C’est la faute à Jane Austen – Avis +

Présentation de l’éditeur

Tunisienne, Kaouthar a fait plus que ressentir, depuis l’enfance, l’écrasante domination des hommes. Elle a refusé d’être femme, de se conformer aux normes édictées par ceux qui voulaient la maintenir en servitude et la contraindre au silence.

Cible de la lubricité masculine et des interdits imposés, Kaouthar a vu grandir en elle le désir de s’émanciper, de s’autodéterminer, de se libérer. Elle a même cru que ce projet pourrait se réaliser au coeur d’une relation amoureuse, d’un mariage qui serait bâti sur l’égalité, le respect mutuel des attentes de l’autre.

Elle avait oublié que les traditions et les rôles impartis sont aussi soumis à des forces d’inertie qui peuvent venir à bout des unions dans lesquelles on voyait des promesses d’épanouissement. Comme le disait Simone de Beauvoir, la femme est un « devenir ».

Reste à savoir si l’on souhaite rentrer dans les moules établis par les sociétés masculines, ou si l’on veut tracer sa propre voie et sortir des codes sclérosants.

Kaouthar Messaoudi a opté pour le second choix. Avec tous les espoirs et les risques de désillusion que cela implique. Les déceptions en cascade la plongent dans les affres de la déprime. Un état intérieur fragile, rattrapé par les traumatismes du passé, contre lequel se dresse justement l’écriture autobiographique.

Un paysage intime sinistré qu’elle veut panser et penser à travers un texte qui convoque à lui, dans un constant souci d’analyse, les grandes figures féminines et féministes du passé.

Kaouthar Messaoudi est docteur en histoire des sciences. Elle milite pour les droits de la femme et la protection des enfants et oeuvre activement au sein de plusieurs associations pour la paix dans le monde. A travers son autobiographie, elle lance un cri de détresse pour montrer la répercussion de l’enfance sur l’équilibre de la personnalité de l’adulte.

Avis de Claire

Tout commence… par le titre. Intriguant, dérangeant, énigmatique… Quiconque connait l’oeuvre de cette grande romancière britannique, pour beaucoup la plus grande, ne peut rester insensible à ce titre provocateur.

Comme il est difficile parfois de rendre hommage à une oeuvre littéraire, à un auteur, et plus encore à un échappatoire de l’enfer du quotidien qui nous a ému autrement que par un cri du coeur… Et c’est précisément ce qu’entreprend Kaouthar Messaoudi dans ces quelques pages aux résonances autobiographiques.

L’universitaire tunisienne nous offre son expérience de femme arabe, mais surtout de désenchantée de l’amour. La nature même de son combat trouve ses sources dans la littérature, plus particulièrement dans les oeuvres de Jane Austen qu’elle vénère par dessus tout.

Son livre commence d’ailleurs par une très juste « Lettre à Jane » dans laquelle elle s’adresse à la romancière sur le ton de la confidence, comme on le ferait avec une vieille amie.

Admirative, elle fait de Jane son modèle et lui crie son affection : «  ton oeuvre est aussi vivace, voire plus, que le jour où tu l’as couchée sur le papier ; car, à chaque siècle, et à chaque moment, il y a un monsieur Darcy qui sommeille dans chaque homme, et qui ne demande qu’à être réveillé, et il y a une Marianne, une Elizabeth et une Eleonore dans chaque femme que nous sommes (…)« .

Kaouthar Messaoudi nous raconte son enfance, à la manière franche et posée d’une Assia Djebar ou d’une Malika Mokkedem, et les troubles qui ont fait d’elle la femme qu’elle est devenue. Souffrant de grandir dans une société où la liberté d’esprit et la place de la femme sont des sujets à polémique, elle dénonce ce chemin vers la maturité qui n’est pas compatible avec celui du bonheur. En cela, Kaouthar la tunisienne se sent proche de Jane l’anglaise.

Confession, autobiographie, essai, on oscille entre les styles, le texte est brut, parfois hésitant, parfois répétitif, poussé tel un cri de délivrance. Il fallait que cela sorte, d’une manière ou d’une autre. C’est grâce à Jane, à d’autres femmes écrivains, qui ont ouvert la voie, notamment Virginia Woolf la tourmentée, que Kaouthar a trouvé la force de prendre la plume pour se livrer.

Profondément féministe, parfois jusqu’à l’extrême, discutable pour certaines idées (« une femme qui prend le nom de son mari est une femme qui se voit comme un objet, elle appartient tantôt au père, tantôt au mari »), C’est la faute à Jane Austen raconte avant tout le parcours chaotique de Kaouthar entre imprégnation traditionnelle et émancipation douloureuse.

Il est intéressant de remarquer que ce texte a été publié en 2008, à peu près deux ans avant la « Révolution du Jasmin », qui a libéré la Tunisie d’une dictature pour la bousculer dans l’inconnu. Espérons que les victoires précédemment arrachées par les femmes tunisiennes, héroïnes du combat au quotidien, comme Kaouthar, ne feront pas les frais de cette nouvelle donne.

Fiche technique

Format : broché
Pages : 102
Editeur : Publibook
Sortie : 1er novembre 2010
Prix : 13 €