Interview de Elsa Fayner

Elsa Fayner a été invitée en mars 2008 par mon entreprise à présenter son livre Et pourtant je me suis levée tôt….

Le titre du livre lui a été inspiré par le discours tenu par le Président de la République, lors de la campagne présidentielle, sur la France qui se lève tôt.

Elle a choisi d’aller voir de l’intérieur la condition des travailleurs précaires et s’est mise en quête d’un emploi pour personnes non diplômées. Pour garder l’anonymat, elle s’est rendue à Lille où elle ne connait personne.

Dans un premier temps, n’ayant obtenu aucun résultat par le biais des candidatures spontanées, ni par l’ANPE, elle s’est adressée à des agences intérimaires proposant des emplois qui ne nécessitent pas de formation. Le secteur tertiaire est celui qui emploie le plus.

Elle a connu sa première expérience en décrochant un Contrat d’insertion professionnelle intérimaire (CIPI : acquisition d’un premier niveau de compétences pour débuter dans un métier) dans une société de télémarketing, avec un salaire égal au SMIC. La surveillance des employés se faisait par ordinateur. Chaque téléopérateur devait passer 300 appels par jour en moyenne. La méthode de management de cette entreprise était infantilisante, humiliante, et mal vécue par les employés (des femmes pour la plupart). Un exemple significatif : pour récompenser les bonnes ventes, la direction offrait un morpion ou un banco !

Sa deuxième expérience s’est passée chez Ikea où elle a obtenu un emploi à la cafétéria, par le biais de l’ANPE, CDD de 20h/semaine à 740 euros par mois. Les horaires étaient bien respectés, contrôlés par une badgeuse. Les conditions de travail étaient différentes de celles du télémarketing, l’ambiance beaucoup plus conviviale. La direction s’efforce de créer un esprit d’équipe et de fidéliser son personnel. Les employés ont la possibilité d’évoluer au sein de l’entreprise. Celle-ci fixe des objectifs à chaque employé qu’il doit atteindre en toute autonomie. Le risque de cette méthode de management est d’isoler l’employé qui porte toute la responsabilité de son travail, contrairement au travail à la chaîne ou chacun est solidaire. Elle a pu noter que la délation fait clairement partie de la politique de RH. Avec son salaire de 740 euros et un loyer de 300 euros, Elsa a renoncé à chercher un autre emploi à cause des horaires décalés.

Pour sa troisième et dernière expérience, elle est devenue employée d’étage dans un hôtel quatre étoiles, job qui consiste à faire le ménage dans les parties communes de l’hôtel, à l’exception des chambres. Elle a touché un salaire de 1400 euros mensuels pour 39 heures de travail par semaine. Tout est subi, il n’est pas possible de faire des propositions pour améliorer le travail, le personnel est très peu syndiqué. Les heures supplémentaires effectuées ne sont pas rémunérées. Les conditions de travail réduisent les possibilités d’une vie sociale.

Lors de ces trois expériences, Elsa Fayner a été frappée par le zèle des travailleurs précaires, zèle motivé par la peur du chômage mais certainement aussi par leur conscience professionnelle. Pendant ces trois mois d’insertion, elle n’a jamais rencontré de personnes paresseuses. Les quelques arrêts maladies étaient tout à fait justifiés. Il leur est difficile de travailler plus pour gagner plus, car ils font déjà plus que ce qu’ils devraient faire. Le soir, elle logeait dans un foyer pour jeunes travailleurs, ce qui lui a permis de rencontrer d’autres personnes en situation précaire, et de constater le même état d’esprit.

Les syndicats sont absents de la société de télémarketing ; présents et revendicatifs chez Ikea ; dans l’hôtel elle a vu quelques tracts d’usage, mais la peur de se faire licencier freine les employés dans leurs revendications, de plus le représentant et trésorier du CE de cet hôtel est également le directeur adjoint et DRH ! Les employés ne restant pas longtemps dans ce type de travail, ils ne s’investissent pas, ni ne s’organisent.

Elsa n’a pas de chiffres sur les personnes concernées par les emplois à temps partiel mais elle a rencontré des femmes plus âgées qu’elle et quelques étudiants. Ces derniers se trouvent parfois piégés par ce type d’emploi, risquant d’abandonner leurs études pour pouvoir gagner davantage. Beaucoup de personnes souhaitent connaître une évolution professionnelle mais les difficultés financières les en empêchent (difficile de quitter leur job pour suivre une formation).

En conclusion, elle préconise l’idée d’un état des lieux de l’emploi partiel. Il y a un grand effort à faire sur la qualité du travail et non sur la quantité ; sur le respect des conditions de travail, la reconnaissance du travail, l’application de la loi, et la sécurisation du parcours professionnel.

Elsa Fayner a fait lire son livre à quelques employées rencontrées lors de cette expérience. Elles étaient très touchées qu’on parle d’elles. Ce livre est un hommage rendu à la France qui se lève tôt, travaille dur et gagne peu.