Interview de Amélie Nothomb

Onirik : Le quatrième de couverture ne nous renseigne guère sur l’histoire. Il n’est composé que d’une simple phrase « il n’y a pas d’échec amoureux ».

Amélie Nothomb : Je ne voulais pas que le quatrième de couverture donne une idée de l’intrigue. Par trois fois des journalistes se sont contentés de citer la quatrième de couverture. Cela m’a un peu énervé.

Onirik : Ce roman nous éclaire sur les agissements des terroristes. Il existe des terroristes qui sont des amoureux éconduits.

Amélie Nothomb : Si les terroristes voulaient faire avancer leurs revendications, ils n’auraient qu’à faire de la politique. Si on veut exploser un avion cela doit cacher autre chose. à l’aéroport de Moscou je venais d’être prise pour une dangereuse terroriste et on m’avait fait passer à la fouille moscovite (extrêmement sérieuse) et quand on a compris que j’étais innocente ils m’ont relâché. J’ai marché vers l’avion en pensant que je devrais me venger et donc faire vraiment exploser l’avion. Mais comment faire ? Et c’est alors que j’ai eu une idée brillante.

Onirik : Ce roman s’avère donc en partie autobiographique.

Amélie Nothomb : De même que la rencontre du futur terroriste avec son amour et la colocataire de cette dernière. J’habitais en hiver un immeuble sans aucun chauffage ce qui a entraîné la visite d’un brave agent social d’EDF qui a pris ma colocataire pour Amélie Nothomb, car pour lui l’écrivain ne pouvait pas être cette espèce de créature emmitouflée dans une cagoule et trois manteaux.

Onirik : Pourquoi l’agent d’EDF est-il devenu Zoile ?

Amélie Nothomb : J’avais ce prénom dans ma ligne de tir depuis très longtemps. Il est parfait pour un terroriste car c’est le nom du plus nul des sophistes. La colocataire porte le nom d’Astrolabe, bien qu’il s’agisse d’un prénom masculin. Pour l’écrivain le prénom d’Aliénor a été plus dur à trouver, mais comme c’était pour une Alien…

Onirik : Cet amoureux éconduit va organiser un détournement aérien pour provoquer le crash d’un Boeing sur la Tour Eiffel.

Amélie Nothomb : Si on peut lire ce livre, c’est que cela n’a pas marché et que l’avion ne s’est pas écrasé. Autre indice non négligeable… aux dernières nouvelles la Tour Eiffel se porte très bien. Ma théorie n’est pas que le terroriste a changé d’avis. Mais à mon avis c’est un amateur. Il va se faire arraisonner par les membres de l’équipage.

Onirik : Il porte le nom de Zoile. Mais pourquoi pas carrément Erostrate ?

Amélie Nothomb : Parce que Erostrate est beaucoup plus intelligent que Zoile. Zoile ce sophiste ridicule se mêlait de critique littéraire. On voit tout de suite le danger. Mais en plus c’est le premier cas connu de critique débile puisqu’il n’a rien trouvé de mieux à faire que de démolir l’oeuvre d’Homère avec un prétexte qui m’enchante parce que le prétexte en question était que « tout cela n’était pas vraisemblable ». Il existe une continuité dans l’Histoire. Nombre d’auteurs ont été démolis par que « cela n’était pas vraisemblable », comme si le but des littéraires était d’être vraisemblable.

Onirik : Ce livre n’est donc pas une allégorie sur le comportement d’Erostrate qui brûla le temple de Diane pour qu’on parle de lui ?

Amélie Nothomb : Cela me plairait beaucoup vu l’allusion à l’Artémision d’Ephèse. Mais Erostrate a réussi son coup. Mais par contre Zoile, on a quelques signes que cela n’a pas marché. Donc ce terroriste foireux porte le nom d’un sophiste foireux. Zoile a été lapidé par les lecteurs d’Homère. Aujourd’hui on ne lapide plus les critiques. Il y a du boulot.

Il existe un autre élément autobiographique. A 15 ans comme le personnage, je suis partie m’isoler pendant 10 jours avec l’Iliade, l’Odyssée et mon dictionnaire dans l’intention de tout retraduire. Je me suis arrêtée à la moitié, et c’est déjà beaucoup. Je suis sur que cela a beaucoup compté pour moi d’avoir eu cette espèce d’ambition grandiose de vaincre le texte, seule isolée au fond de la forêt. Évidemment pas n’importe quel texte : le texte fondateur de la littérature occidentale. C’est symptomatique que ce texte commence par une querelle de la première vulgarité puisqu’Achille ne se dresse même pas noblement contre Agamemnon pour une conquête de guerre qui est Briséis. Ce n’est même pas le grand amour. Il s’agit d’une esclave. Ce premier monument de la littérature occidentale commence par ça qui tout ce qu’il y a de plus trivial. L’amour n’apparait pas tout de suite. Heureusement qu’il y a Ulysse. Sans Ulysse il n’y a pas d’amour. Ulysse n’est peut-être pas de la première fidélité à Pénélope, mais enfin il est capable de faire un très très long voyage pour la rejoindre. Ulysse est le grand personnage de l’Illiade et de l’Odyssée d’abord il n’est pas viril. Achille est la virilité même. Tous les autres ne pensent qu’à se battre et moi je pense que ce qui rend un personnage intéressant c’est quand il n’est pas situable sexuellement.

Quand je suis retournée parmi les vivants après mes 10 jours d’isolement j’ai vu que les gens n’en avaient strictement rien à faire. Ils ne voyaient pas ce qu’il y avait d’admirable ni même d’intéressant dans mon combat singulier avec l’Iliade. J’ai pu me sentir très très seule après et dans les années qui ont suivi.

Onirik : Votre oeuvre a été traduite en 41 langues.

Amélie Nothomb : Je vois tout ce que cela suscite comme illumination ou erreur. La réaction du lecteur finlandais, l’incompréhension du lecteur coréen peuvent être éclairantes. Les erreurs de traduction donnent lieu à des succès formidables. Je parle beaucoup du Japon dans mes livres. Dans Stupeur et tremblements, j’avais écrit une phrase : « Toutes les Japonaises ne sont pas belles.« . Cette phrase après la traduction chinoise est devenue : « Aucune Japonaise n’est belle.« , ce qui a provoqué un succès extraordinaire en Chine: « Elle a tout compris ! « .

Aux USA, Ni d’Eve ni d’Adam est paru sous le titre Tokyo Fiancé. J’ai fait un scandale, moi qui suis un être accommodant. Cela a donné lieu à des disputes homériques avec mon éditeur américain. Tokyo Fiancé, on dirait le titre d’un film avec Sandra Bullock, ce n’est pas possible ! Mais l’éditeur très gentil avançait un argument littéraire : « Pour nous, Tokyo Fiancé, c’est une oxymore, Tokyo c’est japonais, Fiancé c’est français ; on ne comprend pas le rapport entre les deux« . Je me suis dit, puisque c’est une oxymore américaine on va peut-être accepter. Donc je m’y suis faite. Les critères américains sont beaucoup plus rigoureux que les critères européens. Il est difficile pour un auteur non-américain d’avoir une audience en Amérique. On n’a pas intérêt à faire le malin. On a droit à aucune exigence. Donc soumise au marché américain, j’étais déjà bien heureuse de faire partie des particulièrement rares auteurs étrangers qui soient lus par des américains.

Il y a énormément de choses très personnelles dans ce livre. Je n’ai pas fait exploser un Boeing sur la Tour Eiffel, mais en dehors de cela tout est vrai. Peut-être qu’apparaitra maintenant au lecteur ma ressemblance avec le champignon hallucinogène qui a toujours été frappante.