Faux Semblants

Première session

Jean-François Chermann, Régine Cirotteau et Eric Maillet présentent chacun une œuvre réalisée pour être vue et manipulée sur un écran d’ordinateur. Ces créations empruntent les formes trompeuses de la communication, de l’autorité, pour entraîner le public dans des jeux de formes factices, de langages semblant au premier abord au-dessus de tout soupçon.
En détournant la médecine pour fabriquer des oeuvres artistiques qui dérangent et décontenancent, le Dr Jean-François Chermann, à la fois neuroloque et artiste, met le doigt sur les dérives de notre société. Aux yeux du neurologue, un groupe humain présente de graves anomalies de comportements : celui des touristes. Dans cette animation, ces êtres humains qui se déplacent en groupe sont scrupuleusement étudiés comme un cas pathologique.
Par un système de (re)présentation qui tient de l’exposé et de la performance, le sérieux du savant est mis au service de la parodie, l’esthétique se plie aux formes arides de la communication scientifique.
Son travail s’intéresse aux applications de la neurologie et de la psychiatrie à l’univers de l’art contemporain lorsque celui-ci fait interface entre différents territoires (arts plastiques, littérature, philosophie, sociologie, sciences…).
Les « cas cliniques » présentés informent sur l’état des recherches neurologiques et les questions psychiatriques à propos de sujets tels que la mémoire, les perceptions, les comportements stéréotypés humains. Les œuvres réalisées, du fait même de leur multidisciplinarité, génèrent des rencontres parfois impromptues ou décalées et peuvent être présentées dans des milieux différents. Elles engendrent beaucoup de questions et de réactions. Le débat revêt pour lui une importance primordiale et est une part fondamentale de l’oeuvre. Jean-François Chermann est né en 1964, il vit à Paris.
Régine Cirotteau a inventé une gamme de produits, les « Confiseries succurulentes », dont elle vante les troubles attraits dans des pop-up publicitaires faits pour l’internet.
Par cette communication incitative, l’innocente gourmandise est leurrée par le factice dans une ambiguité « trash sucrée » qui éveille un doute, fondateur d’une lecture critique des modèles consumméristes actuels. Ces « Confiseries succurulentes » forment une prolongation pour le web de sa série numérique cibachrome : « Les Confiseries ».
Régine Cirotteau pratique une « exploration jubilatoire et inquiétante du monde », détournant et recombinant les signes de la communication pour construire des fictions. Photographe et vidéaste, elle nous convie à des synthèses poétiques en bordure du réel et dans son ombre, en conviant l’étrange et le merveilleux. L’artiste occupe une place à part dans l’art contemporain où elle s’affirme comme créatrice d’images traversées d’hybridations et d’emprunts au cinéma, au clip, au numérique, au fantastique.
Régine Cirotteau est née en 1964, elle vit à Paris et à Auvers-sur-Oise.
Derrière les formules, l’ordinateur : Eric Maillet a inventé un logiciel qui a pour but d’aider les artistes à produire le discours de légitimation nécessaire à la reconnaissance de leurs oeuvres. On s’aperçoit vite que n’importe quelle phrase ou paragraphe peuvent servir pour vanter les mérites de n’importe quelle oeuvre. On en arrive à se demander si ce faux critique d’art ne serait pas aussi valable qu’un critique d’art pour de vrai !
Comme à son habitude, l’oeuvre créée par Eric Maillet résulte d’une observation ironique de nos comportements stéréotypés, qui risquent de se figer encore plus s’ils sont systématisés par les possibilités d’automatisation des tâches que donnent les programmations informatiques.
Eric Maillet propose ici une réappropriation des nouvelles technologies dans une perspective différente du marketing habituel pour tirer partie de leur efficacité sans se laisser leurrer par la futilité de certaines propositions.
Eric Maillet est né en 1961, il vit à Paris.

Deuxième session, du 28 avril au 25 mai 2006
Stani Michiels propose « Copacabana Cybercafé », un vrai cybercafé, à l’accès gratuit où on peut gagner des tee-shirts ou des badges en envoyant ses mails et en faisant des recherches sur le web. Mais ce qu’on lit sur l’écran ne ressemble pas toujours à ce à quoi on s’attendait.
Mieux qu’un cybercafé courant, le « Copacabana » est un cybercafé gratuit. Mais, peu à peu, l’internaute s’aperçoit que ce qu’il lit n’est pas tout à fait réel…
La démarche de Stani Michiels, qui est à la fois architecte et artiste, procède également de l’architecture, qu’il voit comme la trace la plus proéminente de la vie sur la terre. Cette démarche de constructeur se ressent dans ses oeuvres qui empruntent des formes très différentes : dessin, vidéo, photo, actions… S’il utilise le numérique c’est toujours avec discrétion, en tant que système de construction d’oeuvres et non pas pour les formes. Ce repérage des enjeux de la société de l’information se mêlant à sa connaissance des registres éprouvés de l’art contemporain, lui inspirent des oeuvres surprenantes par l’impact critique qu’elles ont sur la société actuelle.
Stani Michiels est né en 1973, il vit en Belgique et en Hollande.
Le site web de l’artiste : www.stani.be

« Faux-semblants »
par Anne-Marie Morice (Synesthésie)
L’art est le résultat d’un processus qui lie imitation et invention.
S’il a le plus souvent prétention à s’exprimer sur le réel, c’est par des procédés artificiels qu’il y parvient. C’est en jouant avec les apparences que l’artiste révèle ce qui se cache derrière les faux-semblants. L’artiste, créateur d’artifices, est rompu à tous les usages du faux sans pour autant avoir une quelconque intention frauduleuse.
La dialectique du vrai et du faux hante la philosophie et se révèle plus complexe qu’elle ne semble au premier abord.
La justice sait trancher et condamner le faussaire. Mais dans l’art c’est l’imaginaire, le pouvoir de séduire, l’illusionnisme qui est valorisé.
L’artiste est souvent présenté comme un démiurge ou un voyant, un manipulateur génial qui nous entraîne dans la fulgurance de la connaissance par des procédés hors du commun.
La question du numérique, de la nouvelle façon de construire les représentations (par l’abstraction, l’autonomie machinale) amplifie la question de la position de l’art par rapport au réel.
L’œuvre s’éloigne encore plus de son ancrage dans le naturel. Les matériaux ou immatériaux numériques sont jus de cerveau, la sueur de leurs créateurs ne transpire pas dans leur facture. Cette élégance désincarnée a parfois du mal à créer l’émotion que nous recherchons dans le rapport à l’art. Elles semblent souvent trop artificielles à l’image de notre quotidien qui semble s’enfoncer dans l’illusion, le trompe l’oeil.
Ces œuvres jouent sur le faux pour nous montrer le vrai.
Elles semblent crédibles et nous entraînent dans leur fiction jusqu’au moment où nous comprenons que nous sommes floués. Petite leçon humoristique pour nous faire réfléchir sur la façon dont les artifices nous manipulent, sur les mensonges auxquels nous voulons croire dans notre quête éperdue d’esthète vers le bonheur, le bien-être, la réussite. C’est parce que nous nous laissons piéger par elles que nous comprenons mieux les dangers de la facticité.

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