ressources, assassins sans état d’âme, ils sont du côté de la loi, mais pourraient d’après ce qu’ils pensent d’eux-mêmes, se retrouver aussi bien du côté des méchants. Donc, pourquoi ne pas se vendre au plus offrant ? Parce qu’ils se connaissent assez mal. Ils ont des principes, mais ils l’ignorent. Tous les trois sont traumatisés par une enfance très difficile, et n’ont aucune confiance dans les êtres humains. Pourtant, lorsque l’on suit leurs actions, on s’aperçoit qu’ils possèdent le sens de l’honneur, la notion du bien et du mal, et une soif d’absolue, noyés dans un apparent cynisme avec lequel ils se protègent. N’avouent-ils pas être des solitaires, sans aucun sentiment utilisant le sexe seulement comme une arme ! (Peter avoue même qu’il ne fait alors aucune différence que ce soit avec une femme ou un homme…) Les armes, ils connaissent… Ce sont des tueurs professionnels qui suivent le précepte qu’il faut savoir sacrifier un individu pour sauver l’humanité. Seulement, leur enveloppe glaciale et méthodique chancelle lorsqu’ils sont soudain confrontés à l’individu en question. L’innocence de leur future victime s’impose comme une évidence et transperce leur armure derrière laquelle leurs blessures ne se sont jamais cicatrisées.

Leurs différences ne sont qu’apparentes :

– Bastien, Black ice, (d’après mon sondage personnel, il est sans contexte le préféré des lectrices…) a une telle présence, qu’il en éclipserait les deux autres. Séducteur seulement pour sa mission, son charme apparent disparaît en quelques secondes pour laisser place à ce qui semble être sa vraie nature. En fait, il est le plus désabusé des trois hommes, il ne croit plus au bien et au mal et a l’impression d’avoir perdu son âme dans ce combat. L’héroïne ne servira que de détonateur.

– Peter, Cold as ice, est totalement effacé. Il est présenté comme une ombre, on ne se souvient même pas à quoi il ressemble. Tout est intériorisé chez lui, il passera plus de temps à réfléchir qu’à agir. C’est sans aucun doute, le plus énigmatique des trois héros, un homme qui ignorait ses limites et qui grâce à l’héroïne sait jusqu’ou il peut aller.

– Takashi, Ice blue, moitié Japonais, moitié Irlandais, est bien évidemment réservé, cliché asiatique, il est vrai, mais cultivé ici jusqu’à l’extrême. Il est fier de son professionnalisme, de son habileté à gérer ses émotions… émotions qu’il se refuse totalement d’éprouver. Ne laisse t-il pas son grand-père lui arranger un mariage , sans qu’il en ressente le moindre plaisir ou déplaisir, seulement attentif à effacer le côté irlandais qui offense sa famille japonaise ? Lorsqu’il pense à Bastien ou Peter, il est évident qu’il ne les comprend pas. Il a la ferme intention de ne pas suivre leur trace, voyant chez eux de la faiblesse. Sans oublier, qu’il a été torturé lors du sauvetage de Geneviève dans Cold as ice, il dit lui-même que cela lui a servi de leçon.

Bien évidemment, on peut également comparer les trois héroïnes. Elles ont de vraies différences, Chloé avec ses 23 ans, une enfance normale et heureuse, se singularise joyeusement des habituels personnages féminins créés par Anne Stuart. Souvent on a reproché à cet auteur de mettre en scène des femmes anorexiques et extrêmement traumatisées. Chloé est tout le contraire, fine avec un look d’étudiante, assez discrète, c’est une héroïne saine et solide. Geneviève retombe quelque peu dans le cliché de la jeune femme perturbée (accro aux calmants et traumatisée par son enfance), mais heureusement s’en démarque assez vite en mettant en valeur son aspect avocate de choc, complexée par des kilos de trop, ne pouvant s’empêcher de parler dès qu’elle est angoissée (cela entraîne des situations totalement burlesques tout à fait réjouissantes qui tranchent avec l’aspect étouffant du roman).

Enfin, Summer qui a le petit côté effacé de Chloé et les kilos de trop de Geneviève, est ce qui s’approche le plus du travers supposé que l’on reproche aux héroïnes de Anne Stuart. Violée dans son enfance avec l’accord supposé de sa mère, la jeune femme s’est réfugiée dans son travail, se blindant de toutes émotions, sa seule faiblesse étant sa sœur qu’elle adore. C’est là qu’on retrouve les thèmes habituels évoqués dans la plupart des livres de Anne Stuart : frigidité de l’héroïne, trahison des parents, traumatismes qui seront dépassés et digérés grâce à l’électrochoc que représente le héros et au danger qui la font abandonner de force la carapace qui semblait la protéger mais qui l’emprisonne.

Mais toutes les trois ont un même problème : la confiance. C’est le point central des trois romans. Obligées par la situation à remettre leur vie entre les mains du héros, elles ne trouveront leur propre force qu’en puisant dans celle de l’homme silencieux qui les protège. Mais pour y arriver, il est nécessaire d’avoir un minimum de communication. C’est ce qui est totalement passionnant dans ces aventures, ils ne se parlent pas. Du moins, les femmes font des révélations, se débarrassent de leurs phobies et traumatismes en les révélant au cours de scènes dramatiques, mais les hommes, jamais. Pourtant, nous avons connaissance de la pensée de Bastien, Peter et Taka et donc de leur évolution intérieure. Mais l’héroïne n’a devant elle qu’un visage froid et énigmatique, des remarques cyniques et sarcastiques, une tension telle que cela aboutit à une scène violemment sensuelle, avec pour le final le sacrifice tragique d’un héros en quête de rédemption et qui trouvera l’amour en prime.

Les sentiments sont minimalistes… tout est dans l’introspection des héros. L’écriture n’a rien de cinématographique. Si on ne devait filmer l’histoire, il ne resterait qu’un huis-clos violent, des scènes d’action, et un revirement inattendu d’un héros dont on ne comprendrait pas la raison. Et pourtant, grâce au talent de Anne Stuart, le lecteur marche, ou plutôt il court. La tension oppressante du huis-clos est telle, que cela dépasse de loin l’aspect explosif des scènes de sexe, les héros s’aiment passionnément, cela se sent à travers les regards, les silences, la simple façon que Bastien a de murmurer à Chloé “breathe”, ou que Peter a de demander à Geneviève de se taire subissant stoïquement sa logorrhée, ou encore que Taka éprouve à toucher Summer, lui qui semble détester les contacts physiques. Ils ne tombent pas dans de grandes déclarations, à peine un “I love you” mais qui explose à chaque fois comme une bombe, mille fois plus explosif que si nous avions eu droit à une scène interminable d’explication.

Enfin, ce qui semble le plus passionnant, c’est la transgression des limites que se permettent les héros. Ces hommes ne sont pas seulement durs mais cruels. Ils réfléchissent un peu trop longtemps. Bastien qui a ordre de laisser se faire tuer Chloé, attend un bon moment avant de se décider à la sauver : elle a eu le temps de se faire torturer. Peter, lui, a ordre d’éliminer Geneviève, témoin gênant. Il lui en parle, souvent… certainement en colère contre elle de l’obliger à aller si loin. Il lui indique même comment il s’y prendra, mais n’arrive tout simplement pas à se résoudre à passer à l’action. Il va plus encore loin que Bastien, c’est lui qui doit l’assassiner, et la torture moralement à cause de sa propre impuissance à agir. Quant à Taka, pour lui les règles vont être franchement outrepassées : il passe à l’action, par trois fois. Il tente de la tuer, tout en se trouvant alors de bonnes raisons, et pour le faire, et pour s’arrêter… C’est totalement incroyable de penser qu’une femme peut tomber amoureuse d’un homme qui a essayé de l’assassiner par trois fois (hormis le syndrome de Stockholm !), mais là encore cela passe de justesse grâce à l’intensité passionnelle que sait insuffler Anne Stuart dans ses romans.

Tension sur le fil du rasoir, cela pourrait résumer ces trois romans. J’ignore ou va nous mener le quatrième “ice”, est-il possible d’aller plus loin ? Puisque ce sera l’histoire d’Isobel, la chef des trois héros, celle qui donne l’ordre d’éliminer les témoins innocents encombrants, cela risque d’être intéressant. Va t-on voir jusqu’ou une héroïne peut elle aller ? Une lectrice peut-elle s’identifier à une femme qui joue avec la vie d’innocents, même si on sait déjà qu’elle a d’énormes scrupules ? Est-ce que cela s’appellera encore une romance ?