Vingt intellectuels sous l’Occupation : Des résistants aux collabos – Avis +/-


Ce que nous nous efforcerons de reconstituer, au travers de récits et de propos, souvent connus, mais tous éclairants, ce sont les tempéraments, les motivations et les convictions de ces intellectuels confrontés au plus grand désastre de notre histoire.

Ils ont été économiste, historiens, journalistes, juristes, écrivains, cardinaux, ethnologues et philosophes. Certains ont survécu à la guerre et ont poursuivi leurs activités, devenant parfois ministre, et même président de la République.

Suite à l’occupation de la France, ils sont entrés dans la Résistance, ou bien ont collaboré avec l’ennemi. D’autres ont eu un comportement plus ambigu ou attentiste.

Laurent Wetzel s’est intéressé au parcours de vingt intellectuels. On remarquera que 13 sur 20 sont normaliens (tout comme Laurent Wetzel).

Le livre est divisé en trois parties :

Première partie : Figures d’intellectuels résistants

– Marc Bloch (1886-1944)
« Je meurs, comme j’ai vécu en bon Français » (Celui qui en 1940 était le plus vieux capitaine de l’armée française analysa le désastre de 1940 dans son livre L’étrange défaite)

– Pierre Brossolette (1903-1944)
« Un modèle d’esprit de devoir et de sacrifice » (Le héros de la résistance intérieure française)

– René Cassin (1887-1976)
« La cheville ouvrière de la France libre » (le conseiller juridique et diplomatique du général De Gaulle)

– Jean Prévost, alias Capitaine Goderville (1901-1944)
« Pétri de talent et fou de courage » (le combattant lettré du Vercors)

– Monseigneur Jules Saliège (1870-1956)
« La résistance spirituelle »

– Jacques Soustelle (1912-1990)
« Nous n’avons jamais appartenu qu’à la France » (chargé de la propagande, puis président du Comité français de la libération nationale et chef des services spéciaux français).

– Germaine Tillion (1907-2008)
« L’armistice : j’ai dû sortir de la pièce pour vomir. » (la résistante rescapée de Ravensbrück)

– Simone Weil (1909-1943)
« Il était juste et beau, en juin 1940, de proclamer le maintien de la France dans la guerre. » (rédactrice de la France Libre)

Deuxième partie : Figures d’intellectuels collabos

– Le cardinal Alfred Baudrillat (1859-1942)
« Un émule de Cauchon » (Pierre Cauchon a été l’ordonnateur du procès de Jeanne d’Arc à Rouen).

– Jacques Benoist-Méchin (1901-1983)
« Dévoré par une fébrilité démoniaque »

– Robert Brasillach (1909-1945)
« De collaborationniste de raison, je suis devenu collaborationniste de cœur. »

– Marcel Déat (1894-1955)
« Un ami de la Waffen SS »

– Pierre Drieu la Rochelle (1893-1945)
« Hitler, mon idéal politique »

– Jean-Paul Hütter (1908-1944)
« Un normalien dans la SA, tué sous l’uniforme allemand »

– Claude Jamet (1910-1993)
« J’espère l’avenir sous le visage nazi. »

– Georges Soulès, alias Raymond Abllio (1907-1986)
« Fanatiquement collaborationniste »

Troisième partie : Figures d’intellectuels ambivalents

– Raymond Aron (1905-1983)
« La France libre ne fut jamais une revue gaulliste »

– Jean-Paul Sartre (1905-1980)
« Jamais plus libre que sous l’occupation allemande »

– Georges Pompidou (1911-1974)
« Un résistant en puissance »

– François Mitterrand (1916-1996)
« Morland le Franciscain » (Morland : son pseudonyme dans la résistance et le Franciscain pour… la francisque la plus haute décoration de Vichy)

Grace à ces portraits, on constate de nombreux changements d’opinion. Nombre d’intellectuels furent des pacifistes avant la guerre avant de changer radicalement d’idée en s’engageant dans l’un ou l’autre camp. Ainsi, la philosophe Simone Weil était une ultrapacifiste qui avait approuvé les accords de Munich. Suite au dépeçage de la Tchécoslovaquie, elle changea d’avis et se trouvant à Londres en 1942, elle demanda à être parachutée en France pour effectuer des missions de sabotage (ceci lui fut refusé, car elle était malade et myope comme une taupe).

Cet ouvrage met en évidence les contradictions des intellectuels. Ainsi Pierre Drieu la Rochelle, bien qu’ayant épousé une Juive, a développé un antisémitisme obsessionnel. Ensuite, déçu par l’hitlérisme, il s’est converti au stalinisme, au stalinisme, mais pas au communisme, car Drieu la Rochelle a toujours été hostile aux communistes (sauf quand il a failli le devenir lui-même en 1934).

De même dans le camp de la France Libre (mais placé par l’auteur dans la catégorie « intellectuels ambivalents ») mentionnons Raymond Aron, directeur de la revue La France libre. Il a approuvé l’armistice de 1940 et ne considérait pas les collaborateurs comme des traîtres. De plus, il demanda à Daniel Cordier, le secrétaire de Jean Moulin, de transmettre aux résistants la consigne « à la Libération de s’opposer par tous les moyens aux ambitions du Général de Gaulle ».

Enfin, signalons que Jean-Paul Sartre, ne remarqua rien de choquant lorsqu’il séjourna à Berlin en 1933 et 1934. Par la suite, il considéra le général De Gaulle comme un fasciste. Durant l’occupation, ses pièces de théâtre furent jouées après leur approbation par la censure allemande. Ceci ne l’empêcha pas, à la Libération de participer à l’établissement de la Liste noire de 44 (les auteurs dont les livres et articles devaient disparaître des librairies).

La présentation de personnalités originales éclaire quelque peu la nature de l’Occupation, qui se révèle beaucoup plus complexe qu’en apparence. On peut regretter que le faible nombre de pages laissent dans l’ombre certains aspects. Ainsi, si est évoquée la défiance du général De Gaulle envers René Cassin et Jacques Soustelle, les causes ne sont pas précisées (il s’agissait de sa trop grande anglophilie pour Cassin et un accord avec l’OAS pour Soustelle).

Fiche technique

Format : broché
Pages : 238
Auteur : Laurent Wetzel
Éditeur : Editions du Rocher
Sortie : 28 octobre 2020
Prix : 18 €