Apocalypse manga – Avis +/-

Présentation de l’éditeur

La bombe d’Hiroshima, premier engin atomique lancé sur une population civile, n’a pas seulement marqué à jamais la psyché japonaise : elle a aussi reconfiguré la flèche du temps pour l’ensemble de notre monde. C’est à l’exploration de cette ombre historique, projetée sur le plus commercial des médiums artistiques, le manga, qu’invite Pierre Pigot : comment des mangakas comme Miyazaki, Matsumoto ou Nakazawa ont forgé une esthétique capable de donner une apparence aux lourds fantômes de l’histoire ; comment, du Voyage de Ryû à L’École emportée, et de Princesse Mononoke à Albator, les mangas et dessins-animés ont exploré ces secrets de l’histoire humaine et ces hantises de la catastrophe, qui peuplent les coulisses de l’art depuis soixante ans ; comment, enfin, un manga aussi populaire aujourd’hui que One Piece dissimule au cœur de ses milliers de pages une idée secrète capable de nous donner les clés pour lutter contre cette prégnance de l’apocalypse. Apocalypse manga ou le manga enfin sauvé de sa singularité orientale, et rendu aux mains de ses lecteurs.

Avis de Tan

L’apocalypse, c’est sans doute l’image que la bombe atomique a donnée au reste du monde l’espace d’un court instant quand elle est tombée sur Hiroshima. Ou plutôt ce sont les ruines d’Hiroshima qui ont laissé imaginer l’apocalypse qui l’avait frappé. Horreur accentuée par le fait que cette apocalypse avait été provoquée sciemment par l’homme.

L’idée d’aborder le manga et l’animation japonaise sous l’angle des traces laissées par le trauma nucléaire semblait dès lors tout à fait justifiée. Pierre Pigot se permet néanmoins d’aller au-delà d’une simple analyse de la transposition de la catastrophe dans des œuvres plus souvent assimilées au champ du pur divertissement.

Il s’en sert non seulement comme événement initiateur à sa démarche, mais aussi comme tremplin pour se projeter dans une vision relativement pessimiste de notre futur et entamer ainsi une réflexion sur l’avenir de l’homme dont le manga et l’anime peuvent et doivent selon lui être des supports.

Le plan suivi, qui ne saute pas vraiment aux yeux de prime abord, s’intéresse donc successivement à la transmission du souvenir de l’apocalypse à travers le manga Gen d’Hiroshima de Keiji Nakazawa pour ensuite s’attarder sur deux approches très différentes du monde post-apocalyptique avec Akira de Katsuhiro Otomo d’une part et Le Voyage de Ryû et L’École emportée, respectivement de Shotaro Ishinomori et Kazuo Umezu, d’autre part.

Les œuvres suivantes qu’il s’agisse notamment de Princesse Mononoke d’Hayao Miyazaiki, de Captain Harlock de Leiji Matsumoto ou encore de One Piece d’Eiichirō Oda serviront principalement à dégager des comportements humains vecteurs d’espoir et de renouveau pour l’humanité.

L’auteur replace ainsi l’homme au cœur de l’Histoire. L’apocalypse qu’il met en avant est celle dont découle une prise de conscience du caractère autodestructeur de l’homme. C’est lui qui sera responsable de sa propre chute : l’apocalypse à venir arrivera à cause de lui, et, s’il ne peut l’éviter, charge à lui-seul de trouver les moyens d’y survivre en préservant au passage des valeurs essentielles telles que la justice, l’optimisme, l’entraide, et ce sens de l’aventure qui construit et révèle l’homme au travers des épreuves qu’il doit affronter.

Il arrive même à instiller quelques résurgences de Deep Ecology qui transpirent de la filmographie d’Hayao Miyazaki, un exemple rare d’artiste impliqué et responsable.

La critique, parfois très sévère, s’élargit donc à la société actuelle, à la culture de masse et à la place qu’y occupent les marchands de rêves. Il leur est d’ailleurs clairement reproché de ne pas jouer leur rôle dans l’édification de ladite masse.

Pourtant, à trop vouloir débusquer le réalisme et dégager des intentions qui ne se trouvent pas forcément dans les œuvres choisies comme supports d’étude, l’analyse atteint vite certaines limites. L’auteur reconnaît alors lui-même à demi-mot qu’il en attendait sans doute trop, notamment en ce qui concerne le monument d’Otomo : Akira, qui ne ressort pas indemne du décorticage qu’il subit.

Autre petit reproche : par moments, l’écriture abuse un peu trop du lyrisme et de l’emphase au point d’arriver à noyer le fond sous la forme. Paradoxalement, l’auteur n’a pas son pareil pour décrire avec beaucoup de justesse certaines scènes clés citées à titre d’exemple. L’essai réussit d’ailleurs à donner envie de lire ou relire ces mangas, voir ou revoir ces animes, et de faire l’expérience par soi-même des histoires qui y sont contées.

La touche supplémentaire apportée à l’ouvrage par l’historien de l’art qu’est avant tout l’auteur, c’est cette mise en parallèle régulière des œuvres japonaises avec celles de penseurs et artistes du monde entier comme Edmund Burke et Picasso. Il faut parfois s’accrocher pour suivre le fil des pensées de l’auteur et une bonne connaissance des œuvres citées est indéniablement un plus. Une fois la logique d’enchaînement des idées développées assimilée, la lecture se révèle bien plus fluide. Malheureusement, cette logique tarde sans doute un peu trop s’imposer, et la première partie de l’essai en pâtit.

L’ouvrage a néanmoins le grand mérite de montrer que le manga et l’anime ne sont pas que du divertissements -fait que les amateurs du genre savaient déjà depuis longtemps, et qu’ils peuvent servir de supports à des analyses pointues comme celle-ci.

Fiche Technique

Pages : 256
Éditeur : PUF
Collection : Perspectives critiques
Sortie : 2 octobre 2013
Prix : 22 €