Interview de Michaël Mention

Onirik : Pourquoi avoir choisi d’écrire un roman policier historique ? Et pourquoi avoir choisi cette période de l’histoire ?

Michaël Mention : À chaque roman, j’aime changer de contexte et d’époque pour me renouveler. J’ai constamment besoin d’être stimulé au quotidien, que ce soit par les gens, l’écriture, la musique ou encore l’Histoire.

Pour La voix secrète, le 19e siècle ne s’est pas directement imposé à moi. Je me suis toujours intéressé à cette période, mais, jusqu’à présent, je ne pensais pas y situer une intrigue. Puis, il y a eu ma découverte de Pierre-François Lacenaire avec ses crimes, ses écrits, sa finesse d’esprit. Un « sacré personnage » riche en contradictions, à l’image du 19e.

Onirik : On a noté dans La Voix secrète une intemporalité des problèmes sociétaux, et donc la possibilité de faire passer certains messages car plus ou moins toujours d’actualité, était-ce volontaire où cela vous est venu durant vos recherches ?

Michaël Mention : C’était volontaire. Quel que soit le sujet abordé, je veille toujours à ce que mes romans aient une portée intemporelle. Dans Sale temps pour le pays, j’ai traité la crise des 70’s en écho à celle d’aujourd’hui, bien que le contexte soit différent. Dans Jeudi Noir, j’évoque les politiciens de 82 qui parlaient de changement alors qu’ils étaient là depuis au moins trois décennies et toute ressemblance, etc.

Concernant La voix secrète, l’année dernière au moment des manifs contre la Loi Travail, l’essayiste Eric Brunet a dit sur BFMTV un truc du genre « Beaucoup de Français rejettent le libéralisme et pourtant, au 19e siècle, la France en était l’un des pays précurseurs ». C’est sûr : à l’époque, on faisait bosser les gamins et on exploitait leurs parents jusqu’à l’os… bref, quand j’entends de telles conneries, je n’ai qu’une envie : écrire sur le passé pour mieux évoquer le présent puisque, visiblement, certains n’ont toujours pas compris que le libéralisme est un poison.

Onirik : Pourquoi avoir choisi Lacenaire comme héros – voire antihéros – de votre roman ? Connaissiez-vous ses écrits avant de travailler sur votre roman ?

Michaël Mention : J’avais déjà lu ses Mémoires quand j’étais ado, après avoir vu le film de Francis Girod avec Daniel Auteuil. A l’époque, j’avais été séduit par son panache, sa sensibilité et – il faut bien le reconnaître – sa fourberie.

Devenu adulte, quand j’ai relu ses écrits, ils m’ont davantage « parlé ». Sur le plan littéraire, il y a chez lui du Céline, du Desproges, du Philippe Muray, du Frédéric Dard, ce qui crée un savoureux cocktail entre justesse et provocation.

Onirik : Comment faites-vous pour vous mettre si bien à la place d’un personnage comme Lacenaire ?

Michaël Mention : Je ne sais pas, mais merci pour le compliment ! C’est toujours difficile de répondre à une telle question, car, personnage historique ou fictif, on ressent son identité ou on ne la ressent pas. Tout ça est tellement personnel, intime…

Tout ce que je sais, c’est que je me suis senti très proche de la plume de Lacenaire et que tous les extraits cités dans le roman me parlent particulièrement. En premier lieu, son regard porté sur les inégalités sociales et le mépris des humains envers les animaux.

Onirik : Une suite avec Allard et Canler (par exemple) pourrait être envisagée ? (pour notre plus grand plaisir)

Michaël Mention : Une suite avec eux mais sans Lacenaire ? Je ne pense pas, chacun étant lié aux deux autres pour des raisons différentes. Je me suis beaucoup attaché à Allard et Canler mais sans Lacenaire, je ne vois pas ce que je pourrais faire de leur duo.

J’ai parfois envie de donner une suite à La voix secrète car le roman me manque. J’ai le cafard depuis que je l’ai terminé et de plus en plus de lecteurs me poussent à écrire une suite, mais franchement… à moins d’écrire un « préquel » et encore, rien que d’y penser, j’aurais l’impression de tomber dans la facilité.

Après, on ne sait jamais, une super idée et un sujet en or peuvent encore arriver. Il faut aussi que j’apprenne à me détendre sur ce sujet, à laisser l’écriture venir à moi et non aller systématiquement vers l’écriture.

Onirik : Vous n’avez publié que des romans policiers, ou noir, est-ce votre genre de prédilection (on l’imagine) ? Avez-vous envie de faire des incursions dans d’autres genres ? Si oui (ou non) pourquoi et si oui lesquels ?

Michaël Mention : J’écris du roman noir car c’est le genre dans lequel je me sens le plus libre. Je peux y exprimer toutes mes envies, qu’elles touchent au suspense, au social, au sensoriel… plus j’aime la vie, plus je m’épanouis dans mon rôle de père, plus ma plume se noircit et cela crée un équilibre que j’ai longtemps cherché dans mon existence. Mais oui, j’ai constamment de nouvelles envies d’écriture, des domaines que j’aimerais bien explorer comme le western. Ça, j’y pense de plus en plus.

Onirik : Pourquoi avoir choisi le tueur en série le Fils de Sam plutôt qu’un autre pour retracer sa carrière (Ring éditions) ? Qu’est-ce qui vous a fasciné chez lui ? Est-ce une expérience que pourriez retenter avec un autre serial killer ?

Michaël Mention : Je suis content que vous évoquiez Fils de Sam car il est très représentatif de ma démarche. Voilà un sujet où je me suis bien fait plaisir en mixant Histoire, rock, politique, satanisme, humour, avec également beaucoup d’éléments personnels.

La thématique du serial killer est exigeante, car on peut vite basculer dans la surenchère. J’aurais pu écrire sur les pires tueurs comme Gerard Schaefer, mais j’en ai marre des « tueurs super intelligents au passé ultra traumatique et qui cumulent les perversions ».

C’est pour ça que j’ai écrit sur David Berkowitz (autoproclamé « Fils de Sam »), car il n’avait rien de tout ça. Berkowitz était un mec lambda, un peu paumé, un peu con, qui a basculé dans le crime sans trop savoir pourquoi, dans un moment charnière dans l’histoire des Etats-Unis. Tout comme Lacenaire, Berkowitz incarne son époque et ça m’intéressait de chercher l’homme derrière « l’icône du crime », la solitude derrière la gloire.

Enfin, j’avais à cœur d’accorder une vraie place à ses victimes, de les réhabiliter en tant qu’individus (avec leurs origines, leurs parcours, leurs cultures) pour qu’elles ne soient pas réduites à l’état de proies.

Onirik : Quels sont vos prochains projets ?

Michaël Mention : J’écris actuellement sur les années 60-70, qui me passionnent par leur richesse culturelle, leurs avancées sociales et leurs excès, qu’ils soient militaires ou cocaïneux.

Après avoir survolé cette période dans Fils de Sam, je la traite dans son quotidien sous l’angle social et politique : ça manifeste, ça canarde, ça sniffe, ça danse et j’ai hâte de partager ce roman avec les lecteurs.

Onirik : Combien de temps vous faut-il pour écrire un roman ? Comment vous vient l’idée d’un roman ? Qui sont vos auteurs préférés, en avez-vous un que vous admirez plus que les autres ?

Michaël Mention : Ah, le temps… vaste sujet. Comme tout le monde, je fais au mieux. Jeudi Noir est l’un des romans qui a nécessité le plus de documentation et de réécriture, mais je l’ai écrit en quatre mois car j’étais au chômage et que j’avais du temps.

Quatre mois pour un bouquin, ça peut paraître court, mais si tu fais du 8h-20h tous les jours, t’avances vite. Depuis que j’ai retrouvé un job et que j’ai une gamine, j’ai réorganisé mon rythme. J’écris pendant mon heure de pause, je réécris le soir au retour du boulot et je peaufine, sauf quand je suis trop claqué… ce qui arrive un peu trop en ce moment, mais je suis en train de me reprendre. Il le faut, sinon je déprime.

Sur ce, merci pour cette interview, à bientôt !

Onirik : Un grand merci !

Crédit photo : ©Hannah Assouline – Editions 10/18