J’ai déserté le pays de l’enfance – Avis +/-

Je pointais du doigt la corne de l’Afrique et je disais « maison ». Je suis un extraterrestre, je suis un petit prince qui vient d’une planète volcanique et brûlante. Je me suis perdue dans Paris. Je me fous bien de connaître l’emplacement des magasins de fringues puisque je sais que la piste pour Tadjoura débute sous telle étoile, à gauche de tel acacia rabougri.

Avocate à Paris et spécialiste du droit du travail, une jeune femme se souvient avec nostalgie de son enfance à Djibouti, là où retentissait l’appel du muezzin et où elle sortait de l’eau juste avant l’arrivée des requins. Est-ce la morosité de son existence actuelle qui la pousse à annoncer en pleine salle d’audience qu’elle va mourir et ceci juste avant de s’effondrer ?

Sortie de son évanouissement elle apprend de la bouche d’un psychiatre qu’elle n’est pas morte. Puis survient sa mère qui a établi son propre diagnostic « ELLE TRAVAILLE TROP ! ». L’analyse de son état implique un séjour au CAP (Centre d’Accueil Permanent) où elle pourra être étudiée et où elle pourra se reposer « ELLE TRAVAILLE TROP ! » (oui, elle sait).

Ce séjour lui permet de rencontrer des personnages originaux parmi les cassés de la vie. Le traitement est léger. Elle ne doit pas ingurgiter de médicaments et a même droit aux visites : « TU TRAVAILLES TROP ! ». Tiens ? Bonjour, maman…

Il est vrai qu’entre ses activités professionnelles pour des patrons exploiteurs et sa défense bénévole des causes désespérées, elle a rarement le temps de se détendre. Au moins ici, elle va pouvoir dormir, dormir… « TU T’ES BIEN REPOSEE ? ! ». Hein ? Quoi ? Bonjour, maman…

Il convient de préciser que les institutions psychiatriques ne sont pas les seules à accueillir des névrosés et psychotiques (que ce soit en tant que patient ou visiteuse).

La lecture de ce roman donne l’impression que la France est une véritable maison de fous. On y découvre des personnes chargées de l’accueil aux réfugiés qui décrètent que le viol et les massacres à la machette étant une institution africaine, cela ne constitue pas un motif pour procurer aux rescapés le statut de réfugié.

Outre l’administration, n’oublions pas la sphère familiale où une mère attentionnée fournit la carte de visite de sa fille à toutes les personnes qu’elle rencontre (et en tenant à préciser que cette avocate ne se fait pas payer !). Ceci lui permet ensuite de reprocher à sa fille qu’elle travaille trop.

L’héroïne n’est pas en reste puisqu’elle a décidé de voter pour la Ligue Communiste révolutionnaire pour contrarier son père socialiste (s’il s’agit d’un phénomène collectif, cela expliquerait le succès d’Olivier Besancenot).

Il existe pourtant un pays pur. Hélas, la corne de l’Afrique s’est modernisée. L’ombre de Corto Maltese et de Raspoutine ne se manifeste plus dans les régions éthiopiennes. Arthur Rimbaud, Henri de Monfreid et Hugo Pratt sont morts.

Les Éthiopiens regardent des DVD piratés de films qui ne sont pas encore sortis en France. Et on ne trouve plus de guerrier afar qui affirme tuer pour son bon plaisir et absolument pas pour sauver votre vie[[Dans Bistouri Blues (édition Du Masque, prix du roman d’aventures 2007) écrit avec Philippe Kleinmann l’un des enquêteurs se nomme Cush… au fait, qui était son grand-père ? ]] Le nom de l’héroïne n’est pas précisé. Mais à un moment elle indique que son prénom ressemble à celui d’une femme politique socialiste (et royale ?)

Sigolène Vinson a laissé de côté sa robe d’avocate pour se lancer dans l’écriture[[Boite postale ou lettre d’un moineau mouillé à Saint François d’Assise et Dromadaire sur la route du héron (édition Le Manuscrit)]]. Outre sa participation au domaine de la science-fiction[[Double hélice avec Philippe Kleinmann (édition Du Masque)]] elle nous démontre ici un réel talent pour décrire la nostalgie de l’enfance et de l’exotisme qui contraste avec la grisaille du quotidien.

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 198
Editeur : Plon
Sortie : août 2011
Prix : 18 €