10 questions à Sonia Marmen

Onirik : Qu’est-ce qui vous a inspiré pour écrire cette première histoire ? Le contexte historique ? Aviez-vous, même déjà en tête les trois autres tomes, ou l’inspiration vous est venue au fur et à mesure de l’écriture ?

Sonia Marmen : Ce sont mes origines anglaises qui m’ont poussé à m’intéresser à l’histoire de la Grande-Bretagne et plus particulièrement à celle de l’Écosse. Effectivement, à l’époque ma famille croyait que l’ancêtre commun des Marmen d’Amérique était Écossais. Il est en fait un pur Anglais du Gloucestershire. Étant une adepte de tout ce qui est d’origine celtique, j’ai été un peu déçue de l’apprendre.

Mais cette découverte ne m’a pas empêchée de fabuler sur l’Écosse et ses mystérieux châteaux parsemant ses landes brumeuses. Puisque j’avais déjà entrepris des recherches dans le but d’écrire une histoire qui aurait pu être celle de mon ancêtre, j’ai décidé de poursuivre: le Québec compte beaucoup de descendants d’Écossais. Je me disais que le sujet réveillerait sans doute la curiosité de bon nombre d’entre eux. Le choix du clan des Macdonald de Glencoe en fut un par hasard. Je ne connaissais rien de ce petit clan qui a pourtant bien marqué l’histoire des Highlands. Quelle meilleure façon de l’apprendre qu’en la racontant ?

La vallée des larmes devait n’être au départ qu’une histoire sans suite. Mais je me suis prise au jeu de l’écriture et l’histoire de l’Écosse recèle tant de sujets à explorer que j’ai décidé d’entamer un deuxième tome sitôt le premier achevé. Les troisième et quatrième tomes ont été écrits plus tard. Ces deux derniers livres sont en fait une sorte de parallèle avec l’histoire de mon propre ancêtre, un soldat de l’armée britannique venu combattre en Amérique pour y demeurer ensuite et y épouser une Canadienne française.

Onirik : d’où vous vient ce goût pour le roman historique ? Quels sont les romanciers qui vous ont influencé ?

Sonia Marmen : j’ai toujours eu une prédilection pour les récits historiques. D’abord ce fut l’histoire de France par le biais d’auteurs tels que Alexandre Dumas, Maurice Druon, Jeanne Bourin et Fanny Deschamps qui m’a captivé. Puis Ken Follet m’a transporté dans l’Angleterre du moyen âge et Marion Zimmer Bradley m’a ouvert les portes du monde fascinant des celtes que je n’ai cessé d’exploré depuis.

Onirik : avez-vous fait des études d’histoires ? Pour toutes les expressions en gaélique qui enrichissent votre roman et lui donne une puissance poétique mais aussi très charnelle (ce sont le plus souvent des mots d’amour), avez-vous fait des recherches ?

Sonia Marmen : comme en littérature, je n’ai aucune formation en histoire à proprement parler. Je travaille de façon autodidacte ; l’histoire est une passion. Évidemment, je ne compte pas les heures de recherches, le nombre d’ouvrages lus pour tirer les faits que j’inclus dans mes récits. Je tiens à ce que les informations que je transmets soient le plus juste possibles. Je suis assez rigoureuse sur ce point. Pour le gaélique, il est vrai qu’il rend le texte plus vivant. Mais c’est une langue très complexe qui ne prend racine ni dans l’anglais ni dans le français, et pour l’écrire je me suis tournée vers un enseignant du Gaelic College du Cape Breton, en Nouvelle-Écosse, une province maritime du Canada où j’ai eu la chance de vivre quelque temps. Monsieur Macleod a été très généreux de son temps en m’en expliquant un peu les rudiments. Mais je lui ai laissé le soin de traduire correctement les phrases que je désirais inclure dans mes textes.

Onirik : vous semblez écrire comme un feuilleton du 19e siècle. Ainsi comme Alexandre Dumas, vous ne terminez pas souvent un chapitre sans annoncer un coup de théâtre quelques lignes avant la fin, ce qui oriente la suite du roman de façon inattendue. L’attention du lecteur est ainsi retenue, et relancée. Est-ce un procédé sciemment travaillé et recherché ?

Sonia Marmen : sciemment recherché ? Je ne pourrais pas vous le dire. Peut-être ai-je été inspirée par certaines lectures. Quoique mon dernier Dumas date de bien des années. Quand j’écris je visualise beaucoup les scènes que je décris. Elles se déroulent un peu à la façon d’un film dans ma tête. Je crois que c’est cette manière de procéder qui m’a entraîné à écrire chaque chapitre comme s’il s’agissait d’un épisode d’un feuilleton. Je me dis : qu’est ce qui va pousser le lecteur à vouloir lire le prochain chapitre? L’image qui reste imprimée dans l’esprit, l’inattendu qui surprend, le secret qu’on commence à découvrir. Enfin, tous ces détails lancés au compte-goutte et qui laissent sur la faim. J’ai aussi tenté d’analyser mes propres motivations lors de mes lectures et m’en suis servie.

Onirik : vos héros vivent de véritables drames, et même si vous les évoquez de façon poignante, vous évitez heureusement le piège du mélodrame, ce qui rend Liam et Caitlin profondément attachants, même si certains de leurs choix peuvent nous donner envie de les secouer, ils sont totalement cohérents vu les traumatismes subis. Est-ce qu’ils sont victimes d’une époque ou les souhaitez-vous universels ?

Sonia Marmen : ce qui a façonné les êtres au fil de l’histoire est le contexte dans lequel ils ont évolué. On peut difficilement s’identifier à une femme ayant vécu au dix-septième siècle, comprendre qu’en ces temps une femme pouvait accepter certaines situations qu’on qualifierait aujourd’hui de totalement inadmissibles. Mais on peut très bien être solidaire de ses bonheurs et de ses malheurs parce que le chagrin et la joie nous habitent de la même façon. Les émotions sont intemporelles. En ce sens, je pourrais qualifier mes personnages d’universels.

Onirik : les relations entre vos héros sont passionnées et très actuelles en fait : une sorte de complémentarité. Caitlin se désintéresse des activités dévolues aux femmes pour se passionner de politique, et chevaucher dans des expéditions punitives aux côtés de son mari. En fait, avez-vous souhaité moderniser ces relations en évitant les anachronismes, où beaucoup de femmes irlandaises ou écossaises (la belle-sœur de Caitlin par exemple) avaient ces envies et ce tempérament de feu ?

Sonia Marmen : s’il est vrai qu’au temps de mes récits les femmes pliaient sous la férule de leur mari ou de leur père et frères, cela ne voulait pas dire qu’elles le faisaient sans protester. Il suffit de lire sur les femmes dans l’histoire pour découvrir qu’il en existait qui revendiquaient les mêmes droits que les hommes. Il y a eu des femmes travesties en soldats qui ont fait la guerre et d’autres qui manipulaient adroitement les ficelles du pouvoir. Ce sont ces femmes peu banales qui m’ont inspiré. À une époque où les femmes cherchent à prendre leur juste place dans un monde toujours dominé par les traditions patriarcales, qui veut entendre parler d’une femme complètement soumise ?

Onirik : les évocations des différents cadres, paysages et villes sont décrites avec un vocabulaire riche et puissant, certaines envolées des pensées de Caitlin (puisque c’est un récit à la première personne) sont lyriques, passionnées dans un langage soigné et recherché. Or, lorsque votre héroïne parle, et que son tempérament bouillant d’irlandaise reprend le dessus, jurons, insultes très modernes (bordel, merde, allez vous faire foutre) fusent. C’est assez déconcertant. Là encore, avez-vous souhaité moderniser les dialogues et si oui, pourquoi ?

Sonia Marmen : j’avoue humblement que ce fut une erreur de ma part. Un anachronisme de la langue parlée que j’ai corrigé par la suite.

Onirik : je n’ai pas encore dévoré les trois autres romans, mais d’après les résumés que je n’ai pu m’empêcher de lire, l’action se situe pour le deuxième tome 20 ans plus tard, puis vous faites émigrer le petit-fils de Caitlin au Québec pour le troisième opus avant de terminer son histoire dans le quatrième tome. Aviez-vous envie de parler de votre pays avant tout et de raconter de manière romancée son histoire ?

Sonia Marmen : pour moi un roman historique doit nous apporter une information certaine à travers une histoire romancée. Ma série représente l’histoire fictive d’une famille à travers divers évènements historiques marquants, soit le massacre du clan de Glencoe, les deux derniers soulèvements jacobites et la guerre de Sept ans. Les deux premiers tomes se déroulent en Écosse tandis que les deux derniers nous transportent en Amérique du Nord. Comme j’en ai parlé plus haut, l’arrivée de la famille Macdonald au Canada a été inspirée d’abord par celle de mon ancêtre dans des conditions similaires. Mais j’ai aussi voulu souligner la présence de nombreuses familles descendantes d’émigrés écossais qui sont aujourd’hui totalement francophones. Beaucoup d’entre eux ne savent rien ou si peu de leurs origines et j’espère qu’avec mes romans j’aurai réussi à les intéresser à la culture de leurs ancêtres.

Onirik : j’ai également lu le résumé de votre roman : la fille du Pasteur Cullen, qui je l’espère paraîtra bientôt en France. Est-ce également (et heureusement vu le résumé !) le premier tome d’une série ?

Sonia Marmen : La fille du pasteur Cullen doit paraître en France en début d’octobre 2007 aux Éditions City. Le roman est une histoire complète, mais je travaille présentement sur une suite. Nous verrons ce qui en sera.

Onirik : continuez-vous à exercer votre profession ? Ou bien pouvez-vous vous consacrer entièrement à votre plume ? Comment arrivez-vous à tout concilier sans trop sacrifier de vous-même ?

Sonia Marmen : j’ai pratiqué ma profession de denturologiste tout en écrivant mes quatre tomes de Coeur de Gaël. Mon cabinet étant situé dans ma résidence, ça m’a permis de faire les deux à la fois. J’ai écrit les deux premiers tomes sur la table de la cuisine pendant mes temps libres. Les derniers tomes l’ont été sur un ordinateur dans la tranquillité de mon bureau. Il va sans dire qu’il m’a fallu abandonner certaines activités pour y arriver. Mais je ne considère pas ces abandons comme des sacrices. Les joies de l’écriture compensaient amplement pour ce que je laissais tomber. Quant au commerce, une décision s’imposait, et j’ai finalement pris le risque de fermer mon cabinet pour me consacrer entièrement à l’écriture de La fille du pasteur Cullen. Un choix qui s’est avéré heureux jusqu’ici.

Voilà… Je suis désolée d’avoir été si longue mais plus j’écrivais, plus les questions se bousculaient sur le papier virtuel. Merci encore de votre gentillesse ! J’attends avec impatience la sortie au mois de septembre du deuxième tome de Cœur de Gael, soit la saison des corbeaux, aux éditions Jai Lu.

Interview réalisé par Sophie Argintaru aka Marnie