Interview de Alan Simon

Quand des livres paraissent sur les mythes « celtiques » ou « brittoniques« , il s’agit principalement de romans modernes s’appuyant sur ces thèmes. Quels sont les textes fondateurs de ces mythes ou est-ce la longue tradition orale qui les a perpétués jusqu’à nous ?

Difficile de répondre très précisément à cette question tant les sources sont multiples et se confondent avec le temps. Mais les conteurs ont très largement contribué à la naissance de ces légendes qui jadis trouvaient un écho fantastique dans les châteaux, dans les villes et dans les campagnes où la veillée était alors le trait d’union entre les hommes.

Geoffroy de Monmouth, un moine, serait l’auteur du plus ancien de ces manuscrits puis Chrétien de Troyes et Sir Thomas Malory écrivirent les best sellers du genre. Quelques manuscrits font référence au mythe arthurien avant le Xe mais il faut attendre le XIIe siècle pour lire des récits complets…

Beaucoup plus tard, au XXe siècle, l’auteur JRR Tolkien s’est fortement inspiré de la mythologie celtique et scandinave pour son fameux Seigneur des anneaux. Le cinéma fit de même, George Lucas et sa transposition Star Wars et bien sûr Excalibur de John Boorman qui lui trouve sa source directement dans le récit de Malory La mort d’Arthur.

Les mythes gréco-romains, sumériens et égyptiens ont été consignés en
grand nombre par écrit. A contrario, la mythologie nordique n’a donné que
quelques textes comme les eddas. La culture de l’écrit ne semble pas généralisée dans les civilisations du nord de l’Europe avant le moyen-âge. Quelles en sont les raisons ? Est-ce parce que l’écriture était réservée à une élite religieuse seule instruite ?

Oui, probablement. Seuls les moines et quelques seigneurs et « écrivains publiques » savaient lire et écrire. De part ce fait les légendes, les gestes héroïques, les quêtes et les contes prenaient en ce temps une dimension incroyable. Ainsi certains seigneurs et certains rois n’hésitèrent pas à se légitimer descendant du roi Arthur tant la popularité de ce dernier était grande… (Henri II de Plantagenêt est le plus connu de ces usurpateurs)

Les veillées où les récits glorieux se contaient étaient fort populaires, à tel point que les trouvères mimaient par le geste (la chanson de geste) les principaux épisodes de ces hauts faits imaginaires. N’oublions pas que la population, qui n’atteignait pas les 10 millions d’individus en France, était alors ravagée par une énième épidémie de peste noire et par bien d’autres fléaux encore dont les guerres fratricides. Les hommes comme les femmes ne vivaient guère plus de 35 ans. Les concepts de « l’héroïque et du merveilleux » où l’on magnifiaient l’existence étaient donc une « échappatoire » fort appréciée en ces temps meurtris et difficiles. La tradition orale reste toujours aujourd’hui, malgré les milliers de livres sur le genre, le fer de lance des contes et des légendes.

Comment en tant qu’écrivain, travaillez vous pour collecter les informations à la source de votre d’inspiration ?

Si les principales références que je citais ci-dessus ne m’ont pas échappées, j’ai cependant préféré voyager plutôt que de m’enfermer dans une bibliothèque. Les éléments m’inspirent. Le vent, les arbres, la rivière, le lac, les oiseaux, une fleur, un insecte, bref tout ce qui est en mouvement, tout ce qui vit m’inspire. Il y a alors une sorte de « transmission » magique.
Lorsque je croise un vieux chêne millénaire, je le contemple, je lui parle et je sens qu’il fut un témoin fabuleux. Mon imagination fait le reste et je rentre alors la tête et le coeur emplis de rêves et de silences merveilleux qui par la suite deviennent des chansons, un roman.

Je préfère mille fois cette démarche à celle d’un vieux rat de bibliothèque qui finirait malgré lui à devenir un simple plagiaire. Notre conscient et notre inconscient sont déjà influencés par toutes ces sources populaires alors tant qu’à faire laissons nous une chance de réinventer le mythe et d’ajouter ainsi de nouvelles pierres à l’édifice du merveilleux.

La plupart des mythes gréco-romains trouvent en partie leur source dans des faits politiques transformés par la suite. En est-il de même avec les légendes arthuriennes et de Myrddin (Merlin) ? Ces personnages ont-ils existé ?

Nous n’avons aucune certitude « historique » ; cependant un certain Artus (ce qui signifie : Ours, la puissance, le protecteur) aurait jadis été le premier chef à unifier les clans qui se querellaient sur l’île d’Angleterre appelée alors la Bretagne (pour devenir plus tard la Grande-Bretagne tandis que nous devenions de l’autre coté de la mer d’iroise, la « petite » Bretagne).
Bref ce chef de clan, Artus, aurait eu pour conseiller un homme étrange dénommé « Merlinius Ambrosius ». Cet homme, ce sage, aurait eu lors une très grande influence sur le roi Artus et tous les chefs de clans. Conseiller, sage, charlatan ou visionnaire… Il n’y a aucun document historique si ce n’est le récit romanesque de Geoffroy de Monmouth dans son livre « History of the king of Britain »…

Dans tous les cas, chaque légende repose sur une part de « vérité ». Les mythes prennent toujours leurs racines dans un fait historique et c’est le rôle du conteur de les magnifier. Regardez Marco Polo et son fameux Livre des merveilles. C’est une histoire incroyable. Marco sous l’égide de son père et de son oncle fut le pionnier de la route de la soie. Ensemble, ils devinrent les ambassadeurs de Kubilai Khan, le petit fils de Genghis Khan. Ces faits sont authentiques mais lorsque vos lisez le récit vous découvrirez alors l’existence de créatures fantastiques qui n’ont existé que dans l’imagination de l’écrivain (un moine français franciscain !) qui retranscrivit les aventures de Marco Polo alors que ce dernier les lui dictait depuis sa prison à Gênes.

Il est probable que ce processus fut identique du temps du grand Artus. Et puis un « auteur » de ce temps se devait de magnifier les récits, être le « biographe » de son maître n’était pas sans danger. Souvent le seigneur se gargarisait en public à l’écoute de ses supposées « aventures épiques » et si le récit n’était pas à la convenance du seigneur, le pauvre auteur risquait fort de voir sa tête rouler sur le sol. Finalement cela n’a pas trop changé aujourd’hui (suivez mon regard…)

L’autre principale raison d’être des textes anciens étaient de donner une explication à l’origine du monde, la création, etc. Ainsi on voit une différence fondamentale entre Odin et Zeus. Le premier préfère s’arracher un oeil pour gagner de la connaissance tout en sachant son destin inéluctable avec l’avènement du Ragnarok, pendant que le second passe son temps à trouver de nouvelles conquêtes. Que nous révèlent les textes celtiques sur le mode de pensées de ces peuples ? Étaient-ils aussi fatalistes que les peuples nordiques ?

Tout d’abord le monde celtique demeura très longtemps un monde païen. L’influence chrétienne (et l’apparition de la quête du Graal dans la littérature) ne surgit qu’au coeur du moyen-âge. Les Celtes dont l’origine reste floue (indo-européenne probablement !) étaient sans nul doute composés de peuples de grands voyageurs, de clans en quête de nouvelles terres verdoyantes, régis par les principes de vie profondément liés aux éléments naturels. La terre était donc l’alliée de ces migrateurs extraordinaires dont la culture disparue peu à peu sous l’influence chrétienne. Le dernier bastion de cette culture fut l’Irlande… Je ne crois pas que ces hommes étaient « fatalistes » comme nous le sommes, au contraire, ils devaient être très enjoués et fort bien organisés comme le prouve les divers découvertes faites par les archéologues.

Le Dagda (le dieu bon), Dana (la déesse mère), Lugh (le dieu du soleil), etc. transposent parfaitement cet esprit de joie. La mort s’inscrivait alors en une renaissance merveilleuse, tel un cycle infini. Les mortels allaient redevenir élément : le vent, l’eau, l’arbre. On retrouve aussi beaucoup de points communs entre l’antique civilisation grecque et son alter ego celtique.

Tant Camelot que la forêt de Brocéliande sont tantôt situés en Bretagne tantôt de l’autre côté de la Manche. Alors, légende bretonne ou galloise ?

Mais la légende n’a pas une racine mais des milliers. Elle appartient à tout ceux qui la font vivre et grandir, c’est cela la force du merveilleux. Les querelles « historiques » sont donc vaines et sans intérêt. La Bretagne, L’Angleterre, le Pays de Galles, L’Ecosse ou L’Irlande ? les Celtes sont allés bien au-delà de ces terres chargées de symboles et de souvenirs. L’héritage de Merlin voyage depuis des siècles au-delà des mers. Brocéliande pour les uns, Stonehenge pour les autres, Tintagel pour certains… Qu’importe ! La part du rêve n’a pas de frontière…

Vous êtes engagés dans la défense de l’environnement, ne trouvez-vous pas que c’est devenu une nouvelle religion avec les mêmes schémas que la plupart des mythes : le bien contre le mal, un ennemi indicible (le réchauffement climatique), une excommunication de ceux qui critiquent ou refusent d’entrer dans ce jeu, un mode alimentaire particulier (bio) pour reconnaître les adeptes, etc.

Il s’agit plutôt d’une urgence. Notre terre se porte mal car nous ignorons son existence tout simplement. Notre attitude reste profondément hypocrite ; nous disposons aujourd’hui de moyens d’informations fabuleux et nous pouvons encore modifier ce mauvais départ, cette mauvaise étude. Plus qu’un combat entre le « bien ou le mal’ (« le bien ou le mal on ne voit jamais l’un sans l’autre » dixit Sir Thomas Malory) c’est un combat contre nous même. Contre notre soif de pouvoir. Contre notre propension à l’oubli. L’oubli de nos origines. L’oubli de notre histoire. Nous serons bientôt dix milliards et ces dix milliards d’individus se doivent être des consommateurs avertis. Pour ma part je crois avant tout en l’éducation, en l’information.

J’ai créé il y a dix ans l’association Gaia (la terre nourricière dans l’antiquité grecque) afin de développer un programme scolaire ludique et pédagogique apportant aux enfants des éléments clefs de réflexions quant à la relation de l’homme avec sa planète. Je ferais tout ce qu’il me sera possible pour pousser ce programme. Il me semble naturel que mon « métier » d’auteur soit au service de cette cause des plus urgentes.

Chacun à sa manière, à son rythme se doit aujourd’hui d’influencer ce processus de changement et de comportement. C’est un long chemin mais contrairement à une idée reçue, il n’est pas trop tard. Notre planète est bien plus vaillante que cela. Les Celtes d’un autre temps vous le diraient avec force et conviction.

A nous d’écrire un XXIe siècle qui laisse un passé aussi glorieux que la civilisation celtique qui, aujourd’hui, nous fait tant rêver…