Interview de Tara d’Hélium

J’étais assis devant mon bureau, lequel était encombré de livres et de revues concernant la saga de Barsoom relatée par Edgar Rice Burroughs lorsque, soudain, je ne fus plus seul. Quelqu’un se tenait à côté de moi, là où auparavant il n’y avait que de l’air.

C’était une jeune femme aux cheveux noirs et à la peau d’un rouge cuivre. Elle était vêtue d’un harnachement de cuir incrusté d’or et de pierres précieuses qui ne la dissimulait guère (laissons là ce sujet !).

Il n’y avait absolument aucune explication logique à la présence soudaine de cette charmante créature, aussi ne me restait-il qu’à interroger cette visiteuse inattendue qui m’observait de ses yeux gris avec un regard exprimant à la fois l’assurance, l’impatience et une certaine perplexité.

– Puis-je savoir qui…

– Vous avez devant vous Tara d’Hélium. Je suis la fille de John Carter de Virginie, prince d’Hélium et Seigneur de la Guerre de Barsoom. Ma mère est la princesse d’Hélium Déjah Thoris. Je suis la petite-fille de Mors Kajak, jed du Bas-Hélium et l’arrière-petite-fille de Tardos Mors, le jeddak d’Hélium. Je suis la descendante du constructeur des premiers canaux de Barsoom !

– Mais comment êtes-vous parvenue à franchir le vide qui sépare Mars de la Terre ?

– Il semble que j’ai hérité de certains dons de mon père, en particulier la faculté de transporter mon corps astral de Barsoom sur Jasoom. De plus j’ai bénéficié des enseignements de Kar Komak[[cf. Thuvia, vierge de Mars]], l’ami de mon frère Carthoris.

– Je vois, mais que me vaut l’honneur de votre visite ?

– Vous avez laissé trainer sur votre bureau différents ouvrages traitants de Barsoom et un jour qu’Ulysse Paxton[[vétéran de la première guerre mondiale et second terrien à être transporté sur Mars, cf. Le conspirateur de Mars]] voulait observer ce qu’il était advenu de ce pays pour lequel il s’était battu durant la guerre des tranchées, nous avons braqué un de nos télescopes – capables de distinguer un brin d’herbe sur Jasoom – sur cette région de votre planète. C’est ainsi que nous avons observé à travers la vitre votre intérêt pour notre saga familiale. Nous avons estimé que nous pourrions donner notre point de vue.

– Parfait. J’ai essayé en vain de contacter Jason Gridley[[un ami d’E. R. Burroughs. Son invention, l’onde Grifley a permis de communiquer avec des connaissances de Burroughs se trouvant dans des mondes inconnus (Pellucidar et Vénus)]]. Mais puisque vous êtes là, nous pouvons commencer..

– Très bien, mais d’abord… commença-t-elle en jetant un regard désapprobateur vers la radio que, surpris par la soudaine apparition, j’avais laissée allumée[[Il faut préciser, que malheureusement pour la réputation artistique de notre planète, la radio diffusait à cet instant une chanson techno datant des années 90 et interprétée par un dénommé Boris]].

Je coupais aussitôt l’appareil, ce qui apporta un certain soulagement sur son visage. Elle m’expliqua aussitôt la cause de son attitude.

– Les Barsoomiens ont horreur des sons discordants et des vociférations. Les seuls bruits qu’ils aiment sont ceux des évolutions martiales : le heurt des armes entrechoquées, ou encore la collision entre deux puissants vaisseaux aériens de combat. Il n’y a pas de plus belle musique pour nous que celle-là !

– Il est exact que vous appartenez à un peuple de guerriers. Mais peut-être pourriez-vous m’expliquer les raisons qui poussent à rejeter la paix ?

– Absolument pas !, dit-elle en tapant du pied sur le sol. Nous aimons tous la paix : la paix dans l’honneur. Mais nos voisins ne nous permettent pas de l’avoir, si bien que nous sommes obligés de nous battre. Et pour bien se battre, les hommes doivent aimer cela. Et pour aimer cela, ils doivent savoir se battre, car personne n’aime faire ce qu’il ne fait pas bien, ou ce qu’un autre homme fait mieux que lui. Si bien qu’il y aura toujours des guerres.

– Si je comprends bien, vous ne faites la guerre que par nécessité. Mais en examinant les faits que votre père a relatés à Edgar Rice Burroughs, j’ai observé que les conflits qu’a connus votre planète avaient souvent pour enjeu certaines personnes, votre mère le plus souvent.

– Elle ne fut pas la seule personne qui fut cause de guerre ! Certes, ma mère en sa faveur arma Hélium tout entier. Ses yeux pour leur querelle virent périr vingt jeds qu’ils ne connaissaient pas. Ma disparition à moi fit partir toute une flotte pour châtier mes ravisseurs !

– En effet je me souviens que Burroughs a évoqué cette affaire. Mais ce que je n’ai pas compris, c’est pourquoi vous avez pris le risque de vous placer dans une situation si critique.

Tara d’Hélium se contenta de hausser les épaules et de répondre : « Parce que ! »

– Bien, pour en revenir à votre visite pourriez-vous m’indiquer….

– Je suis venu célébrer le célèbre auteur de Jasoom qui a très bien saisi les exploits de certains membres de ma famille, sans oublier celle de Ganal de Gathol, Ulysse Paxton, Tan Davron et Daj. Cependant mon devoir nécessite de mentionner l’erreur grossière de Burroughs concernant les données astronomiques !

D’ailleurs sur Jasoom il existait autrefois un écrivain de science-fiction nommé Arthur C. Clarke. Il a précisé que notre satellite Thuria que vous appelez Phobos est d’une taille apparente bien inférieure à celle de votre Lune. De plus il s’agit d’un des corps les plus sombres du système solaire.

Or le biographe de mon père a décrit avec emphase le spectacle de cette lune éclairant les nuits de Barsoom. J’espère que si un « spectacle filmé » illustrant les exploits de mon père est réalisé il ne répétera pas la même erreur.

– Eh bien, en fait…