Interview de François Reynaert


Onirik : Le titre de votre ouvrage semble indiquer que nos ancêtres ne sont pas les Gaulois.

François Reynaert : La gallomanie est tardive. Le propos longtemps enseigné à l’école « nos ancêtres les Gaulois » a été aidé par Astérix. Mais les Capétiens au pouvoir se ralliaient à leur généalogie franque et essayaient de la ramener à Clovis. C’était lui le début de l’Histoire. Ils ont même inventé un ancêtre à Clovis : Pharamond (qui n’a jamais existé). Clovis est le premier roi baptisé. Comme Dieu lui a parlé il va peut-être parler à ses successeurs. Mais au XIXe siècle la Révolution française impose le fait que ce n’est plus le roi qui est souverain mais le peuple.

Par analogie, il fallait trouver un ancêtre au peuple. Donc on est allé chercher les Gaulois. Les Gaulois sont devenus des stars. Ils existaient bel et bien. Mais si tout le monde connaît Vercingétorix c’est parce que des milliers de biographies lui ont été consacrées. Napoléon III qui l’admirait a fait effectuer des fouilles pour retrouver le site de la bataille d’Alésia, qui comme nous l’enseignent les albums d’Astérix a eu lieu en 52 avant Jésus Christ.

Avant l’invasion de la Gaule, la géographie de l’Europe était la suivante. Il y avait le bassin méditerranéen avec des Romains jusqu’en Espagne. De la Scandinavie jusqu’au Nord de l’Allemagne se trouvaient des populations germaniques et au milieu il existait une grande ère de civilisation allant de l’Ecosse au Danube et peuplée de Celtes. Ce n’était pas une nation, mais des peuples ayant les mêmes pratiques et à peu près les mêmes dieux. Les Romains ont eu affaire avec des Celtes et ceux à qui ils ont affaire ont réalisé le sac de Rome « Vae Victis » (« Malheur aux vaincus« ).

Ces Celtes ont été baptisés Gaulois par les Romains. Quand les troupes de Jules César vont envahir un territoire jusqu’à la Belgique et au Rhin tout cela va être baptisé Gaule (« les Celtes qui nous appartiennent »).

Onirik : Mais la conquête va conduire à une assimilation.

François Reynaert : L’empire romain a été très assimilateur contrairement à la Grèce antique où la société était divisée entre métèques et citoyens. Certains empereurs romains sont nés en Espagne et en Afrique du nord. Quand l’empire romain s’effondre du fait des invasions barbares tous ces barbares admiratifs de l’empire romain qu’ils ont combattus veulent devenir comme les Romains.

Ensuite va se bâtir le modèle féodal. Mais faire l’Histoire nationale là-dessus est un non-sens. Clovis est un roi des Francs. Au XIXe siècle on en a fait un roi de France, tandis que les Allemands en ont évidemment fait un roi d’Allemagne. Mais comme il est né à côté de Tournai, la Belgique pourrait le revendiquer.

Ces barbares vont se partager l’empire romain. L’un des royaumes les plus puissants est celui des Francs. Clovis le païen va devenir un chrétien catholique reconnu par Rome. Or les autres barbares n’étaient pas des païens, mais des chrétiens d’un christianisme hétérodoxe : des hérétiques ariens, disciples d’Arius. Selon eux, Jésus serait un prophète et non le fils de Dieu (en simplifiant). Cette tendance a été condamnée par le premier concile de Nicée. Clovis est donc un chrétien dans la norme.

De plus il ne s’agit que de la chute de l’empire romain d’Occident. Mais l’empire romain d’Orient survivra 1000 ans avec Byzance comme capitale (qui portera le nom de Constantinople et deviendra Istanbul lorsque l’empire disparaitra en 1453).

Onirik : Vous dénoncez une autre contre-vérité avec Charlemagne père de l’Europe.

François Reynaert : Clovis est devenu l’homme fort de l’Europe qui dirige le pays du Rhin au Pyrénées. En l’an 800 émerge une autre dynastie avec Charles Martel, Pépin le Bref et Charlemagne. Ce dernier est un grand guerrier qui va réussir à agrandir considérablement son territoire, pratiquement toute l’Europe occidentale jusqu’à la Hongrie. En tant que roi des Lombards, il règne sur l’Italie. Il va devenir empereur. Il est vu comme un roi de France. Les Allemands le considèrent comme un roi d’Allemagne et les Italiens le présentent comme un roi d’Italie.

Plus récemment on en a fait un père de l’Europe. Est-ce que Charlemagne lui-même se pensait comme un ancêtre de Jean Monnet ? En réalité il a été couronné à Rome par le pape. Il se voit comme un nouvel empereur romain. Couronné roi des Francs, roi des Lombards et empereur des Romains il recrée cet empire romain qui faisait tellement rêver ces barbares. Il faut plutôt voir Charlemagne comme un nouvel Auguste, que comme un futur Robert Schumann. Mais aujourd’hui il existe un prix européen nommé prix Charlemagne.

Ensuite son empire va être partagé entre ses trois petit-fils. Le traité de Verdun divise l’ancien territoire de Charlemagne en trois parties : la Francie Occidentale qui va devenir la France, la Lotharingie au centre descendant vers l’Italie et enfin la Francie Orientale à l’Est qui aboutira au saint empire romain germanique qui gouvernera tout le moyen-âge. De l’autre côté, des petits rois vont se revendiquer comme étant des descendants de Charlemagne.

En Francie Occidentale, le roitelet Charles le Chauve qui gouverne dans son château d’Île de France a du mal à résister à la dernière invasion barbare, les Vikings, qui remontent la Seine. Aussi il va leur donner une terre autour de Rouen : la Normandie. Puis Hugues Capet entre en scène. Il s’agit d’une monarchie élective de même que le Vatican. Hugues Capet se fait sacrer roi avec son fils aîné. C’est le miracle capétien : tous les rois jusqu’à Philippe le Bel auront un fils aîné qui leur survivra, ce qui aboutira à une monarchie héréditaire.


Onirik : Parmi les Capétiens, on remarque que Louis IX (Saint-Louis) a établi des mesures anti-juives et anti-judaiques.

François Reynaert : C’est le piège de l’anachronisme. Saint-Louis est un roi très chrétien admirable qui déteste la violence. Il participe à la croisade persuadé qu’en portant la croix les Mahometans y verront la vérité. Il sera fait prisonnier et passera des années en prison.

Au XIIIe siècle le fait d’être un bon chrétien correspond à suivre la crispation doctrinale de l’Eglise catholique. Le quatrième concile catholique de Latran aboutit à des mesures très anti-juives résultant de la peur de l’autre. Saint-Louis fait imposer comme signe distinctif la rouelle jaune (ancêtre de l’étoile jaune). L’horreur du XXe siècle va ajouter la notion de race suite à la mythologie délirante des nazis. Mais au XIIIe siècle on reproche à un Juif de pratiquer cette religion. Mais s’il se convertit on lui fiche la paix.

Onirik : Un peu plus loin on aboutit à une guerre de cent ans qui ne concerne pas vraiment Français et Anglais.

François Reynaert : Les Plantagenêt sont Français. Jean sans Terre et Richard Coeur de Lion ont rarement mis les pieds en Angleterre. C’est presque une guerre civile. Le piège national renvoie à la guerre de 14 avec les combattants en uniformes. Ce sont les seigneurs qui dirigent le combat. Les rois n’ont pas d’armée à leur service. Ceux qui combattent sont soit des mercenaires soit des vassaux (l’ost).

Quand on évoque Richard Coeur de Lion on pense évidemment à Robin des Bois. Quant on mentionne le roi Angleterre aujourd’hui, on pense à la reine Elisabeth. En fait Richard Coeur de Lion a pour mère Aliénor d’Aquitaine, une noble mariée au roi de France qui l’a répudié. Elle a alors épousé le roi d’Angleterre à qui elle a fait cadeau de territoires dont l’Aquitaine et le Poitou.

Richard Coeur de Lion (élevé dans le Poitou) est devenu roi d’Angleterre, un titre comme un autre résultant de l’invasion normande de 1066. Ce Richard Coeur de Lion est le plus célèbre des rois d’Angleterre. Il a régné 10 ans et sur ces dix ans de règne il a passé 6 mois de l’autre côté de la Manche. Le reste du temps soit il était aux Croisades, soit il était dans ses terres de ce coté de la Manche en Poitou ou en Normandie. Ce n’est que 300 ans plus tard que l’aristocratie anglaise a parlé l’anglais.

Onirik : Vous faites un crochet par la bataille de Bouvines.

François Reynaert : La façon dont la bataille a été racontée, c’était comme si un empereur d’Allemagne et un roi d’Angleterre affrontaient un roi de France. En fait quand on regarde en détail tous ces gens étaient cousins.

Onirik : Vous vous consacrez longuement à la bergère de Domrémy.

François Reynaert : On peut faire la relecture de l’époque de Jeanne d’Arc. Elle se situe à la fin de la guerre de 100 ans. C’est une rivalité entre le roi d’Angleterre et les Capétiens et tout cela va devenir très compliqué avec des camps différents. Dans un de ces camps il y a le roi de France Charles VI qui est fou et que personne ne pense à chasser de son trône. Mais cela crée des ambitions. Les grands du royaume veulent avoir leur part.

Il existe la famille d’Orléans qu’on appelle les Armagnacs et la famille du duc de Bourgogne les Bourguignons. Par ailleurs le roi d’Angleterre revient de l’autre côté de la Manche pour un jeu à trois. Alliances et contre-alliances se succèdent. Parmi les Armagnacs se trouve Charles VII. Jeanne d’Arc pense que c’est le bon. Elle doit aller le voir et l’amener à Reims pour qu’il se fasse sacrer roi.

Jeanne d’Arc est un personnage extraordinaire. Mais dire qu’elle a sauvé la France est un peu exagéré. Si elle n’avait pas existé, l’autre camp aurait gagné : celui du duc de Bourgogne allié avec le roi d’Angleterre. Ces deux là avaient un autre plan. Ils voulaient faire la double monarchie avec un roi sacré à Notre-Dame. Henri VI serait devenu roi de France et d’Angleterre. La France n’aurait pas été occupée par les Anglais.

La France était un grand pays à la différence de l’Angleterre. Il se serait produit une colonisation par les Français. On pense que Jeanne d’Arc, c’est Jean Moulin en armure. Mais cela n’a rien à voir. Il y aurait juste un roi à la place d’un autre. Elle a été brûlée à Rouen parce qu’elle a été capturée à Compiègne par les Bourguignons. Charles VII devenu roi grâce à elle ne veut plus en entendre parler. Fin politicien, Charles VII pense qu’il faut se réconcilier avec les Bourguignons et pour cela il ne fallait pas aller rechercher cette Jeanne d’Arc.

Dans la pièce Henri VI de William Shakespeare (un Anglais !) Jeanne d’Arcq est une folle-dingue, une espèce de prophétesse qui jette des fumigations devant le roi comme si elle était une sorcière. Ensuite Voltaire en parle au XVIIIe siècle. Or Voltaire déteste tout ce qui est soutenu par le catholicisme. Il se moque de celle qui entend les voix envoyées par Dieu.

Ce grand personnage intéresse tout le monde au XIXe siècle. La droite catholique soutient Jeanne d’Arc celle qui a parlé à Dieu, qui a permis le sacre de Reims et qui a aidé Charles VII. Parallèlement la gauche, Michelet le premier, mais tous les grands républicains au XIXe siècle vont faire de même, va soutenir Jeanne d’Arc : la fille du peuple qui a aidé cet incapable de roi. Elle est l’incarnation du peuple français à travers l’histoire et des vertus populaires, ce qui explique qu’elle soit devenue une héroïne en Union soviétique.

Onirik : Paradoxalement la Guerre de cent ans a abouti à la formation des nations.

François Reynaert : À la fin de la Guerre de cent ans on peut voir le début des identités nationales. La plupart des sujets du royaume ont la conscience d’être français ou d’être anglais. Cela se produit au XVe siècle 1000 ans après Clovis. On voit le basculement sur le plan linguistique. Au début de la Guerre de cent ans tout le monde parle français et à la fin tous les traités se font en latin car les Anglais ne veulent plus parler français. On dit aujourd’hui que la conscience nationale débute à ce moment là.

Onirik : Vous refusez les clichés.

François Reynaert : Dans la périodisation on voit l’Histoire par périodes successives. Mais ce sont des conventions. Même le mot lui même de « renaissance » permet de présenter cette période comme une nouvelle naissance, comme si avant c’était la mort. Les médiévistes détestent cette appellation. Au XVe siècle dans les grandes villes italiennes, se développe l’idée de retrouver la manière de l’antiquité avec l’art romain et l’art grec.

C’est surtout une démarche sur un plan artistique. Au XIXe siècle on a théorisé cela comme une période de développement sur le plan politique et autres. L’idée au XIXe siècle est de progrès continu avec les inventions de la Renaissance comme l’imprimerie, les arts, la monarchie centralisée (François Ier crée le cadre de ce qui va devenir l’Etat-nation).

Or c’est aussi la période des guerres de religion. Lors de la Saint Barthélemy il y a du sang partout dans Paris. Ayons un regard critique sur la façon dont on fait les périodes en Histoire. Chaque période a sa lumière et son obscurité et je pense que cela sera comme ça jusqu’à la fin de l’humanité.

Onirik : L’absolutisme de Louis XIV était-il inéluctable ?

François Reynaert : Je suis rationnaliste. Chacun décide de son destin tous comme les Tunisiens avec Ben Ali. Dans les livres d’Histoire la monarchie de Louis XIV était inéluctable. À la même époque en Angleterre le roi Charles premier voulait lui-même faire la monarchie absolutiste. Mais un tas de gens se sont opposés à lui et elle n’a pas eu lieu.

En France il aurait pu se passer la même chose. Louis XIV ce personnage considérable invente l’absolutisme qui contrôle tout. Il signe lui même les passeports. Mais cela aveugle l’image des rois précédents. On a l’impression que tous les rois étaient comme Louis XIV. La plupart des rois n’avaient pas le dixième du pouvoir de Louis XIV.

C’était lui qui a créé ça et il a été le seul à l’avoir fait. Après lui Louis XV a essayé de faire la même chose et n’a réussi à rien. Puis est venu le malheureux Louis XVI qui a fait ce qu’il pouvait et qui a perdu la tête.

Onirik : Vous mettez en évidence le paradoxe de l’esclavagisme dont on ne parle que par son abolition.

François Reynaert : C’est quelque chose d’assez fascinant. Cela peut nous renseigner sur la façon dont traditionnellement sont écrits les livres de classe. Quand j’étais enfant lorsque les cours d’Histoire arrivaient à l’année 1848 on nous parlait de l’abolition de l’esclavage avec Victor Schoelcher qui est au panthéon. Mais si on présente l’abolition, on oublie de préciser qu’avant, l’esclavage existait. Surtout on peut se demander pourquoi il a été aboli si tard. Le Code Noir a été rédigé à l’époque de Louis XIV.

La traite négrière était abominable, mais tant de grands esprits ne le voyaient pas… L’esclavage est évoqué très tardivement. On trouve quelques pages dans Candide de Voltaire. Ce dernier ne pense pas que le système soit condamnable. Aujourd’hui qu’est-ce qu’on ne voit pas ? Qu’est ce que c’est ?

Onirik : La Révolution engendre la Terreur, mais entre Révolutionnaires.

François Reynaert : Depuis une vingtaine d’années l’obsession concerne la Seconde guerre mondiale. Mais pendant très longtemps la Révolution était le point de fixation. L’Histoire universitaire a pendant très longtemps été sous l’emprise du Parti communiste qui défendait la Terreur. Or la plupart des victimes de Robespierre étaient tout aussi Républicains que lui, juste pas d’accord avec lui.

La Révolution française nous a amené la démocratie avec l’égalité entre les citoyens. Elle nous a amené à cette chose très bien : « Liberté, Egalité, Fraternité ». C’est formidable. Mais paradoxalement cela a été une catastrophe sur le plan du droit social, de la vie des travailleurs. Il existait auparavant de vieux systèmes qui venaient du moyen-âge avec les guildes et les corporations dans lequel artisans et ouvriers étaient protégés.

La Révolution française dans son idée de tout remettre à neuf a mis à plat l’abolition des privilèges. Mais elle a aussi par des décrets tels que la loi Le Chapelier anéantit le système d’entre-aide. En 1830 un ouvrier est bien plus malheureux qu’en 1750. Cela a donné lieu aux combats ouvriers. La liberté syndicale est arrivée en 1884, cent ans après la Révolution Française.

Onirik : On sent par moment une envie d’uchronie avec les Chinois qui apportent de la poudre aux Incas, François Ier qui devient empereur ou bien l’Italie dépecée entre la France de François Ier et la Turquie de Soliman.

François Reynaert : Il existe de grands uchronistes. Moi j’essaie de l’utiliser de manière pédagogique. Les Espagnols ont conquis les Amériques grâce à leur supériorité technologique (la poudre, la boussole, la caravelle, le fait de savoir que la Terre était ronde).

Ces grandes inventions, les Chinois les ont transmises aux Arabes qui les ont transmises au monde occidental. Mais ne pouvait-on pas imaginer que cela se passe dans l’autre sens, que les Chinois amènent ces découvertes aux Incas et aux Aztèques peuples de grande civilisation ?

Le Britannique Gavin Menzies a émis l’hypothèse que la flotte de l’amiral Zheng He avait atteint l’Amérique [[1421, l’année où la Chine a découvert l’Amérique (édition Intervalles), 2007]]. La poudre à canon et les instruments de navigation auraient permis aux Amérindiens de débarquer en Espagne.