Interview de Yann et Julliard

Onirik : Comment s’est formé votre duo ?

Yann : À l’occasion d’une rencontre à Angoulême.

Juillard : En réalité ce sont les services secrets israéliens qui ont organisé cette rencontre fortuite. Yann regrettait que les histoires qui se trouvaient dans ses tiroirs ne trouvaient pas de dessinateurs. Parmi ces histoires se trouvait celle-ci qui racontait l’histoire authentique (ou presque, à quelques détails prêts) de ce pilote, le personnage central de Mezek. Ce personnage très tourmenté était un très beau sujet.

Yann : En 1948, Israël qui déclare son indépendance est envahie par les armées étrangères. Ils s’aperçoivent très vite que l’aviation est omniprésente comme en Lybie actuellement. Il faut trouver des avions très vite. Mais à cause de l’embargo international, il est impossible de les rapatrier. Ils ont même acheté un porte-avion au poids de la ferraille. Mais ils n’ont jamais réussi à le ramener en Israël.

Le Mezek (mule, en tchèque) est un avion qui faisait souvent le cheval de bois. Il était né de l’union de la carcasse d’un Messerschmitt 109 et d’un moteur de bombardier Junker. N’ayant pas l’autonomie de vol ils arrivaient en pièces détachées de Tchécoslovaquie pour affronter des Spitfire. Ces derniers sont aux mains de pilotes inexpérimentés, mais formés par des pilotes anglais de la RAF. Les Mezek sont pilotés par des mercenaires, la plupart juifs venus de nombreux pays. Mais il y avait aussi les pilotes du crû : les Sabras.

Les Américains en arrivant demandent des putes. Le climat est tendu : un vrai baril de poudre. On pourrait faire un film à la John Ford avec ça. Un copain m’a raconté que dans sa famille il y avait un pilote mercenaire ayant combattu pour le jeune Etat d’Israël. ll faisait partie de ceux qui ont été payés pour venir combattre aux côtés des Israéliens et qui ont été rejetés par certains d’entre-eux.

Onirik : Le secret d’un des mercenaires est similaire à celui d’Helmut Schmidt[[Chancelier fédéral de la RFA de 1974 à 1982]], pilote de Messerchmitt durant la guerre. Est-ce lui qui a servi d’inspiration ?

Yann : Non, c’est une coïncidence.

Onirik : L’épisode se déroulant en Angleterre permet de remarquer la présence de deux héros britanniques, en l’occurence Blake & Mortimer[[André Juillard a dessiné plusieurs albums à l’occasion de la reprise des héros d’Edgar Pierre Jacobs]].

Juillard : Je suis le coupable. J’assume.

Onirik : L’officier israélien borgne m’a rappelé quelqu’un.

Yann : C’est un hasard. À l’époque Moshé Dayan[[chef d’Etat-major des armées et ministre de la défense d’Israël]] effectuait des patrouilles avancées dans le désert.

Onirik : Comment s’est déroulée l’illustration ?

Juillard : Pour les avions ce n’était pas sorcier. J’ai trouvé des revues sur le sujet et des images sur internet. Il faut préciser qu’il reste deux de ces Mezek dans les musées de l’air israéliens

Yann : On en a parlé à l’éditeur. Mais il a toujours refusé de nous payer le voyage. C’est curieux

Juillard : Les buissons épineux sont les plus difficile à faire. Je préfère dessiner des avions. Pour la base aérienne je n’avais pas de document. C’était des bases temporaires qui pouvaient être déménagées rapidement. J’avais trouvé des documents sur les tentes. Mais je n’ai pas trouvé comment c’était à l’intérieur. J’aime bien me documenter à fond pour être crédible, afin d’avoir un fond visuel qui tienne la route. Mais je n’oublie pas que l’essentiel pour moi c’est de faire vivre les personnages.

Onirik : Dont de nombreuses femmes.

Juillard : C’est Björn qui se laisse séduire.

Yann : Il y a une Anglaise qui est venue par goût de l’aventure. On a pris le contre-pied des clichés habituels qui veut que le héros soit quelqu’un de culpabilisé, tourmenté, alcoolique, déprimé, aux sourcils froncés, tout le temps vouté. Le principal héros est un blondinet qui plait aux femmes.

Il combat. Il n’a aucun état d’âme en apparence pour changer un peu de tous ces clichés. De même au lieu d’avoir des femmes qui ont peur de tout, on a fait une femme qui vient là par goût de l’aventure, pour avoir envie de se battre comme un homme, comme Jackie Moggridge qui convoyait des avions durant la seconde guerre mondiale. Elle s’est retrouvée avec l’envie de continuer à faire ça pour l’excitation de l’aventure et l’adrénaline. Elle est allée convoyer des avions en Israël, et puis après en Indonésie.

Onirik : On peut être surpris de son implication étant donné l’affrontement avec les Anglais.

Yann : Les Anglais plus que d’autres ont des raisons d’être là puisque la Palestine a longtemps été sous protectorat britannique. D’après ce que j’ai lu, les tensions étaient moindres entre Juifs et Anglais qu’entre Sabras et Juifs américains qui arrivaient avec leurs casquettes de tennis rouges, leurs battes de base-ball et leur vulgarité.

Onirik : Cela se double d’une opposition inter-israélienne avec l’organisation Irgoun de Menahen Begin qui veut renverser le gouvernement de David Ben Gourion, d’où un risque de guerre civile.

Yann : C’est plus qu’un risque de guerre civile. Très vite les combats aériens et les attaques de colonnes blindées deviennent presque anecdotiques. Tout bascule avec l’arrivée d’un cargo[[le cargo Altaléa rebaptisé Antinea dans l’album]] bourré d’armes et de combattants de l’Irgoun[[organisation extrémiste pratiquant le terrorisme et l’assassinat ]]. Cette organisation est bien infiltrée en Israël aux postes clefs. Le danger était qu’Israël connaisse des massacres entre Juifs dès la première année de son indépendance. Cela aurait souillé sa réputation.

Comme dans toutes les révolutions, comme la Révolution française, dès les premières années ce sont des luttes entre révolutionnaires. La Révolution d’Octobre c’est la lutte entre les Menchéviks, les Bolchéviques et les Anarchistes. La guerre d’Espagne c’est aussi la lutte entre le Poum et les Républicains. Très vite dans toute révolution il y a des luttes internes.

Onirik : Il s’agit de la sombre réalité historique. Vous alternez avec des sujets plus légers.

Yann : Ma finalité première est humoristique. Dans les années 70 je me suis reconverti dans le réalisme. Mon fond de commerce c’est l’humour. À la base j’ai besoin de scénarios comiques. Mais malheureusement c’est de plus en plus difficile de les placer auprès des éditeurs.

C’est moins commercial qu’avant, à moins de faire des séries pour enfant comme Kid-Paddle avec un écolier comme héros. Mais dès qu’on s’éloigne de cela en aventure humoristique il n’y a presque plus rien.