Jean Faucounau

Jean Faucounau, polytechnicien, linguiste et érudit, spécialiste de la fin de l’âge du bronze, des peuples de la mer et des proto-ioniens a accepté de répondre à nos questions.

Onirik: Pour quelles raisons avoir consacré 40 années de recherches à ce point particulier de l’Histoire ?

Jean Faucounau : Le hasard.
Je suis, en fait, mathématicien de formation, mais intéressé de longue
date par la linguistique, surtout indoeuropéenne. Après de nombreuses
lectures, j’avais été séduit par la « Théorie Proto-Indoeuropéenne » de
P. Kretschmer, énoncée en 1925. Cherchant à la vérifier, j’ai pensé un
jour au texte indéchiffré du « Disque de Phaistos« , et ce fut le début
de mes recherches.

O: Qu’est-ce qui vous a amené à vous intéresser aux proto-ioniens et aux peuples de la mer ?

JF: Mes recherches initiales sur le Disque de Phaistos au milieu des années 1960.
J’étais parti de l’idée qu’il s’agissait peut-être d’une langue
« Proto-IE » au sens de Kretschmer, et j’ai essayé de démontrer la chose
par la Statistique. Après six ou sept ans d’efforts, j’ai dû me rendre
à l’évidence : le disque n’était pas du « Proto-IE », mais un dialecte
grec !… Et il devenait possible de le traduire… Ce que j’ai
réalisé vers 1974.
Cette traduction – si elle était exacte – ouvrait des perspectives
considérables sur l’Histoire des peuples de la Méditerranée aux
Troisième et Second Millénaires avant notre ère… Ce qui donnait
l’occasion de la vérifier : « est-ce que la nouvelle théorie
s’accordait avec les faits ? »

O: Vous basez beaucoup votre argumentation dans votre livre « Les proto-ioniens, histoire d’un peuple oublié » sur la linguistique et plus particulièrement l’évolution des phonèmes. Comment peux-t’on être sûr de la prononciation, et donc de son évolution au vue des nombreuses migrations et autres bouleversements de cette période de la fin de l’âge du bronze ?

JF: A cause des « lois de la linguistique ».
Les modifications phonétiques lors du passage d’un « état de langue » à
un autre plus tardif sont connus dans bon nombre de cas. Ils découlent,
soit de « lois générales », soit de lois particulières à telle ou telle
population. Dans le cas du français, par exemple, on passe du latin
à une forme intermédiaire * , puis à français « âne ».
Or, dans la langue « proto-ionienne » du Disque, le point de départ
(analogue au latin de mon exemple) est connu. Il s’agit de la langue
reconstituée par les linguistes dite « grec commun ». Le point d’arrivée
(le ionien de l’époque historique) est aussi connu. Il est donc
relativement facile d’en déduire la « forme intermédiaire ». Dans mon
exemple, même si la forme n’est pas attestée en vieux français
(je n’ai pas vérifié), on est sûr qu’ elle a existé.

O: Page 56 de votre ouvrage « Les proto-ioniens, … » vous dites que seuls des héros grecs sont représentés par les constellations et aucun de la civilisation minoenne. Pourtant Héraklès était lié à Thésée et donc à la légende du minotaure. Pensez-vous que ce lien soit postérieur et rajouté par les aèdes sans aucun lien avec un conte pré-minoen ?

JF: Mais les héros que vous citez, Héraklès et Thésée, ne sortent pas
de la légende *grecque* ! Thèsée est roi d’Athènes, pas de Knossos ou
de Gortyne… Que Thésée soit lié à la légende du Minotaure traduit
simplement un fait historique : la suprématie de la Crète Minoenne au
Bronze Moyen en Egée…

O: Les idoles féminines page 76 du même ouvrage ne sont pas sans rappeler les vénus maltaises qui pourtant dates de 3000 ans avant J-C. Comment expliquez-vous cette similitude ?

JF: Ce type d’idoles (héritières des déesses-mères de la fin du
Paléolithique) remonte à la « Civilisation Danubienne » , appelée « Old
European Culture » par Marija Gimbutas, laquelle correspond à la « Phase
Proto-IE » de P. Kretschmer sur le plan linguistique. Cette civilisation
européenne fleurit durant la période Néolithique, et s’étendit
pratiquement sur toute l’Europe entre -10.000 et -3000 ans.
Il n’est donc pas surprenant de trouver ce type d’idoles à Malte, comme
on le trouve en Bulgarie ou dans les Cyclades…

O: Page 91 ibid vous expliquez l’étymologie du nom Ida en lui attribuant une origine anatolienne. Comment se fait-il qu’un mont Ida existe en Crète ? S’agit d’une collision homonymique due au hasard ou alors s’agit-il d’une dénomination due à des migrations issues de l’Anatolie ?

JF: A mon avis, ni l’un, ni l’autre.
A partir du Néolithique ont fleuri en Crète des cultures ayant la même
origine danubienne lointaine que les cultures de l’ouest anatolien. A
telle enseigne que la racine « Proto-IE » au sens de Kretschmer *wild :
« sauvage » est commune à presque toutes les langues d’Europe.

O: Page 61 de « Les peuples de la mer et leur histoire » vous expliquez la disparition soudaine de plusieurs civilisations par un gigantesque tsunami dû à l’explosion du Théra. Estimez-vous que la tragédie du 26 décembre 2004 confirme de manière macabre cette théorie ?

JF: Pas à l' »explosion » ! Celle-ci s’est produite – semble-t-il, et
sous réserve de vérifications – vers -1628 . Il s’agit d’un « Second
effondrement » (le premier s’étant produit au moment de l’explosion) du
sommet du volcan, miné par l’explosion, dans la mer. La tragédie du
26/12/2004 confirme la soudaineté et l’ampleur des catastrophes causées
par un tsunami d’une certaine importance.

O: Page 94 ibid vous faites le parallèle entre ce tsunami et les plaies d’Égypte. Ne pensez vous pas plutôt que les plaies étaient dues justement à l’explosion du volcan, ce qui semble avoir été démontré par plusieurs scientifiques, et que ensuite l’écroulement de l’île fut la cause d’un énorme appel d’eau, et donc du passage à sec des Hébreux, suivi du reflux immédiat, et donc de la noyade des égyptiens à leur poursuite ?

JF: L’explosion du volcan de Thèra n’a pu être la cause des plaies
d’Egypte (sauf à remonter leur date de façon excessive) car elle n’a pu
se produire après 1500 avant notre ère ( En principe 1628 ). Par
ailleurs, il a été démontré que les vents dominants entraînaient les
cendres vers l’est. En outre, Thèra semble trop éloignée de l’Egypte
pour que l’explosion du volcan ait pu avoir les moindres conséquences
au pays des Pharaons…
Par contre, les effets du violent tsunami provoqué par le « Second
effondrement » peuvent expliquer les mouches, les maladies, etc.
Quant au passage à sec des Hébreux, il s’agit à mon avis d’une simple
légende, inspirée par l’observation des effets de quelque tsunami (La
mer commence par se retirer de façon assez considérable avant de
revenir en force).

O: Vos théories paraissent solides et pourtant parler des proto-ioniens c’est courir le risque de voir un débat passionné débuter. Pourquoi tant de passion sur ce sujet ?

JF: Je ne vois pas pourquoi le mot « Proto-Ioniens » attirerait tant
de passion… Il est extrêmement précis et correspond bien au peuple
dont j’ai tenté de refaire vivre l’histoire…
J’aurais employé volontiers le mot « Pélasges » si celui-ci n’avait été
mis à toutes les sauces. Au point que les Etrusques ont été qualifiés
de « Pélasges » !

O: Pouvez vous résumer quelles techniques statistiques vous avez utilisé pour déchiffrer le disque de Phaistos sachant que c’est une pièce unique avec un nombre limité de signes et que l’on ne connaît pas forcément l’ensemble des langages ayant existé à cette époque.

JF: Cela, c’est la question à 1000 francs !.. Comme je l’ai écrit, il
y a systématiquement, à la base, l’idée de *comparer statistiquement*
deux langues, écrites dans le même système d’écriture. Ou « ça colle »,
ou ça ne « colle pas »…
Le vrai problème est de trouver des « critères adaptés », dont la
sensibilité soit ajustée à la demande, suivant la question dont on
cherche la réponse… Je peux, par exemple, distinguer l’anglais
alphabétique du français alphabétique en comparant la fréquence des
mots en THE.
Mais je n’arriverai pas à les distinguer si j’étudie seulement la
fréquence de la lettre E…

La longueur du texte du Disque n’est pas un problème. Les travaux du
mathématicien Claude Shannon ont montré qu’il était déchiffrable si
l’on partait des « Bonnes Hypothèses »… Reste, bien sûr, à trouver
celles-ci !…
Quant aux langages utilisables, leur palette n’est pas infinie…
Encore faut-il découvrir le bon…

O: Quel accueil la communauté archéologique « conventionnelle », au sens professionnelle, a réservé à vos théories ?

JF: un accueil réservé, et on comprend pourquoi : on n’accepte pas
d’emblée une révolution dans les idées…
Mais le nombre de mes partisans croît au fur et à mesure qu’ils veulent
bien lire mes livres et articles…

O: Espérez vous voir un jour vos théories validées par des fouilles et par d’autres experts ? Attendez vous une reconnaissance pour ce fantastique travail ?

JF: Validées par des fouilles ?.. Certainement !.. Mais encore
faudrait-il que les archéologues veuillent bien fouiller « au bon
endroit » … Jusqu’à ce jour, aucun ne m’a demandé quelles sont mes
idées là-dessus, et je n’ai pas voulu les diffuser pour éviter des
fouilles clandestines….
Quant à une reconnaissance quelconque de mes travaux, je suis trop âgé
pour m’attacher à ce genre de « médaille en chocolat » … La seule
chose qui m’intéresse est de publier tout ce qui me reste à publier, et
cela suffit largement à m’occuper…