L’Apprentie du philosophe – Avis +

Vêtus de combinaisons de parachutistes orange, les fœtus tapaient sur des bidons à coups de pieds de biche, tout en chantant tels des moines fortement dérangés, convaincus que leur maison de fous était un monastère.

Exprimer une « critique constructive » sur internet présente parfois quelques inconvénients. Mason Ambrose espérait passer avec succès sa thèse de philosophie. Mais il n’avait pas envisagé que la « victime » de sa critique consultait également internet et qu’il se retrouverait membre du jury lors de la soutenance de la thèse d’Ambrose.

A la fois juge, jury et bourreau sa Némésis allait le contraindre à l’exil universitaire et à envisager une reconversion de carrière. C’est ainsi qu’Ambrose est devenu le précepteur d’une adolescente assez originale. Précisons que ce job lui a été proposé par un paléontologue (vu le contexte on peut se demander s’il ne s’agit pas d’une allusion à un certain film de Steven Spielberg inspiré d’un roman de Michael Crichton, mais n’anticipons pas).

Son nouveau travail se déroule sur une île isolée située au large… non pas du Costa Rica, mais de la Floride. Et c’est dans ce lieu paradisiaque avec pour témoin un iguane doué de parole qu’il va s’efforcer d’enseigner le sens moral à une jeune fille d’une intelligence prodigieuse, mais pour l’instant totalement amorale.

Et pendant ce temps, d’autres précepteurs accomplissent la même tâche auprès d’autres jeunes filles d’âge différents mais à la psyché et au visage similaire. Elles ressemblent d’ailleurs à leur mère. Quant à leur père il est absent, ou plus exactement il n’existe pas. Généticienne de talent, leur mère a décidé de s’en passer, estimant sans doute que son ADN parfait n’avait pas à être mélangé à une souche génétique masculine. Bon, tout le monde connaît ses classiques ?

Cette initiative isolée aurait pu n’avoir aucune incidence sur la civilisation américaine. Seulement voilà, les enfants ont grandi et se sont lancés dans la recherche scientifique et l’activisme politique, plus précisément féministe.

La fortune de leur « mère » et leurs capacités intellectuelles innées leur ont permis de bâtir Thémisopolis une cité utopique, à la fois centre de recherche et lieu de refuge pour les femmes. L’activité culturelle est assurée par des pièces de théâtre dont les acteurs sont des personnages historiques jouant leur propre rôle grâce au procédé de clonage.

Mais le scientifique créateur de cette technologie a mis son talent au service du côté obscur, plus précisément des forces évangéliques de l’Amérique bien-pensantes. Une armée de fœtus avortés et auquel on a donné un âge adulte (croissance accélérée, cela vous dit quelque chose ?) est venu protester auprès de leurs géniteurs.

Puis est venu le rassemblement « spontané » (version intégriste de l’ordre 66) vers Thémisopolis où des milliers de ressuscités sont venus protester contre ce centre féministe soutenant l’avortement. Bien entendu, le fait que sont aussi effectuées sur place des recherches médicales contre le cancer des ovaires et la lutte contre les réseaux de prostitution est évidemment secondaire.

De plus à Thémisopolis est élaboré un carburant révolutionnaire non-polluant à base d’huile de maïs et de sang menstruel. Ceci explique que la logistique de cette « manifestation pacifique » a été fournie par les grandes compagnies pétrolières américaines. Au fait qui a payé pour les obusiers de 105 millimètres et les bazookas ?

Exit l’île du docteur Moreau et bienvenue dans la Guerre des Clones qui verra un affrontement entre les commandos de choc des ligues de vertu et les acteur clonés maniant leur armes de prédilection : l’épée de Jeanne d’Arc, le fusil de Davy Crockett et le crucifix de Jean-Paul II répondent héroïquement aux armes modernes.

Avec en arrière-plan le film L’Egyptien[[de Michael Curtiz (1954)]] et quelques allusions à son œuvre (ainsi est prononcée la phrase Dieu est mort en référence à son roman En remorquant Jehovah) James Morrow nous décrit une Amérique future où un trio de militantes féministes sert de catalyseur aux forces de réaction conservatrice. Pendant ce temps, l’élite financière et sociale a décidé de célébrer sa toute puissance lors du voyage inaugural d’un paquebot de luxe baptisé « New-Titanic » (en toute simplicité). Aussi les « rois du monde » naviguent sereinement droit vers l’iceberg de la contestation sociale et féministe.

Jettant un regard sarcastique sur les paradoxes de la condition humaine James Morrow a élaboré une fable ironique riche en allusions où le discours philosophique se teinte de darwinisme.

Fiche Technique

Format : broché
Pages : 500
Titre original : The philosopher’s apprentice
Traduction : Philippe Rouard
Editeur : Au Diable Vauvert
Sortie : février 2011
Prix : 23 €